Soupçons de financement libyen de la campagne 2007 : Nicolas Sarkozy toujours en garde à vue

24 heures après le début de sa garde à vue, Nicolas Sarkozy est toujours entendu par les juges de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) à Nanterre. Soupçonné d'avoir bénéficié pour sa campagne présidentielle victorieuse de 2007 du financement de la Libye de Mouammar Kadhafi,  l'ancien président français, pourrait encore rester 24 heures de plus. Il a néanmoins été autorisé à rentrer chez lui vers minuit pour se reposer. Des témoignages et des opérations suspectes alimentent ces soupçons, mais les juges qui enquêtent depuis 2013 n'ont à ce jour pas obtenu de preuves.
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Locaux de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) à Nanterre (Hauts-de-Seine) où est interrogé Nicolas Sarkozy depuis ce mercredi 20 mars 2018.
(AP Photo/Thibault Camus)
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La garde à vue de l'ancien chef de l'Etat Nicolas Sarkozy a repris ce mercredi matin, dans l'enquête sur des soupçons de financement par la Libye de Mouammar Kadhafi de sa campagne présidentielle de 2007.

L'ex-président français a été vu peu avant 8h00 de retour dans les locaux de l'office anticorruption à Nanterre près de Paris. La veille, mardi 19 mars 2018, son audition débutée dans la matinée avait été interrompue vers minuit.

Selon plusieurs sources, il aurait été autorisé à rentrer dormir chez lui, à son domicile parisien. Une mesure inhabituelle liée à son statut d'ancien président de la République.

Egalement entendu dans cette affaire comme "suspect libre", Brice Hortefeux, son ancien ministre de l'Intérieur et ami de 40 ans, a quitté les locaux de la police à Nanterre une demi-heure avant dans une voiture aux vitres teintées. Il a tout de suite tweeté : "Témoignant lors d'une audition libre, les précisions apportées doivent permettre de clore une succession d'erreurs et de mensonges".

Nicolas Sarkozy est quant à lui de retour à Nanterre. L'ex-président français est arrivé peu avant 8h00 dans les locaux de l'office anticorruption.

A l'issue de cette garde à vue, susceptible de durer jusqu'à 48 heures, il peut être remis en liberté, présenté à un juge en vue d'une éventuelle mise en examen ou convoqué ultérieurement.

Cette première audition de l'ancien chef de l'Etat dans ce dossier tentaculaire sur lequel les juges enquêtent depuis cinq ans avait démarré mardi à 08H00 également dans les locaux de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) à Nanterre (Hauts-de-Seine).

Affaire à la Une


Cette nouvelle étape marque un "retour aux affaires" de Nicolas Sarkozy mais à la rubrique judiciaire, titre Libération mercredi. Le Parisien parle du "+cadeau+ posthume de Kadhafi".

Elle marque aussi un coup d'accélérateur dans ce dossier tentaculaire instruit par des magistrats du pôle financier depuis 2013.

Les juges s'intéressent à des flux financiers impliquant des protagonistes liés au régime de l'ancien dictateur libyen Mouammar Kadhafi. D'anciens dignitaires de Tripoli et l'intermédiaire franco-libanais Ziad Takieddine ont évoqué la thèse de versements au profit de la campagne de Nicolas Sarkozy.

D'autres responsables de ce pays les ont démentis et l'ancien chef de l'État a toujours rejeté ces accusations. L'enquête, ouverte notamment pour détournements de fonds publics et corruption active et passive, a été élargie en janvier à des soupçons de "financement illégal de campagne électorale", selon une source proche du dossier. Cette décision fait suite à un rapport des policiers anticorruption de l'OCLCIFF, daté de septembre, qui pointait la circulation d'espèces dans l'entourage de Sarkozy durant la campagne 2007.

Interrogés par les enquêteurs, Éric Woerth, trésorier de la campagne présidentielle, et son adjoint chargé de la distribution des enveloppes, Vincent Talvas, ont répondu que l'argent provenait de dons anonymes, pour un montant global entre 30.000 et 35.000 euros, une justification contestée par d'ex-salariés de la campagne.

L'affaire a éclaté en 2012 après la publication par Mediapart d'une note attribuée à Moussa Koussa, ex-chef des services de renseignements extérieurs de la Libye, laissant penser à un financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy.

Depuis, les enquêteurs s'interrogent sur plusieurs opérations suspectes, notamment un virement de 500.000 euros perçu par l'ex-secrétaire général de l'Élysée Claude Guéant en mars 2008, en provenance d'une société d'un avocat malaisien. Il a toujours affirmé qu'il s'agissait du fruit de la vente de deux tableaux, sans convaincre les juges qui l'ont mis en examen notamment pour blanchiment de fraude fiscale en bande organisée.
                  

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"Il n'y a pas d'élément dans le dossier qui justifie aujourd'hui une telle mesure spectaculaire de garde à vue. Après cinq ans d'enquête, on n'arrive toujours pas à prouver qu'un seul centime d'argent libyen a été versé à Nicolas Sarkozy", a déclaré à l'AFP l'avocat de Claude Guéant, Philippe Bouchez El Ghozi.

Dans les rangs politiques, à droite le placement en garde à vue de l'ancien président a scandalisé, le patron des Républicains Laurent Wauquiez jugeant la mesure "humiliant(e) et inutile".

"Malgré des conditions difficiles, la justice avance. Ma pensée va aux millions de citoyens qui ont le droit de savoir si le match était à armes égales", a pour sa part ironisé sur Twitter, Ségolène Royal, l'ex-candidate perdante face à Nicolas Sarkozy en 2007.

L'enquête avait déjà connu une accélération en novembre 2016 avec les déclarations fracassantes à Mediapart de l'homme d'affaires Ziad Takieddine, qui a assuré avoir lui-même remis à Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, et à son directeur de cabinet Claude Guéant -qui ont farouchement démenti-, trois valises contenant 5 millions d'euros en provenance du régime Kadhafi, entre novembre 2006 et début 2007.

Les juges s'interrogent également sur la vente suspecte en 2009 d'une villa située à Mougins (Alpes-Maritimes) à un fonds libyen géré par Bachir Saleh, ancien argentier du régime. 

Les enquêteurs soupçonnent l'homme d'affaires Alexandre Djouhri d'être le véritable propriétaire et vendeur de ce bien, qu'il a cédé à un prix "très surévalué".

La justice française souhaite interroger MM. Saleh et Djouhri. Le premier, actuellement en exil, a été blessé par balle fin février en Afrique du Sud. Le second a été arrêté à Londres en janvier et sera fixé sur son éventuelle extradition en juillet.
 

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