Fil d'Ariane
TV5MONDE : D’où vous est venue cette passion pour les plantes?
Stefano Mancuso : Cela a commencé pendant mes études. Au début, j’étais un étudiant lambda, je m’intéressais à tous les aspects de la biologie, sans intérêt particulier pour les plantes, je les trouvais même ennuyeuses. Mais j’ai commencé à m’y intéresser pendant mon doctorat, et ce sont elles qui m’ont montré leurs nombreuses capacités, j’ai commencé à les regarder différemment, puis à les aimer.
L’un des thèmes principaux de votre travail est l’intelligence des plantes. Comment définiriez-vous l’intelligence ?
Il y a tellement de formes différentes d’intelligence. Quand on parle d’intelligence, on la définit souvent selon un modèle humain, on essaie de la définir par rapport à ce qui est similaire à nous. Je ne pense pas que ce soit la bonne manière de la définir. Les intelligences font partie de la vie de manière générale, au delà de l’humain et il faut la définir de manière plus large. Pour moi, la meilleure définition, c’est la capacité à résoudre des problèmes. Imaginez la forme la plus simple de vie, une cellule unique, ou même un virus, comment pourraient-ils survivre sans la capacité à résoudre des problèmes ? Même une bactérie en résout.
C’est trop simpliste de lier l’intelligence au cerveau.
Stefano Mancuso, botaniste.
La biologie définit tout sous le spectre des neurones. Je me bats contre ça. Je voudrais montrer que les neurones ne sont pas des cellules miracles, mais juste des cellules normales, avec une capacité à produire et transporter des signaux électriques. Ils sont présents dans le cerveau et le système nerveux chez l’humain. Il n’y en a pas chez les plantes, car il n’y a pas d’organes. Les organes, sont un point faible. Les fonctions vitales des plantes sont gérées par l’ensemble de leur corps. C’est trop simpliste de lier l’intelligence au cerveau, et cela exclut du monde de l’intelligence la majorité de la vie sur terre.
Les animaux (humains et poissons compris) ne représentent que 0,3% de la biomasse contre 85% pour les plantes. Donc 0,3% de la vie serait intelligente, et le reste une énorme machine qui ne peut rien résoudre ? Affirmer que l’intelligence est le fruit du cerveau est présomptueux.
Dans votre livre La Révolution des plantes, vous allez plus loin et évoquez même l’idée que les plantes puissent avoir une intelligence supérieure à celles des humains...
Nous sommes trop présomptueux en tant qu’humains. Nous sommes convaincus d’être spéciaux et les meilleurs, parce que nous avons peint la chapelle Sixtine, réfléchi sur la théorie de la relativité ou écrit Madame Bovary. Mais d’un point de vue biologique, nous sommes loin d’être les meilleurs. Le but de la vie, c’est de propager les espèces. La durée de présence moyenne d’une espèce sur terre est de 5 millions d’années, du moment où elle apparaît jusqu’à sa disparition. L’homo sapiens est apparu il y a 300.000 ans. Vous pensez vraiment qu’on va survivre encore 1 million d’année ?
Est-ce que les plantes peuvent aider l’espèce humaine à survivre ?
Notre cerveau est un avantage de l’évolution. Mais pour l’instant, nous ne l’utilisons pas, ou alors juste de manière inutile. Nous avons tout détruit en une période de temps très courte. Je n’ai pas besoin de rappeler la situation environnementale, et ce que les projections affirment sur notre futur. Les plantes ne peuvent pas nous aider plus qu’elles ne l’ont déjà fait, elles nous ont déjà beaucoup donné, elles nous ont même donné la vie.
Les plantes sont le meilleur modèle à étudier pour voir comment nous aussi nous pouvons survivre.
Stefano Mancuso.
Mais peut-être est-il temps de regarder les plantes d’une perspective différente, en ne les considérant pas comme des organismes de bas niveaux, incapables de faire quoi que ce soit, mais en les regardant comme les vrais dominatrices de la planète, parce qu’elles représentent 85% de la biomasse. Si vous regardez la Terre depuis l’espace vous n’aurez alors aucun doute sur le fait que l’espèce dominante sur la planète, ce sont les plantes. Elles montrent leur capacité à survivre, c’est en ça que les plantes peuvent nous aider. C’est le meilleur modèle à étudier pour voir comment nous aussi nous pouvons survivre. Elles ne dépendent pas d’autres espèces : elles ont la meilleure forme d’énergie : le soleil, la terre et l’eau. C’est gratuit et presque inusable.
Pourquoi avez-vous décidé de rendre votre travail accessible au grand public?
J’aimerais que le regard sur les plantes évolue. Je ne crois pas que seule la science puisse changer ce que les gens pensent. Mais si une grande partie des gens commence à penser que les plantes sont intelligentes, alors plus de scientifiques commenceront à étudier ce sujet de plus près. Nous ne sommes pas nombreux à être spécialisés sur les plantes. L’histoire des sciences est pleine d’idées brillantes qui ont été abandonnées, juste parce qu’elles n’étaient pas à la mode à ce moment-là. En outre, l’intelligence est un sujet complexe, qui nécessite une approche plus générale pour être comprise. Nous avons également besoin de regards philosophique, sociologique, environnementale et éthologique.
Un arbre ne demande rien, et en général les plantes n’aiment pas être touchées. Stefano Mancuso.
Que pensez-vous de la tendance du moment de faire des bains de forêts et des câlins à des arbres?
C’est un bon signe. Je passe beaucoup de temps au Japon, où les docteurs prescrivent des marches dans la forêt aux malades. Cela fait beaucoup de bien, même plus que certains médicaments. Les humains ont vécu avec les plantes pendant des milliers d’années. Cela fait seulement quelques générations que nous sommes déconnectés de cet environnement. En revanche, ce n’est pas forcément bon pour l’arbre de recevoir un câlin. Un arbre ne demande rien, et en général les plantes n’aiment pas être touchées.
Avez-vous un arbre préféré?
Oui, un ginkgo que je salue régulièrement à Florence. Avant tout, parce que c’est très beau. Ma préférence est purement esthétique. Les feuilles du ginkgo ont une forme particulière, comme un éventail. Elles n’ont pas de nervures, c’est une espèce très ancienne, qui date de plus de 200 millions d’années. C’est un point faible de ne pas en avoir. Le ginkgo est comme un fossile visible d’une époque révolue.