Suisse : la fusion de Credit Suisse et UBS inquiète

Le mariage forcé d'UBS et de Credit Suisse a permis d'éviter l'effondrement de la deuxième banque du pays mais va donner naissance à un établissement bancaire au poids sans précédent dans l'histoire helvétique. Avec trop de pouvoir? Responsables économiques et politiques s'interrogent.
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façade d'un immeuble UBS à Francfort
Le logo d'UBS sur un immeuble de Francfort.
© AP Photo/Michael Probst
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Avant même leur union, Credit Suisse et UBS faisaient partie des trente banques trop grosses pour qu'on les laisse couler et qui étaient déjà des piliers de l'économie suisse.

"Credit Suisse était vraiment la banque de l'économie et de l'industrie", a souligné auprès de l'AFP Philippe Cordonier, membre de la direction de Swissmem, l'organisation qui représente les fabricants de machines et d'équipements électriques, deuxième secteur des exportations helvétiques.

RE(voir) : Finances : dernière chance de rachat pour le Crédit Suisse
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Aux entreprises exportatrices, Credit Suisse offrait une gamme de services essentiels pour les transactions internationales, aussi bien pour "les paiements à l'étranger, les crédits, les leasing ou la couverture de changes", explique-t-il 

"Moins de concurrence"

"C'est là que se pose la question de savoir quelles compétences vont être gardées", s'interroge Philippe Cordonier, alors que les profils des deux banques, bien que proches, ne sont pas entièrement identiques.

Et pour l'heure beaucoup de questions sont sans réponses. UBS n'a eu que quelques jours pour se décider sous la pression des autorités suisses, alors qu'une telle transaction nécessite habituellement des mois de négociations. Son patron, Ralph Hamers, a reconnu lors d'une conférence pour les analystes qu'il n'avait pas encore "tous les détails" de ce rapprochement.

Toujours selon le représentant de l'entreprise Swissmen, Philippe Cordonier, l'alternative pourrait être de se tourner vers les banques cantonales, sachant que beaucoup n'ont pour l'instant pas les compétences pour aider les entreprises à exporter vers des marchés lointains, comme l'Asie, et vont devoir les développer. 

L'autre option est de faire appel à des banques étrangères, qui n'ont toutefois pas "des connaissances aussi pointues" du marché suisse, prévient-il.

"S'il n'y a plus qu'une seule grande banque qui a la capacité de travailler à l'étranger, cela va restreindre le choix de solutions pour les entreprises", soupèse cet ingénieur, qui s'inquiète aussi "des répercussions sur les coûts s'il y a moins de concurrence".

Inquiétudes des PME

Fondée en 1856 par Alfred Escher, le père du chemin de fer en Suisse, Credit Suisse est étroitement lié à l'essor économique du pays. Il a financé l'expansion du rail, la construction du tunnel du Gothard ou les débuts d'entreprises suisses devenues des leaders de leur secteur.

"Il y a 25 ans, il y avait quatre grandes banques" helvétiques, a rappelé la Fédération suisse des entreprises, qui représentent les PME. Car le secteur bancaire suisse a déjà vécu une phase de concentration en 1998 avec la fusion de l'Union de Banques Suisses et de la Société de Banque Suisse pour faire émerger l'actuelle UBS.

"La concentration sur un plus petit nombre de banques réduit la concurrence et rend plus difficile d'obtenir de bonnes conditions de financement pour les PME", s'est alarmée la fédération dans un communiqué. 

Ce rachat dans l'urgence a aussi suscité de virulentes critiques dans les milieux politiques suisses, toutes tendances confondues. Ils appellent à durcir encore la règlementation, pourtant déjà plus stricte en Suisse, face à ce nouveau géant qui va dominer le secteur bancaire helvétique.

"Solution rapide"

Une nationalisation partielle aurait "au moins" pu être envisagée, a estimé Tobias Straumann, professeur d'histoire économique à l'université de Zurich dans un entretien accordé au Berner Zeitung.

Carlo Lombardini, avocat et professeur de droit bancaire à l'Université de Lausanne, estime, lui, que le rachat par UBS "était sûrement la seule solution rapide et jouable". Il aurait cependant préféré une autre solution, comme un rachat "par une banque étrangère", a-t-il dit à l'AFP.

"Mais un grand groupe étranger ne rachète pas dans un week-end", admet-il. L'autre solution aurait été de nationaliser "pour valoriser la bonne banque" et regrouper les mauvais actifs dans une "bad bank" appelée à être liquidée, explique-t-il.  

Mais la question ne se pose plus, insiste le professeur Lombardini: "C'est comme si on se demandait ce qui se serait passé si Napoléon n'avait pas perdu Waterloo."

"Le vrai problème, c'est qu'on va avoir une banque encore plus 'Too big to fail' (Trop grosse pour faire faillite)", prévient-il.

Des risques de licenciements

Des dizaines de milliers d'emplois pourraient disparaître en Suisse à la suite de cette mégafusion et les syndicats demandent d'ores et déjà un plan de sauvetage pour les employés d'UBS et de Credit Suisse.

"L’enjeu est colossal pour les 17.000 employé-e-s de CS en Suisse. Directement ou indirectement, ce sont des dizaines de milliers d’emplois qui sont potentiellement menacés", met en garde l'Union syndicale suisse (USS) ce 21 mars.

"De nombreux emplois sont menacés", a reconnu l'Association suisse des employés de banque (ASEB), avertissant que l'incertitude à laquelle sont actuellement confrontés les employés du Credit Suisse était "extrêmement stressante"

"Une tempête se prépare, mais personne ne sait si elle va les frapper", souligne l'Association.

UBS va payer une somme presque symbolique de 3 milliards de francs suisses (un peu plus de trois milliards d'euros) en actions pour avoir accepté de reprendre une banque au bord de l'effondrement.

Ce sont les redondance des deux plus grandes banques en Suisse et ailleurs qui inquiètent les employés. Les deux géants comptent actuellement environ 120.000 collaborateurs dans le monde, dont quelque 37.000 en Suisse.  Mais une fois la méga-fusion consommée, il ne fait aucun doute que bon nombre de ces emplois deviendront superflus.

12.000 emplois supprimés

Les deux enseignes -les voiles pour Credit Suisse et les trois clés pour UBS - sont présentes dans bon nombre de villes en Suisse, souvent côte à côte et avec une offre très similaire. 

Les redondances sont donc nombreuses et le groupe de réflexion BAK Economics a averti dès lundi que pas moins de 12.000 employés basés en Suisse dans les deux banques pourraient voir leur emploi disparaître. 

Les experts semblaient convenir que les emplois les plus à risque se trouvaient parmi le personnel du Credit Suisse, et en particulier les quelque 17.000 personnes travaillant en Suisse ainsi que un nombre similaire d'employés de son unité de banque d'investissement. 

C'est par elle qu'une bonne partie des scandales qui ont miné la crédibilité de Credit Suisse sont arrivés et UBS a prévenu que cette branche d'activité allait être nettement réduite. 

"On risque de se retrouver sur le marché avec beaucoup de gens qui ont des compétences financières, mais plus de travail", a prévenu Stephane Garelli, professeur au International Institute for Management Development sur les ondes de la radio publique RTS.

La fondation Ethos, qui représente les fonds de pension en Suisse et détient des participations dans les deux banques, a pressé les autorités suisses et UBS de céder les activités nationales du Credit Suisse, considérées comme saines. "Cela permettrait de préserver les emplois et de maintenir une saine concurrence, garante du bon fonctionnement de notre économie", a-t-elle souligné. 

"Plan de sauvetage"

Les syndicats suisses réclamaient quant à eux que les banques et les gouvernements lancent un vaste "plan de sauvetage" pour les salariés impactés. 

"Le sauvetage des banques doit également signifier le sauvetage des emplois", a estimé l'ASEB, qui a créé un groupe de travail comprenant des personnes d'UBS et du Credit Suisse, soutenu par le gouvernement, en vue de mettre en place un plan de sauvetage pour le personnel. Elle réclame entre autres "un gel des licenciements jusqu'à fin 2023"

S'il y a actuellement une pénurie de travailleurs qualifiés dans le secteur financier suisse, l’association craint que le nombre de suppressions d'emploi soit trop élevé pour que le marché du travail puisse les absorber. 

Selon l'USS, les deux banques "ont la responsabilité d'éviter des suppressions d'emplois brutales (...) Les collaborateurs du Credit Suisse ne doivent pas payer pour les erreurs commises par leurs managers et les autorités."