SwissLeaks : voyage au cœur de l’évasion fiscale

Le Temps et ses partenaires dévoilent le contenu des données soustraites par Hervé Falciani chez HSBC à Genève. Elles montrent la face cachée du secret bancaire, les ruses pour dissimuler l’argent non déclaré. La banque admet ses « défaillances » passées.
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SwissLeaks : voyage au cœur de l’évasion fiscale
L’un des bâtiments principaux de HSBC, à Genève. Au moment de son expansion maximale, en 2007-2009, la banque privée gérait plus de 120 milliards de dollars répartis sur près de 30?000 comptes.
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Le coup est immense, retentissant. Durant des années, la masse de données soustraites par l’informaticien Hervé Falciani chez HSBC à Genève, en 2006-2008, était restée sous clé, connue seulement de la justice et de quelques administrations fiscales. Des éléments limités avaient fuité dans la presse, en France et en Belgique. Aujourd’hui, ce que l’on peut en comprendre devient accessible à un public mondial. Elles dévoilent, comme jamais auparavant, les relations entre banquiers suisses et leurs clients étrangers durant l’âge d’or du secret bancaire.

Les informations copiées par Hervé Falciani dans les ordinateurs de la banque portent sur 59?802 comptes remontant jusqu’aux années 1980, et qui contenaient plus de 102 milliards de dollars en 2006-2007. Ces éléments ont été transmis par l’employé renégat au fisc français fin 2008. Les fonctionnaires ont ensuite reconstitué les données brutes pour en faire des fiches lisibles et cohérentes.

Ce matériau a pu être consulté grâce au journal Le Monde qui en a reçu copie par une source officielle française. Le quotidien a mis les informations à la disposition du Consortium des journalistes d’investigation (ICIJ), basé à Washington, qui les a partagées avec plus de 50 médias internationaux, dont Le Temps et d’autres titres suisses. Le nom générique « SwissLeaks » – les « fuites suisses » – a été choisi pour désigner l’opération.

A l’époque de la soustraction de données, HSBC Private Bank (Suisse), son nom officiel, était la plus grande banque étrangère du pays. Un établissement flamboyant, qui offrait des ponts d’or à ses employés et recevait ses clients dans un palais postmoderne orné de colonnades, de marbre et de bois précieux. Au moment de son expansion maximale, en 2007-2009, elle gérait plus de 120 milliards de dollars répartis sur près de 30?000 comptes.

Derrière ces chiffres se cachait une clientèle aussi riche que chatoyante. On y trouve des acteurs très connus, des footballeurs, des têtes couronnées du Proche-Orient, des chefs d’entreprise, des grands noms de la mode, des joailliers, des milliardaires, des rentiers. Ainsi que des milliers d’anonymes venus placer des fonds en majorité non déclarés aux impôts de leur pays.

Conformément aux principes usuels en Suisse, Le Temps et ses partenaires médias helvétiques ont décidé de ne pas publier leurs noms. Etre riche ou célèbre n’est pas, en soi, une raison suffisante pour voir divulgués les détails d’une situation financière. En ­revanche, l’intérêt public justifie de publier les noms de personnalités politiquement exposées dont il est connu qu’elles sont sous enquête, de criminels condamnés, de hauts personnages impliqués dans des comportements douteux. Et HSBC en comptait beaucoup parmi ses clients.

Ainsi, Frantz Merceron, un ancien ministre des Finances haïtien, avait un compte chez HSBC des années après que son rôle dans le pillage de l’île par Jean-Claude Duvalier a été révélé. Un chef d’entreprise turc, placé sous sanctions américaines pour avoir aidé le programme nucléaire libyen, figure aussi sur les listes de clients HSBC. Tout comme un avocat anglais dont l’implication dans une vaste opération de corruption au Nigeria était déjà connue alors que son argent s’accumulait dans la banque genevoise. Et d’autres encore.

Depuis cette époque, HSBC Suisse a beaucoup changé. Elle s’est séparée des deux tiers de sa clientèle, jugée trop à risque ou dont les comptes n’étaient pas déclarés. La banque admet des « défaillances passées » dans ses systèmes de contrôle anti-blanchiment. Elle reconnaît avoir ouvert trop de comptes douteux. Elle précise avoir obéi aux standards suisses de l’époque en matière de conformité fiscale des clients, qui étaient « significativement plus bas » que ceux d’aujourd’hui.

Ces révélations renforcent la pression qui s’exerce déjà sur la place financière suisse. Elle doit purger, de manière accélérée, la masse d’argent non déclaré accumulée à l’époque du secret bancaire. L’échéance, c’est 2018, avec la mise en application de l’échange automatique d’informations bancaires entre pays.

Dans cette perspective, les révélations de SwissLeaks permettent de mesurer l’ampleur du défi que doivent relever les banques.