L'économie allemande se porte mieux que la française et Nicolas Sarkozy a fait du modèle allemand un argument de campagne électorale : il suffirait donc de suivre ce modèle en place Outre-Rhin pour résoudre une grande partie des problèmes de l'Hexagone. Mais quel est exactement ce modèle ? Sur quoi s'appuie-t-il ? Quels sont ses qualités et ses défauts ? Est-il soutenable à long terme ?
Il y a dix ans, le modèle espagnol était une référence pour une partie des politiques françaises. Comme le modèle irlandais. Chômage faible, ou en baisse constante, croissance forte, marché immobilier dynamique, impôts bas. Dix ans plus tard, l'Irlande s'est effondrée et ne s'est toujours pas relevée d'une crise financière sans précédent, révélant les faiblesses abyssales et structurelles de son modèle économique. Tout comme l'Espagne avec sa bulle immobilière, ses crédits faciles et son économie factice. Aujourd'hui, le modèle allemand serait le nouvel horizon à atteindre : exportations bénéficiaires, chômage faible, croissance la plus élevée de la zone euro. Les raisons invoquées de ces performances ? Selon le chef de l'Etat, la compétitivité bien plus grande de l'Allemagne est due à son modèle économique (et social) au sein duquel le temps de travail est plus élevé, le coût du travail, plus bas et les entreprises moins taxées.
Au delà du simple fait que ces affirmations sont erronées ou sujettes à caution, le modèle économique allemand repose sur un socle bien plus large que ces seuls critères, les fonctionnements macro économiques et entrepreneuriaux étant forts différents entre les deux pays "moteurs" de l'Union européenne. Sortir des idées fausses et préconçues La compétitivité allemande n'est pas due, entre autres, à un temps de travail plus important de ses salariés : les Allemands travaillent moins annuellement que dans la plupart de pays européens, et moins que les Français :
Au nom d'un coût du travail trop élevé, le président français souhaite instaurer une TVA dite sociale qui consiste à faire basculer une portion des cotisations salariales vers la
TVA. Argument présidentiel une nouvelle fois : l'exemple Allemand. Selon Nicolas Sarkozy, le coût du travail serait nettement moins élevé en Allemagne qu'en France. C'est en partie faux.
Si dans les services marchands, les coûts salariaux sont plus faibles en Allemagne qu'en France, ils sont identiques dans l'industrie manufacturière. Les coûts français peuvent être supérieurs de 26 % dans l'industrie alimentaire mais inférieurs, par exemple, de 29 % dans le secteur automobile. Tous secteurs confondus, le coût horaire du travail est plus élevé en France (32,19 euros) qu'Outre-Rhin (29,36 euros), mais cette différence d'à peine 3% ne saurait expliquer à elle seule l'écart de compétitivité entre les deux pays. L’impôt sur les sociétés est quasiment identique: entre 30 et 33% en Allemagne, 33,3% en France mais les niches fiscales permettent à de nombreuses grandes entreprises françaises de payer en réalité nettement moins. La compétitivité est multifactorielle Guillaume Duval, journaliste à Alternatives Economiques, ayant longtemps travaillé en Allemagne, établit les critères de compétitivités économiques de façon beaucoup plus pointue que ce qui est renvoyé communément par les responsables politiques français adeptes du modèle allemand : "il y a les facteurs de coûts de production, les facteurs hors coûts de productions donc de relations sociales et ce qu'on peut appeler le train de révolution industrielle. On ne peut pas comparer la compétitivité des deux pays sans regarder attentivement ces trois facteurs. Sur le coût du travail, il est certain que l'Allemagne a su absorber la hausse de l'euro face au dollar, ce que n'a pas su faire la France. Entre 2000 et 2010, le coût salarial aux USA a baissé de 31% par rapport à la France, le Japon de 39%, alors que l'écart n'a été que de 15% entre l'Allemagne et ces deux pays durant cette période : grâce à cette compression des coûts salariaux, l'Allemagne a littéralement siphonné l'industrie française et italienne. Cette compression [du coût du travail] a joué en faveur de la compétitivité allemande, mais ne suffit pas à expliquer la solidité actuelle de ce qui est appelé le modèle allemand." L'Allemagne soutient son économie (et donc son emploi) pour beaucoup grâce à une capacité d'exportation industrielle très forte, mais cette capacité à l'exportation est historique, c'est une très vieille spécialisation explique Guillaume Duval : "L'Allemagne est spécialisée depuis très longtemps dans le haut de gamme, plus particulièrement les voitures qui sont un savoir-faire industriel peu répandu. Mais l'Allemagne est aussi spécialisée dans la construction de machines : chaque usine qui est construite dans le monde va acheter des machines allemandes, et la demande des pays émergents comme la Chine, le Brésil est très forte depuis plusieurs années. En plus, les allemands ont su sous-traiter partiellement une partie de la demande industrielle à des pays d'Europe centrale à bas-coûts..."
Quant aux dépenses en recherche et développement des entreprises dans les deux pays, elles donnent une bonne idée du retard qu'a pris la France vis à vis de l'Allemagne en termes de capacités d'innovations.
les oublis du candidat sarkozy a propos du modèle allemand Au delà de la compression des coûts, de la spécialisation à l'exportation, l'Allemagne a su prendre "le train de la nouvelle révolution industrielle" d'après le journaliste d'Alternatives Economiques : "la conversion vers les énergies nouvelles est très importante, parce qu'elle est créatrice d'emploi : l'Allemagne a su investir depuis des nombreuses années dans ce train de révolution industrielle ce qui tire son économie vers le haut." Mais si l'on veut parler de modèle allemand, il faut aussi regarder du côté des facteurs hors-coûts. "Il y a une idée allemande très importante pour l'adaptation des entreprises, des secteurs, c'est celle des conseils locaux des Länder : ce sont des réseaux locaux de partage d'expertise, d'expérience qui régénèrent en permanence le tissu productif, entretiennent la compétitivité . Ces réseaux n'existent pas en France." Mais ce que ne dit pas Nicolas Sarkozy à propos du modèle allemand se situe du côté de la gestion des entreprises : au plus fort de la crise, en 2008-2009, alors que l'Allemagne subissait une récession plus forte que la France, le chômage n'a pas augmenté. Le journaliste d'Alternatives Economiques en donne les raisons : "Le recours au chômage partiel pour conserver les emplois a été bien plus utilisé Outre-Rhin qu'en France, au plus fort de la crise. Cette souplesse est propre au modèle de co-gestion allemand : une partie des salariés fait partie des conseils d'administrations des entreprises et peut faire pencher la balance en faveur de la conservation des emplois, cet équilibre des pouvoirs n'existe pas en France et il a été décisif au cours de la crise." Dans le même temps, l'Allemagne dans sa capacité d'adaptation aux fluctuations économiques effectue depuis des années des ajustements salariaux qui soutiennent l'économie mais accentuent une crise sociale de plus en plus importante. Le recours au temps partiel s'accentue et actuellement 2,5 millions de salariés travaillent pour moins de 5 euros de l'heure, l'Allemagne n'ayant pas de salaire minimum.
Un modèle social à l'avenir incertain Si d'un point de vue compétitivité économique l'Allemagne possède un modèle qui lui est propre et lui a permis de se maintenir au plus haut niveau européen et mondial durant ces dix dernières années, cela s'est fait au détriment du modèle social, comme le souligne Guillaume Duval : "Il n'y a pas assez de crèches en Allemagne, les gens demandent l'école toute la journée pour pouvoir plus facilement travailler quand leurs enfants sont scolarisés. L'Allemagne est le pays de l'OCDE qui a le moins investi dans ses services publics, et cela commence à se ressentir dans tous les secteurs. Il y a beaucoup de travailleurs pauvres, les fondements de la cohésion sociale commencent à être sapés." Et le journaliste de conclure : "L'Allemagne est le pays, avec la Bulgarie, qui détient le record des inégalités aujourd'hui en Europe. Je ne suis pas sûr que l'Allemagne supportera socialement à long terme le modèle dans lequel est elle est inscrite. Dans 10 ans il est probable que ce pays fera nettement moins d'envieux..."