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Syrie : Il faut sauver Idlib

La dernière zone contrôlée par l’opposition vit dans l’attente d’une offensive du régime et de ses alliés. L’ONU et les ONG s’inquiètent des conséquences catastrophiques en cas d’assaut.

Deux réunions le même jour pour éviter un "bain de sang", selon les termes de Staffan de Mistura, envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie. Un sommet à Téhéran, entre les présidents russe, turc et iranien. L’autre à New York, au Conseil de sécurité. Le sort d’Idlib, province du nord-ouest syrien, se joue ce vendredi. Une absence d’accord permettrait au régime syrien de passer à l’offensive dans une région surpeuplée et épuisée par sept ans de guerre.

Castastophe humanitaire à grande échelle

Les conséquences humanitaires en seraient dramatiques, même à l’échelle de la guerre syrienne et de ses massacres routiniers. Avant 2011 et le déclenchement de la révolution, la province d’Idlib comptait moins de 900 000 habitants. Ils sont aujourd’hui environ 3 millions. Ils se sont massés dans la région au fil de la guerre, déplacés fuyant les combats et opposants, armés ou non, qui quittaient des zones reprises par le régime de Bachar al-Assad dans le cadre d’accords négociés. Ils viennent de tout le pays, d’Alep (nord), de la Ghouta (banlieue de Damas), de Raqqa (est) ou de Deraa (sud). Les plus riches ont pu louer appartements ou maisons. Mais des centaines de milliers de personnes vivent sous des tentes, dans des camps improvisés.

En cas d’offensive et de bombardements aériens massifs, elles n’auraient nulle part où aller. La Turquie a érigé un mur le long de la frontière qui court au nord. La franchir illégalement reste possible, mais à condition de payer un passeur au moins 2500 dollars (2 150 euros). La seule échappatoire réside dans la bande qui court entre la frontière et le nord d’Alep, d’Azaz à Afrin. La région est contrôlée par la Turquie, mais elle est aussi surpeuplée.

Rejoindre une zone tenue par le régime n’est que rarement une option, la plupart des habitants d’Idlib figurant sur des listes de personnes recherchées et risquant la torture à mort dans des prisons. "Les gens ont bien trop peur d’Al-Assad. Ils cherchent juste une protection, quelle qu’elle soit", explique Oussama Charbaji, directeur de l’ONG syrienne Afaq, implantée à Idlib.

Depuis deux semaines, ONG et politiques multiplient les avertissements sur la catastrophe humanitaire à venir. "Une recrudescence des hostilités et leur extension à toute la région d’Idlib pourraient jeter des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes sur les routes, a déclaré le CICR. Ces gens ne pourront pas supporter les conséquences d’une énième offensive utilisant des tactiques interdites, comme la privation de nourriture et les bombardements aveugles", a affirmé Amnesty International. Les dix pays non-membres permanents du Conseil de sécurité ont réclamé "une solution pacifique," et appelé les parties concernées à prendre "toutes les mesures possibles" pour protéger les civils.

Deux principales forces en présence

La province d’Idlib, rurale et à large majorité sunnite, est l’une des premières à avoir basculé dans l’opposition armée, dès la fin 2011. Elle compterait aujourd’hui environ 50 000 hommes armés. Au fil des recompositions, des luttes intestines et des défections, l’opposition en est venue à se diviser en deux blocs principaux. D’un côté, soutenu par la Turquie, le Front de libération national, qui rassemble entre autres les salafistes d’Ahrar al-Sham et différents groupes issus de l’Armée syrienne libre, fondée par des déserteurs de l’armée syrienne ; de l’autre, les jihadistes d’Hayat Tahrir al-Sham (HTS).

Ce groupe, lui aussi une coalition, regroupe d’anciens combattants du Front al-Nusra, branche syrienne d’Al-Qaeda. HTS a ensuite renié son appartenance à l’organisation jihadiste. Leurs dirigeants s’accusent mutuellement de trahison. Si les combattants du Front de libération nationale sont plus nombreux que ceux de HTS, ils restent moins bien organisés.

Idlib compte d’autres groupes jihadistes, tel Hurras al-Din, lié à Al-Qaeda, ou le Parti islamique du Turkestan. L’Etat islamique conserve dans la région des cellules qui commettent assassinats et attentats à la voiture piégée. Isolé, il est en guerre aussi bien avec HTS qu’avec le Front de libération nationale.

La Turquie, qui a installé 12 postes d’observation, tente de convaincre HTS de se dissoudre pour éviter que sa présence ne justifie l’offensive de Damas contre des "terroristes". En août, elle a envoyé à Idlib Ahmad Tomeh, ex-chef du gouvernement provisoire de l’opposition, pour rencontrer Abou Mohammed al-Joulani, le leader d’HTS. "Il a essayé de les convaincre de se débarrasser des combattants étrangers et de dissoudre son groupe mais Joulani a refusé", explique une source de l’opposition. Face à l’imminence d’une attaque du régime, la direction de HTS a fait savoir qu’elle était prête à discuter, alors que la Turquie avait rompu les contacts.

Une solution diplomatique ?

Avant de savoir si elles seront déterminantes, les discussions à Téhéran ce vendredi entre Poutine, Erdogan et Rohani risquent d’être tendues. Les trois pays partenaires et décideurs sur le dossier syrien ne partagent ni les mêmes ambitions, ni les mêmes préoccupations sur le sort d’Idlib. En cohérence avec leur engagement politique et militaire au côté du régime de Bachar al-Assad pour la reconquête de l’ensemble du territoire syrien, Russie et Iran affichent leur détermination à mener la bataille pour la reprise de la dernière province encore contrôlée par la rébellion syrienne. Moscou justifie la nécessité de l’offensive sur Idlib par le "nouveau nœud du terrorisme qui s’y est formé", selon les termes du porte-parole du Kremlin, qui insiste aussi sur la "menace importante pour [les] bases militaires [russes] en Syrie". Encore plus déterminé à défendre sa présence dans le pays, l’Iran vient de signer un accord de défense supplémentaire avec le régime Assad.

Syrie Iran

Le président Syrien Bachar el-Assad rencontre le ministre iranien de la Défense, Amir Hatami, à Damas, en Syrie, le 26 août 2018. L'Iran soutient Assad dans la guerre depuis sept ans.

@ SANA via AP


En première ligne, la Turquie tente de s’opposer à une offensive de grande envergure à sa frontière mais entretient une position ambiguë, surtout dans ses rapports avec les groupes islamistes radicaux, du fait de la priorité de son combat contre les Kurdes syriens du PYD (branche du PKK).

La montée de la pression autour d’Idlib ces derniers jours a été l’occasion d’une reprise de contact entre la Turquie et les Etats-Unis, dont les relations tendues ont atteint de plein fouet l’économie turque et fait chuter la livre. Le représentant américain spécial pour la Syrie, James Jeffrey, a effectué mardi une visite à Ankara et s’est entretenu avec le ministre turc de la Défense.

La Turquie pourrait voir sa position renforcée au sommet de Téhéran face aux Russes et aux Iraniens par le regain d’intérêt soudain de Washington pour le dossier syrien. La multiplication des mises en garde américaines, y compris de la bouche de Trump, a été suivie par la convocation d’une réunion extraordinaire du Conseil de Sécurité de l’ONU, ce vendredi. Difficile toutefois d’y déceler une nouvelle volonté américaine d’agir sur le dossier syrien, dont Trump a affirmé plus d’une fois vouloir se désengager.

Intervention occidentale ?

Pour le moment, les déclarations conjointes ou séparées de Washington, Paris et Londres, tout en sonnant l’alarme humanitaire, n’envisageaient d’intervenir qu’en cas d’usage d’armes chimiques par le régime syrien dans son offensive sur Idlib. Les mises en garde des Occidentaux ont été souvent interprétées par les opposants syriens comme un feu vert à une offensive par armes conventionnelles. "La France exige des attaques non chimiques sur Idlib", titrait même la nouvelle chaîne de télévision Sourya, basée en Turquie.

► Retrouvez l'intégralité de l'article de Luc Mathieu et Hala Kodmani sur le site de nos partenaires suisses Le Temps