Sri Lanka : quelles sont les origines de la crise ?

Au Sri Lanka, c’est tout un système basé sur la mondialisation des échanges et mené par le clan des Rajapaksa qui s’effondre. Dans l’impasse, le Premier ministre, Mahinda Rajapaska, vient même de démissionner. Une situation qui pourrait bien entraîner la vassalisation du Sri Lanka à la Chine. Retour aux origines de la crise.

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Sri Lanka manifestation
Un moine bouddhiste se joint à d'autres partisans du gouvernement pour vandaliser le site des manifestations anti-gouvernementales devant le bureau du président à Colombo, Sri Lanka, lundi 9 mai 2022.
Eranga Jayawardena/ AP
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Pour le Sri Lanka, l’avenir semble décidément bien sombre. Lundi, des affrontements entre partisans des Rajapaksa, à la tête du pays depuis 2019, et manifestants anti-gouvernementaux ont fait cinq morts et plus de 225 blessés. Le Premier ministre, Mahinda Rajapaska, vient de démissionner de son poste, avant d’être escorté en lieu sûr le lendemain. Il aura tenté coûte que coûte de recomposer son gouvernement, après un premier assaut devant sa résidence le mois dernier.  

À (re)voir : Sri Lanka: démission du Premier ministre après des violences, cinq morts, près de 200 blessés
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Le Sri Lanka jouissait pourtant d’une belle croissance au début du siècle. Son PIB par habitant était, en 2000, 2,3 fois supérieur à celui de l’Inde et trois fois à celui du Bangladesh. Aujourd'hui, le pays plonge dans une grave crise économique et sociale. Comment en est-on arrivé là ?

Passé politique controversé et corruption au sein du gouvernement

La controverse autour du clan des Rajapaksa ne date pas d'hier. Pour bien comprendre la situation, il faut rappeler que le pays sortait en 2009 de trente-sept ans d'une guerre civile sanglante entre la majorité cinghalaise et bouddhiste et la minorité tamoule et hindoue. C'est sous la houlette de Mahinda Rajapaksa, Président de 2005 à 2015 et Premier ministre de 2019 à 2022, que la rébellion tamoule a finalement été vaincue. 

Mahinda Rajapaska
Des partisans du gouvernement srilankais crient des slogans en tenant un portrait du premier ministre Mahinda Rajapaksa devant sa résidence officielle à Colombo, Sri Lanka, lundi 9 mai 2022.
Eranga Jayawardena/ AP

Certes, Mahinda est adulé par la majorité ethnique cinghalaise mais le dirigeant nationaliste est aussi haï et redouté par la minorité tamoule. Rappelons que les dernières semaines de la guerre civile (1983-2009) se sont soldées, selon les estimations de l'Onu, par la mort d'environ 40 000 civils. Mais Mahinda Rajapaksa a toujours nié ce bilan et refusé toute enquête internationale sur les atrocités attribuées à l'armée que dirigeait à l'époque son frère Gotabaya Rajapaksa, l'actuel Président (2019-2022).

À (re)voir : Sri Lanka : appel à la grève générale

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Outre le passé politique flou des deux frères, les problèmes de corruption au sein du gouvernement sont aussi en cause. Leur autre frère, le ministre des Finances, Basil Rajapaksa, est accusé de détournements de fonds publics. L'opposition l'a même surnommé "Monsieur 10%" en référence aux commissions présumées qu'il aurait perçues sur des contrats gouvernementaux.  Le peuple attribue aussi au gouvernement les mauvaises décisions politiques à l'origine des difficultés économiques de l'île. 

Des projets faramineux, financés par la Chine

Au sortir de la guerre, tout semblait bien parti pour le Sri Lanka. Dans une logique de forte croissance, la priorité est donnée à la demande intérieure par de vastes projets d’infrastructures. Aéroport international flambant neuf, centre de conférences, port en eaux profondes,... De 2009 à 2015, Mahinda Rajapaksa contracte d'énormes dettes, principalement auprès de la Chine, sa grande alliée, pour les financer.

Pour de nombreux Srilankais, ces projets symbolisent la gestion désastreuse du gouvernement. "Nous sommes endettés jusqu'au cou", rappelle Krishantha Kulatunga, propriétaire d'une petite papeterie à Colombo.  Son commerce est proche d'un gratte-ciel en verre en forme de fleur de lotus, autre symbole de cet échec d’investissement. La "Lotus Tower", financée par des fonds chinois, domine la capitale, mais n'a jamais ouvert au public. "Comment éprouver de la fierté pour cette tour quand on nous laisse mendier pour manger ?", s'interroge le commerçant. 

Lotus Tower

La Lotus Tower à Colombo fait partie des nombreux projets d'infrastructures pour lesquels le Sri Lanka s'est endetté. 

Eranga Jayawardena/ AP

Même constat pour la construction de l'aéroport international Mattala Rajapaksa pour lequel le pays a emprunté 200 millions de dollars à la Chine. Le terminal est si peu utilisé aujourd'hui que ses recettes ne sont même pas suffisantes pour couvrir sa facture d'électricité. Quant au port en eaux profondes de Hambantota, situé sur la voie maritime est-ouest la plus fréquentée du monde, le gouvernement de Rajapaksa a été obligé de le céder pour 99 ans à une entreprise chinoise.

Ces investissements faramineux creusent la dette extérieure du Sri Lanka dont au moins 10% contractés auprès de Pékin. Les deux frères avaient tout misé sur le tourisme, au détriment d'autres secteurs. 

Un pari raté sur le tourisme

L'économie du Sri Lanka dépend aujourd'hui fortement du tourisme. Selon la Banque mondiale, les revenus directs du tourisme international sont passés pour le Sri Lanka de 388 millions de dollars en 2000 à 754 millions en 2009 et 5,1 milliards de dollars en 2018. Mais dès la fin des années 2010, le modèle commence à s’essouffler. La croissance passe de 5 % en 2014 à 3,3 % en 2018. C’est dans ce contexte qu'intervient le terrible attentat islamiste du 21 avril 2019 où des églises et des hôtels de luxe sont ciblés, faisant 269 morts. Les revenus du tourisme sont directement visés.

église attentat sri lanka
Des attentats dans des églises et hôtels de luxe ont fait au moins 290 morts ce dimanche 21 avril au Sri Lanka. 
©AP Photo/Eranga Jayawardena

Pour répondre à cette situation, le frère de Mahinda, Gotabaya Rajapaksa, élu président peu après (2019-2022), décide de baisser drastiquement les impôts, juste avant la crise de Covid-19. La pandémie nuit encore plus au secteur du tourisme. Les projets faramineux évoqués plus haut en sont les premiers touchés.

Dans le même temps, d'autres secteurs qui faisaient la richesse de l'île sont délaissés. Les exportations de textile, de caoutchouc, de thé et la chimie, principalement, sont laissés à l'abandon. Leurs parts de marché mondiales restent, au mieux, stables. Le clan de Rajapaksa perd également le soutien des agriculteurs, après la soudaine décision du gouvernement de bannir les engrais chimiques sans solution de remplacement. Historiquement, ils sont pourtant de fervents partisans du clan. 

Vers une vassalisation du Sri Lanka à la Chine

La situation s'aggrave à tel point qu’à l’été 2020, le Sri Lanka perd l’accès au marché international de la dette. Il annonce un défaut de paiement sur sa dette extérieure de 51 milliards de dollars en avril 2022. L'île est désormais incapable de s’endetter pour rembourser sa dette. 

"La Chine a fait de son mieux pour aider le Sri Lanka à éviter le défaut de paiement mais malheureusement, le pays s'est adressé au Fonds Monétaire International et a choisi le défaut", déplorait l'ambassadeur chinois Qi Zhenhong à Colombo le mois dernier.  

En réalité, cette crise place l’île au cœur de la compétition régionale majeure entre la Chine et l’Inde. En mai 2021, le parlement sri-lankais a donné son feu vert pour un projet de "Ville portuaire" à Colombo afin de faire un hub financier sous la houlette d’un opérateur chinois prêt à investir 1,4 milliard de dollars.

Cette cité serait entièrement défiscalisée et permettrait d’accueillir sociétés offshore, casinos et de services financiers. Un tel projet, s'il se réalisait, vassaliserait un peu plus le Sri Lanka à la Chine.

À (relire) : Sri Lanka: des manifestants défient le couvre-feu, l'ONU condamne "l'escalade de la violence"