Suisse : comment la droite populiste a remporté les élections fédérales

En Suisse, la droite populiste arrive en tête des élections fédérales, dans un contexte marqué par une résurgence des questions sécuritaires et migratoires. Cependant, cela ne signifie pas que le pays prendra un tournant politique majeur.

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Résultats élection suisse

Marco Chiesa (leader de l'UDC) à gauche, Thierry Burkart (président du parti libéral) au centre et Gerhard Pfister (président du parti du centre) lors du débat télévisé sur les résultats de l'élection fédérale suisse.

Capture d'écran AFPTV
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Les Suisses étaient appelés à élire leurs 200 députés du Conseil national au scrutin proportionnel ce 22 octobre. Les 46 sénateurs du Conseil des États (chambre haute), élus au scrutin majoritaire, doivent également être renouvelés mais des seconds tours doivent avoir lieu ces prochaines semaines dans plusieurs cantons. 

Comment évolue la composition du Parlement suisse ?

  • L’UDC, vainqueur de ces élections récolte 28,6% des suffrages exprimés et gagne trois points par rapport à 2019.
  • Le PS (Parti socialiste) progresse également de 1,2 points et obtient 18%.
  • Le Centre réalise une plus faible progression de 0,8 points en récoltant 14,6% des suffrages. 
  • Cela lui permet de dépasser le PLR (les Libéraux-radicaux), en recul de 0,7 points avec 14,4% des suffrages. 
  • Les Vertes enregistrent une chute de 3,8 points et récoltent 9,4% des voix.
  • Le PVL (Parti vert’libéral) est aussi en baisse de 0,6 points avec 7,2% des suffrages exprimés.
  • Les autres petits partis se partagent les 7,8% restants. 

La Suisse est historiquement un pays de droite.

Amit Juillard, journaliste à la rédaction francophone de Blick

L’Union démocratique du centre (UDC) est arrivée en tête de ces élections avec plus d’un quart des suffrages exprimés en sa faveur. Il s’agit d’un parti conservateur, nationaliste et populiste et il se positionne comme le parti le plus à droite de tous ceux représentés au gouvernement suisse. “La Suisse est historiquement un pays de droite”, analyse le journaliste à la rédaction francophone de Blick Amit Juillard. “Le Parlement et le Conseil fédéral, soit le gouvernement national, n’ont jamais été à gauche", rappelle-t-il. 

Une participation disparate selon l’âge

Mais comment expliquer que l’UDC réalise un score aussi important au cours de l’élection fédérale ? Tout d’abord, le taux de participation a atteint 46,6%. Si ce chiffre est en hausse par rapport aux précédentes élections, il reste en dessous de ce qui peut être observé dans d’autres pays. 

Les jeunes participent deux à trois fois moins aux élections que les aînés, donc le taux de participation parmi les 18-25 ans est souvent deux fois moins élevé que parmi les 70-80 ans”, analyse Pascal Sciarini, professeur de sciences politiques à l’université de Genève, à l'antenne de TV5MONDE. “Si on participe peu en Suisse, c’est parce qu’on vote souvent”, ajoute-t-il. Les Suisses sont régulièrement appelés aux urnes pour des votes de démocratie directe, que ce soit au niveau fédéral ou cantonal. “Ceci a pour effet de réduire l’importance des élections”, poursuit le professeur de sciences politiques. 

En revanche, avec le renforcement de la droite, on pourrait imaginer que les décisions du Parlement soient davantage contestées par l’opposition par voie de référendum et soumises au peuple”, estime le journaliste Amit Juillard.  La gauche pourrait en effet demander à contester certaines lois, si elle les estime par exemple injustes pour les classes populaires. Une initiative du Parti socialiste demande actuellement un allègement des primes d'assurance maladie obligatoires payées par les citoyennes et citoyens.

“Les Suisses ont voté avec leur porte-monnaie”

Une autre raison qui explique le score de l’UDC est le changement des préoccupations de la population. “On assiste à un reflux très net de ce qu’on appelle la “Vague verte” et cela a profité à l’UDC”, note Pascal Sciarini. Il rappelle que lors des élections de 2019, le réchauffement climatique avait dominé les préoccupations de la population. “En 2023, les préoccupations climatiques sont toujours là, mais elles ont été concurrencées par des questions relatives au coût de la vie, à l’inflation, mais également aux réfugiés et à l’immigration plus généralement.

L'UDC capitalise toujours sur l’anti-Europe, la migration et le porte-monnaie des gens.

Amit Juillard, journaliste à la rédaction francophone de Blick

Amit Juillard rappelle que “l’UDC est le premier parti de Suisse depuis longtemps. Elle a connu un grand boom dans les années 1990 grâce à sa campagne victorieuse contre l'Espace économique européen. Son expansion s'est poursuivie dans les années 2000, avec les campagnes anti-immigration, parfois jugées islamophobes.” 

Par ailleurs, il ajoute que le parti de droite populiste “capitalise toujours sur l’anti-Europe, la migration et le porte-monnaie des gens”, ses thématiques phares. Celles-ci ont d’ailleurs été très présentes dans l’actualité, avec l’afflux de migrants en mer Méditerranée, mais aussi avec la guerre en Ukraine qui a remis la question de la neutralité suisse sur le devant de la table. 

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Le principal sujet de préoccupation de cette campagne électorale a été l’augmentation du coût de la vie. “Plusieurs partis, dont l’UDC, le Parti socialiste à gauche et le Mouvement citoyens genevois, un parti populiste anti-frontaliers à Genève, ont fait campagne pour le pouvoir d’achat, avec chacun des arguments différents, note Amit Juillard. On voit que les Suisses ont voté avec leur porte-monnaie : le Parti socialiste est en légère progression et les mouvements populistes ont aussi capitalisé là-dessus”, poursuit-il.

Une influence sur la composition du gouvernement

Par ailleurs, ces élections ne déterminent pas encore la direction que prendra la politique suisse. Au mois de décembre, les deux chambres du Parlement se réuniront pour désigner les sept membres du Conseil fédéral. “Les élections parlementaires en Suisse ne déterminent pas la composition du gouvernement”, rappelle Pascal Sciarini. 

Sauf raz-de-marée électoral qui ne se produit jamais, on ne change pas la composition du gouvernement par une élection parlementaire.

Pascal Sciarini, professeur de sciences politiques à l'Université de Genève

Cette composition on la connaît à l’avance, c’est la fameuse formule magique et ses déclinaisons (les trois partis arrivés en tête des élections fédérales ont droit à 2 sièges et le quatrième parti a droit à un siège, NDLR), poursuit le professeur. Donc sauf raz-de-marée électoral qui ne se produit jamais, on ne change pas la composition du gouvernement par une élection parlementaire, ce qui a un effet désincitatif pour la participation.” 

Si le Parlement glisse à droite, la composition du Conseil fédéral, élu par l'Assemblée fédérale et non le peuple, ne devrait pas être remise en cause. Actuellement, l’UDC, le PS, le Parti libéral-radical (PLR) comptent deux sièges chacun. Le Centre possède un fauteuil. 

Ce 22 octobre, “le Centre a dépassé le PLR, un des partis historiques à la base de cet État-Nation”, note Amit Juillard. “L’enjeu sera de déterminer qui du Centre ou du PLR ne devra se satisfaire que d’un seul siège”, poursuit-il. Cependant, le journaliste ajoute que le président du Centre assure qu'“il ne va pas attaquer un siège d’un Conseiller fédéral qui ne démissionne pas”. De ce fait, il pense que “Le Centre attendra patiemment son heure pour essayer d’obtenir un siège à son frère ennemi du centre-droit.”