Comment les règles de succession influent-elles la gestion du royaume ? Dans une logique d'efficacité, ces
règles apparaissent aujourd'hui à bien des égards problématiques. Le roi fondateur, Al Saoud, avait prévu une succession purement horizontale adelphique (de frère à frère, ndlr) de chacun de ses fils par ordre de primogéniture. Comme il avait une vingtaine d'épouses, devaient se succéder tour à tour les aînés de chacune d'elles. C'est là un premier le paradoxe saoudien : une société ultrapatriarchale et polygame qui transite par un matrilignage féminin. Ainsi des clans rivaux se forment-ils par les femmes. Le puissant clan des Sudaïri, le "clan des sept", a pour noyau dur les sept fils de la princesse Hassa bint Ahmed Al Sudaïri, favorite du fondateur du pays.
Abdallah avait plus de 90 ans, Salmane, 79 ans, est déjà malade, et le nouveau prince héritier, Moqren a 68 ans... Ce système est-il viable ?Il s'est maintenu jusqu'à Abdallah, fils aîné d'une épouse, qui a succédé à Fahd, frère aîné d'une autre épouse. Mais intrinsèquement, le système implique le vieillissement des souverains, puisque tous sont de la même génération, ainsi que de féroces rivalités entre fratries issues de différentes épouses du roi. Tous les héritiers potentiels aspirent à un pouvoir qui n'est pas extensible. Ainsi le système reste-t-il très instable, alors que dans toutes les autres monarchies du monde, c'est la succession verticale qui assure la stabilité.
Reconnaissant que ce système hypothèque l'avenir du pays, le roi Fahd, en 1992, a institué une loi fondamentale ouvrant la possibilité théorique de passer à la génération suivante, aux petits-fils de Al Saoud. La situation actuelle de l'Arabie saoudite imposerait déjà une personnalité plus jeune, plus lucide, plus déterminée, que le conservateur modéré qu'est Salmane, prince de transition. Le nouveau prince héritier, Moqren, 69 ans, est encore un fils d'Al Saoud, mais il est le plus jeune. Et après ? C'est là que réside le véritable enjeu.
Comment passer à la génération suivante ?C'est pour déverrouiller le système que le roi Abdallah a innové en introduisant la notion de vice-prince héritier, par un décret royal du 27 mars 2014. Celui qui l'occupe deviendra prince héritier à la disparition de Salmane, puis roi quand Moqren ne sera plus là. C'est là que le système ouvre concrètement la transition à la génération suivante. En théorie, 200 altesses royales mâles pourraient prétendre au pouvoir. En réalité, seule une poignée a l'envergure d'un chef d'Etat. Et pour formaliser un certain consensus au sein de la famille, un Conseil d'allégeance, composé de 35 princes - les 15 fils vivants d'Al Saoud et 19 petits-fils - est chargé d'adouber "le plus capable".
Abdallah aurait voulu mettre en avant son fils, Mitaeb, 62 ans, chef de la très fidèle Garde nationale - poste autrefois occupé par Abdallah lui-même et qu'il lui a légué pour assurer son avenir. En face, un autre poids lourd, Mohamed Bin Nayef, ministre de l'Intérieur, 55 ans. C'est lui a été nommé
vice-prince héritier par son oncle Salmane quelques heures seulement après la mort d'Abdallah. C'est donc au clan des Sudaïri que, logiquement, devrait bénéficier le changement de génération.