Ces derniers jours, échauffourées et voiture brûlées ont rythmé les nuits des banlieues suédoises. Dans ce pays érigé comme modèle social en Europe, de telles démonstrations de violence sont rares. Le système suédois est aujourd’hui très critiqué pour ses inégalités croissantes. La Suède ne serait donc plus le bon élève de l’union européenne en matière de droits sociaux et d’accueil des immigrés.
Voitures incendiées dans la banlieue de Stockholm / photo AFP FREDRIK SANDBERG
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Voitures incendiées, poubelles brûlées, écoles et commissariat endommagés, caillassages de policiers. Autant de scènes de violences urbaines que l’on a pu voir dans les banlieues françaises en 2005 et anglaises en 2011 mais qui secouent la Suède. Depuis quelques jours, l’intensité des troubles diminue. Dans ce pays reconnu en Europe pour sa politique pacifique et égalitaire, ces images choquent l’opinion. Coupes budgétaires, pauvreté et chômage qui touchent les immigrés vivant en banlieue sont au cœur du débat qui s’est fait jour en Suède avec ces incidents, mettant sous le feux des critiques la politique du gouvernement. Les voisins européens, eux, y voient les failles (enfin) d’un système érigé en modèle. On en oublierait presque le fait divers qui aurait mis le feu aux poudres. Le 13 mai, un homme de 69 ans est abattu par la police à Husby, quartier défavorisé de la banlieue de Stockholm (voir notre carte des incidents en encadré). Les raisons de sa mort restent encore floues. L’homme aurait brandi une machette face à la police qui l’a tué de plusieurs balles justifiant son acte de légitime défense. de leur côté, les fauteurs de trouble reprocheraient aux policiers des insultes racistes.
Des émeutiers discrets Comme en France huit ans auparavant, les banlieues s’embrasent à l’annonce d’une mort qui a toutes les apparences d’une injustice. En 2005, à Clichy-sous-Bois, en banlieue parisienne, deux jeunes du quartier meurent électrocutés dans un transformateur en voulant fuir la police. La dimension que prennent les événements n’a ensuite rien de comparable avec ce qui s'est passé en Suède. En vingt jours, plus de 2 000 arrestations sont effectuées en France contre moins d’une vingtaine en Suède (selon les derniers chiffres de la police samedi). Les émeutiers suédois se font discrets et sont rapidement relâchés. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que des violences urbaines éclatent dans le pays. De graves incidents avaient déjà ébranlé les villes de Rinkeby en 2010 et Malmö en 2008. Mais cette fois les émeutes se sont propagé à d’autres villes du pays dans la nuit de vendredi à samedi : Jordbro, Uppsala, d'Oerebro et Linkoeping (voir notre carte en encadré). Si les émeutes sont le fait d’une minorité de personnes, le reste de la population ne souhaite qu’une chose : l’apaisement. Régulièrement des patrouilles mêlant parents volontaires et éducateurs payés par les communes sont organisées dans les banlieues. « Tous les week-ends, il y a déjà des rondes mais là, il y a plus de parents car ils ont envie d’une retour au calme plus rapide », a pu constater sur place Ariane Lavrilleux, envoyée spéciale à Stockholm pour la radio française Europe 1.
Un mal profond
Pour les riverains des banlieues défavorisées de Stockholm, la situation actuelle n’est pas seulement due à la mort de cet inconnu à Husby, davantage vue comme un prétexte à la dénonciation d’un mal plus profond de la société suédoise. « La population ne soutient pas la solution violente », raconte la journaliste Ariane Lavrilleux. « Mais ils se disent qu’enfin leurs problèmes sont regardés. On vient voir pourquoi des voitures brûlent. La Suède est obligée de réaliser que tout ne va peut-être pas si bien dans ses banlieues. » Les maux de cette population à majorité immigrée qui vit dans ces quartiers défavorisés trouvent les mêmes origines : le chômage et la ségrégation sociale. A Husby où ont débuté les émeutes, le chômage atteint 8,8% de la population (principalement de jeunes) contre 3,6% dans le centre de Stockholm (voir notre encadré). Le premier ministre Fredrik Reinfeldt reconnaît lui-même les failles du système suédois : « A plus long terme, ceci est lié à un problème social plus large », déclarait-il à la presse le 24 mai 2013. « Nous voulons débloquer des ressources supplémentaires pour que la population reçoive un soutien éducatif. […] Nous voulons investir davantage dans les écoles suédoises et faciliter l’entrée des jeunes sur le marché du travail ». Le gouvernement tente de répondre aux émeutes et aux critiques par des mesures qui ne sont pas encore effectives. Les troubles qui ont secoué le pays reflètent aussi les limites d’un modèle suédois.
Quartier Tensta à Stockholm / crédit photo Ariane Lavrilleux
Paradis terrestre
La social-démocratie suédoise est pourvue d’un État-providence généreux « Sorte de paradis terrestre, le "modèle suédois" est rapidement devenu une référence internationale », écrit dans son article Qu’est-ce que le modèle suédois ? publié en 2011, Jenny Andersson, chercheuse à Science Po et spécialiste de la Suède. Le modèle suédois vise ainsi à transformer le capitalisme en producteur de biens sociaux et les dispositifs de l’État providence doivent former une barrière contre le marché. Mais ce système apparemment idéal, envié par les autres pays européens, s’enraille dès les années 90. « Les réformes intensives de l’État social se heurtent à un sentiment de plus en plus aigu de précarité dans des groupes importants de la population », écrit Jenny Andersson « Et où la crise économique coïncide aussi avec l’arrivée des réfugiés de l’ex-Yougoslavie, du Kurdistan et de Somalie, des groupes qui ont davantage de mal à s’intégrer dans la société suédoise, alors que le marché du travail est stagnant. » Leur intégration se complique aussi à cause des coupes de budgets avec la fermeture dans certains quartiers de foyers pour jeunes ou de centres culturels. Leur quartier est de plus en plus enclavé. Dans le quartier de Husby comme celui de Tensta (voir photo) ont fait l’objet dans les années 70 d’un grand programme immobilier appelé Miljonprogrammet dont le but était de construire entre 1965 et 1974 un million de nouveaux logements pour pallier la crise immobilière. Au fil des années, ces quartiers ont regroupé davantage d’immigrés venus en Suède grâce à la politique d’ouverture du pays. A Husby 110 nationalités différentes se côtoient et 60% de la population est d’origine étrangère. Selon les chiffres de 2009 de l’OCDE, les immigrés viennent aujourd'hui en majorité d’Irak, de Somalie, de Pologne et de Syrie. « La Suède est un pays qui reçoit de grands groupes d’autres pays. Je suis fier de cela », a déclaré le chef du gouvernement suédois le 22 mai.
Un barbecue organisé par des immigrés chiliens / crédit photo Ariane Lavrilleux
Inégalités
Un chiffre atteste cependant du creusement des disparités parmi la population suédoise : le coefficient Gini de l’OCDE qui mesure les inégalités. Il a augmenté de 25% en une génération. Avec le Danemark et l’Allemagne, la Suède est le pays où le taux d’inégalité à le plus progressé dans le monde ces dix dernières années. « Depuis les années 90, la Suède a connu le plus grand accroissement des inégalités en Europe. C’est vrai, mais ils sont partis de tellement bas qu’aujourd’hui les inégalités sont bien moins importantes qu’en France, Allemagne, Grande-Bretagne », analyse Pauline Curtet, correspondante du quotidien Le Figaro dans les pays nordiques. Selon André Grjebine, directeur de recherche à Sciences Po, co-auteur de La méthode suèdoise : la cohésion sociale au défi de l’adaptation, le système suédois n'est pas forcément en cause mais la cohésion sociale du pays. « Je pense que les réactions en Suède pourraient être plus brutales que celles en France. En Suède, il y a une politique d’acceptation de l’immigration très consciente contrairement à la France. On peut admettre que dans les anciennes puissances coloniales comme la France il existe un ressentiment mais pas en Suède. » Pourtant leur intégration reste difficile dans le contexte politique et économique actuel. « Les enfant des premiers immigrés parlent le suédois et en même temps ils ne se sentent pas acceptés par leur pays où ils sont nés », explique Pauline Curtet. « Aujourd’hui, il y a un certain sentiment de rejet et une montée de l’extrême droite ». La colère des populations immigrées vivant dans les banlieues suédoises les plus défavorisées fait en effet le lit de l’extrême droite, le parti des Démocrates fervent opposant aux politiques d’ouverture à l’immigration gagne des points en vue des prochaines élections législatives en septembre 2014.
Les chiffres clés
15% de la population suédoise est née à l’étranger selon l’OCDE 8,8% de chômage dans le quartier d’Husby contre 3,6% dans le centre de Stockholm 60% de la population d’Husby est d’origine étrangère 110 nationalités se côtoient dans la banlieue d’Husby La suède est la 1ère destination en Europe des réfugiés syriens.