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Suicides à France Télécom : "Ils ont failli me tuer"

Pour la première fois, une entreprise du CAC 40 se retrouve devant les juges pour "harcèlement moral". Dix ans après la vague de suicides à France Télécom, le procès de ses ex-dirigeants s'ouvre ce lundi 6 mai devant le tribunal correctionnel de Paris. L'occasion de revoir le témoignage de Vincent Talaouit, ancien ingénieur chez France Télécom Orange diffusé sur TV5MONDE en 2010, à l'occasion de la parution de "Ils ont failli me tuer" aux éditions Flammarion.

Dans un entretien diffusé le 13 octobre 2010, mené par Laurent Debesse, l'ancien ingénieur Vincent Talaouit revient sur TV5MONDE sur sa fin de carrière à France Télécom. Un début de carrière exemplaire, puis tout bascule en 2004, jusqu'à déboucher sur un "enfer" en 2007 et 2008.

Vincent Talaouit se retrouve seul, dans un immeuble où tous les bureaux sont vides. Il évoque trois phases d'"un travail de sape qui va user la personne" : la déstabilisation des équipes dirigeantes, l'isolement et l'aliénation, avant la "phase de destruction" pendant laquelle Vincent Talaouit souligne avoir été "oublié dans le déménagement". Des pratiques "courantes", indique l'auteur de "Ils ont failli me tuer".

J'ai été oublié dans le déménagement. (...) Quand je me suis présenté le lundi sur le nouveau site, on m'a dit : "Non, vous ne faites pas partie du personnel, circulez".

Vincent Talaouit, auteur de "Ils ont failli me tuer"

Les magistrats ont retenu les cas de trente-neuf salariés: dix-neuf se sont suicidés, douze ont tenté de le faire, et huit ont subi un épisode de dépression ou un arrêt de travail. 

Un procès fleuve

La souffrance au travail, dont France Télécom était devenue le symbole à la fin des années 2000, sera au coeur de ce procès fleuve prévu pour durer jusqu'au 12 juillet. En 2008 et 2009, 35 salariés se sont donné la mort, pour certains sur leur lieu de travail. Mais au-delà de ces suicides qui avaient choqué l'opinion publique, le tribunal s'intéressera dans ce procès au fonctionnement de France Télécom entre 2007 et 2010. 

C'est le dossier "d'un harcèlement moral organisé à l'échelle d'une entreprise par ses dirigeants", ont résumé les juges d'instruction dans leur ordonnance de renvoi devant le tribunal, consultée par l'AFP. 

L'entreprise, opérateur public privatisé en 2004 puis devenu Orange en 2013, figure parmi les prévenus en tant que personne morale. Didier Lombard, qui a dirigé France Télécom de 2005 à 2010, sera jugé aux côtés de l'ex-numéro 2 de l'entreprise Louis-Pierre Wenes et de l'ex-directeur de ressources humaines Olivier Barberot. 

Tous comparaissent pour "harcèlement moral", défini dans le code pénal comme "des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail".
Quatre autres responsables, jugés pour "complicité", encourent un an d'emprisonnement et 15.000 euros d'amende (75.000 euros pour France Télécom). 

Les dirigeants de France Télécom avaient mis en oeuvre un vaste programme de restructuration: les plans NExT et Act qui visaient à transformer France Télécom en trois ans, avec notamment l'objectif de 22.000 départs sur 120.000 salariés. Plus de 10.000 personnes devaient aussi changer de poste.

"Vie brisée"

En 2006, dans un discours devant les cadres, Didier Lombard donnait le ton: "Je ferai les départs d'une façon ou d'une autre, par la fenêtre ou par la porte". Le directeur des ressources humaines lançait lui le "crash program".

"Ce qu'on attend, c'est la condamnation des anciens dirigeants de France Télécom", a déclaré Patrick Ackermann, représentant du syndicat SUD. "J'attends que les anciens dirigeants disent qu'ils regrettent, qu'ils reconnaissent qu'ils ont dépassé les bornes".

Parmi les manifestants, Béatrice Pannier, 56 ans, chapeau orange sur la tête barré du slogan "Plus jamais ça!" a lu la lettre ouverte qu'elle a rédigée à Didier Lombard pour obtenir "des excuses publiques". 

"Moi aujourd'hui ma vie est brisée", a témoigné, la voix tremblante, la télé-conseillère entrée chez France Télécom en 1982 et en arrêt maladie depuis sa tentative de suicide sur son lieu de travail en 2011. "L'heure de la vérité a sonné", selon elle.