Succession de Michel Aoun au Liban : quelles conséquences peut avoir la vacance présidentielle ?

Déjà asphyxié par une crise économique inédite, le Liban s'apprête à vivre sans président. Le mandat de Michel Aoun expire ce lundi 31 octobre et faute d'accord au Parlement sur son successeur, le pays va entrer dans une période de vacance du pouvoir. A quoi doit-on s'attendre après le départ de Michel Aoun ? Quels sont les risques pour la stabilité de ce pays déjà très fragilisé ? Quels seront les défis de son successeur. Analyse de Joseph Bahout, professeur et directeur de recherches à l'Université américaine de Beyrouth.
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Liban Aoun
Le président libanais Michel Aoun lors d'un discours au palais présidentiel, à Beyrouth, au Liban, le jeudi 13 octobre 2022.
©Dalati Nohra vía AP
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TV5MONDE : Ce lundi 31 octobre, le Liban se réveillera sans président, à quoi doit-on s’attendre après le départ de Michel Aoun ? 

Joseph Bahout : Dans l’immédiat nous devons nous attendre à une vacance présidentielle, qui est, dans l’histoire récente du pays, une situation à laquelle nous sommes habitués - nous en sommes à la troisième vacance présidentielle depuis la fin de la guerre. La question est de savoir, combien de temps va durer cette vacance présidentielle et combien elle sera problématique, conflictuelle ou source de tensions. 

L’autre aspect de cette vacance présidentielle, qui la rend d’ailleurs compliquée au niveau politique et constitutionnel, c’est qu’elle va se jouer avec un gouvernement qui est constitutionnellement supposé prendre la relève de la présidence vacante mais qui est un gouvernement lui-même démissionnaire. Ce petit imbroglio constitutionnel risque d’être la source de disputes, d’argumentations et de tensions. 

Nous devons nous attendre à un dévissage encore plus fort de la livre libanaise et à davantage de problèmes logistiques pour les Libanais

Joseph Bahout, professeur et directeur de recherches à l'Université américaine de Beyrouth

Au niveau populaire, il faut peut-être s’attendre à ce que le courant du président, le Courant patriotique libre (CPL), dont le gendre du président (qui a lui-même des ambitions présidentielles, ndlr) est le chef, n'utilise la rue pour faire monter la tension et construire un bras de fer avec les adversaires politiques. Dans ce cas précis, il faudra s’attendre à des petits dérapages sécuritaires ici et là mais ils seront probablement sans grande conséquence. 

Le Liban et la vacance présidentielle 

► Lundi 24 octobre, le Parlement s'est réuni pour la quatrième fois depuis un mois sans parvenir à élire un président, ni le camp du Hezbollah pro-iranien, le puissant mouvement armé qui domine la vie politique au Liban, ni celui de ses opposants ne disposant d'une claire majorité pour imposer un candidat.

► Par le passé, l'élection d'un président a déjà débouché sur des violences ou des crises politiques, dans un pays fondé sur un partage communautaire du pouvoir, la présidence de la République étant réservée à un chrétien maronite

► Selon certains analystes cités par l'Agence France-Presse, la crise actuelle est principalement liée au refus du Hezbollah de tout processus électoral qui ne mènerait pas son candidat à la présidence, à l'instar de ce qui s'est passé lors de l'élection de son allié Michel Aoun.
Il avait alors fallu plus de deux ans et 46 sessions électorales pour l'élection en 2016 de Michel Aoun. 

TV5MONDE : Cette vacance présidentielle ne risque-t-elle pas d'aggraver la situation déjà compliquée dans laquelle se trouve le Liban actuellement ? 

Dans l’ombre de cette vacance présidentielle qui peut durer plusieurs mois, la situation économique et sociale va continuer à s’effondrer. Le pays est actuellement dans un état plus que catastrophique, la vacance politique et le climat politique qui va l’accompagner va en effet accroître cela. 

Quelle situation au Liban ? 

► Depuis 2019, le Liban est en proie à une grave crise financière, sa monnaie a perdu plus de 95% de sa valeur et plus de 80% des habitants vivent désormais sous le seuil de pauvreté, selon l'ONU.

► Le mandat de Michel Aoun a été marqué par un effondrement économique sans précédent, un soulèvement populaire en 2019 qui n'a pas abouti et une explosion sur le port de Beyrouth qui ravagé la capitale l'année suivante.

Nous devons nous attendre à un dévissage encore plus fort de la livre libanaise et à davantage de problèmes logistiques pour les Libanais.
Enfin, dernier fait important durant cette vacance : il sera impossible d’avancer techniquement avec le FMI (Fonds Monétaire International, ndlr), qui est pourtant devenu une nécessité vitale pour le pays.     

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TV5MONDE : Quels vont être les principaux défis pour le prochain président ? 

Les défis sont énormes ! D’abord, il faut remettre le Liban sur la voie d’une négociation acceptée et acceptable avec les institutions internationales afin de stopper l’effondrement et commencer à sortir de la crise. Il faudra également dépasser les clivages et les blessures que laisse le mandat de Michel Aoun avec l’ensemble de la classe politique, c’est-à-dire, rétablir un dialogue politique  entre les partis. 
 
Il y a ensuite des défis diplomatiques importants : refaire la connexion entre le Liban et son environnement, les pays du golfe par exemple, qui le boude aujourd'hui. Il faudra également aborder la question difficile des relations que le Liban va forcément entretenir un jour ou l’autre avec la Syrie, la question des réfugiés par exemple, qui fait partie de cette affaire-là. 

Une fois que nous aurons élu un président, consensuel si possible, il faudra aussi qu’il y ait un Premier ministre acceptable par tous et capable de prendre en mains les dossiers difficiles

Joseph Bahout, professeur et directeur de recherches à l'Université américaine de Beyrouth

Enfin, il y a le défi de la gestion de la source gazière que le Liban a obtenue, avec l’accord maritime. (Le Liban et Israël ont conclu jeudi 27 octobre un accord délimitant leur frontière maritime, qui assure la répartition de précieux gisements gaziers offshore en Méditerranée orientale et réduit la tension dans la région, ndlr). 
Cette dernière nécessite une gouvernance forte, il va donc falloir établir des règles. Le nouveau président va devoir être le garant de cette bonne gestion. 

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Il y a peut-être un autre défi, qui n’est pas celui du président mais de la classe politique. Quelque soit le président, seul il ne peut pas être salvateur. C’est le Premier ministre qui va être important. 


Il faut réfléchir en terme de ticket, c’est-à-dire qui va être le tandem à la tête de l’éxécutif ? 
Une fois que nous aurons élu un président, consensuel si possible, il faudra aussi qu’il y ait un Premier ministre acceptable par tous et capable de prendre en mains les dossiers difficiles. Il faudra donc que ce dernier ait une certaine dose de technicité et de technocratie pour pourvoir faire face à tous les défis qui l'attendent. 
 
TV5MONDE : Malgré ces nombreux défis, l'entrée dans une ère post-Aoun laisse-t-elle espérer des jours meilleurs pour le Liban ? 

C'est une page conflictuelle qui se tourne, une page de tensions, de blocages mais cela ne veut pas dire que tout va être résolu après son départ. 
Si le gendre de Michel Aoun et les soutiens politiques de son gendre continuent le jeu du blocage, dans ce cas-là, rien ne se passera et nous resterons toujours au même point.