Les combattants de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) – groupe sunnite intégriste lié à Al-Qaida – cristallisent l’attention politique et médiatique de ces derniers jours. En Syrie, un nouveau front s'ouvre dans la guerre du côté de la rébellion. L'EIIL est la cible des attaques d'autres groupes d'opposition, autrefois ses alliés. En Irak, l'Etat islamique en Irak et au Levant, toujours, a fait tomber dans son giron deux villes du pays. Une manière d'asseoir son autorité. Pourquoi ce groupe prend-il ainsi de l’importance ? Où agissent ses combattants ? Comment sont-ils financés ? Réponses.
Les forces de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), groupe sunnite extrémiste et émanation d’Al-Qaida, sont actuellement la cible d’attaques d’une coalition de rebelles syriens. Les combats entre factions de l’opposition ont fait près de 275 morts depuis vendredi dernier. Le chef du Front Al-Nosra, affilié à Al-Qaida également, a appelé mardi 7 janvier à un cessez-le-feu. Mais l’EIIL n’entend pas reculer. Son porte-parole cheikh Abou Mohammed al-Adnani a lancé à ses combattants : « Anéantissez-les (rebelles) et (…) soyez certains de la victoire de Dieu ». L’EIIL n’est pas seulement sur le devant de la scène politique en Syrie mais aussi en Irak où le groupe a repris le pouvoir dans deux villes : Fallouja et Ramadi. Son adversaire, l’Etat, veut, pour l’instant éviter une réponse armée qui pourrait réveiller le conflit entre sunnites et chiites. Pourquoi ce groupe sunnite intégriste fait-il autant parler de lui ces derniers jours ? Qu’est-ce qu’il représente ? Qui le compose ?
Origine de l’EIIL « L’Etat islamique d’Irak (EII) a été formé en octobre 2006, selon Romain Caillet, chercheur à l’Institut Français du Proche-Orient (IFPO) et consultant sur les questions islamistes. La principale composante était la branche irakienne d’Al-Qaida mais aussi des tribus irakiennes et d’autres groupes djihadistes. Au moment où les conflits en Syrie ont évolué (2011, ndlr), le chef de l’Etat islamique d’Irak a envoyé un de ses lieutenants en Syrie. Ils ont pris le nom de Jabhat an-Nusra (le Front Al-Nosra, ndlr), comme couverture médiatique et sécuritaire des activités de l’EII en Syrie. Mais la direction de Jabhat an-Nusra a voulu prendre son indépendance. Pour stopper cela, l’EII a révélé au monde en avril 2013 que le Jabhat an-Nusra était en fait le bébé de l’EII, et que maintenant , les deux noms « Jabhat an-Nusra » et « EII » ne feraient plus qu’un : l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL). Mais le chef de Jabhat an-Nusra, Abû Muhamad al-Jûlânî , a refusé afin de garder Jabhat an-Nusra (le Front Al-Nosra qui combat aujourd’hui en Syrie contre l’EIIL, ndlr). La scission s’est en réalité faite entre ceux qui voulaient rester sous le commandement de l’EII et l’intégrer, et ceux, qui restaient en Syrie avec le Front Al-Nosra. » Les combattants Pour le chercheur Romain Caillet, « Il y a une majorité d’étrangers que l’on peut décomposer en trois groupes : des combattants arabes (Libyens, Saoudiens, Tunisiens, ...), des combattants du Caucase plutôt issus de la diaspora tchétchène que des djihads en Tchétchénie, et des combattants occidentaux. Il y a aussi des Syriens. L’EIIL s’appuit sur les tribus syriennes. »
Leurs buts « L'EIIL a réussi à tirer profit de ses réseaux et de ses capacités en Irak pour avoir une présence forte en Syrie, et il a utilisé sa présence en Syrie pour renforcer ses positions en Irak », explique à l’AFP Daniel Byman, un expert au Brookings Institution's Saban Center for Middle East Policy. L’EIIL tend réellement à imposer un Etat, son Etat, sa loi (islamique) en Irak ou en Syrie. « Cela fait quelque temps que (l'EIIL) gagne en puissance, en contrôle du territoire et en influence à Anbar (en Irak, ndlr)» , rappelle à l’AFP Charles Lister, un expert au Brookings Doha Center. « Ses objectifs dépassent largement l'Irak, mais son projet transnational d'établir un Etat islamique dans tout le Levant ne peut se faire qu'en assurant d'abord son contrôle sur une série de mini-Etats, ajoute-t-il. Dans le contexte irakien, les provinces d'Anbar et aussi de Ninive sont d'une importance cruciale en raison de leurs liens directs avec l'est de la Syrie.» Financements L’EIIL prélèverait des taxes sur les sunnites d’Irak, selon le chercheur Romain Caillet qui souligne que « Le Washington Post (mais aussi le
Council on foreign relations américain ) avait estimé que rien qu’à Mossoul. L’EIIL récoltait en un mois 8 millions de dollars soit près de 100 millions de dollars par an. » Leurs financements proviendraient aussi de vols, kidnappings, extorsions de fonds. Pas de parrainage d’autres pays alors ? « Ils ne sont pas financés par des pays du Golfe. Les djihadistes sont considérés comme des ennemis par les régimes du Golfe, explique Romain Caillet. Les brigades de l’Armée Syrienne Libre qui combattent aujourd’hui l’EIIL sont financées et soutenues par l’Arabie Saoudite. Les Saoudiens qui vont combattre et rejoindre les rangs de l’EIIL sont sanctionnés quand les services saoudiens parviennent à les empêcher de partir. »
Les causes de la scission dans l’opposition en Syrie Ces derniers jours, l’EIIL fait face à une montée de représailles violentes à son égard. Les groupes d’opposition syriens accusent régulièrement l’Etat islamique en Irak et au Levant d’enlèvements, de meurtres de civils et de rebelles rivaux. L’opposition syrienne reproche aussi à l’EIIL d’être « étroitement lié » au régime de Bachar al-Assad, selon un communiqué de la Coalition de l’opposition. De son côté, l’EIIL entretient une vraie méfiance à l’égard des brigades de l’Armée syrienne libre qu’il accuse d’entretenir des liens avec les services secrets occidentaux, selon le chercheur Romain Caillet. L’EIIL craint de voir son autorité remise en cause et veut asseoir sa domination. En représailles d’attaques subies dans ses rangs, l’EIIL « a tué des salafistes d’Ahrar al-Sham (groupe d’opposition syrienne, ndlr) et le corps du pédiatre Hassan Sulayman, également un commandant de Ahrar al-Sham a été retrouvé. Il est apparemment mort sous la torture et a été mutilé. Cela a provoqué un choc dans les régions autour d’Alep. Il y a eu des manifestations contre l’EIIL dans toutes les villes qui n’étaient pas tenues par l’EIIl. A partir de là, l’ASL et les brigades islamiques modérées se sont basées sur une légitimité populaire pour attaquer l’EIIL. » Les alliés d’hier sont devenus des ennemis. Le Front islamique, l’armée des Moujahidines (islamiste) et le Front des révolutionnaires de Syrie auxquels s’est joint le Front Al-Nosra, émanation d’Al-Qaida en Syrie, et anciennement lié à l’EII, s’attaquent à l’Etat islamique en Irak et au Levant. Depuis ce lundi 6 janvier, le quartier général de l’EIIL à Raqqa dans le nord de la Syrie a été assiégé par des rebelles qui poursuivent leur offensive contre ce groupe. Les rebelles ont libéré 50 détenus de l’EIIL mais pas les quatre otages journalistes français qu’ils sont censés détenir. Romain Caillet, voit aussi dans cet envenimement des relations entre rebelles des facteurs internationaux. Avec l’approche de la conférence pour la paix Genève 2 qui se tiendra en Suisse le 22 janvier : « L’ASL veut prouver qu’elle est encore bien vivante. Le Front islamique al-Nosra (branche syrienne d'al-Qaïda), lui, ne souhaite pas être reconnu par la communauté internationale mais plutôt apparaître comme des gens raisonnables aux yeux des autres brigades de la rébellion syrienne », souligne-t-il.
Regain de force en Irak En Irak, le groupe sunnite proche d’Al-Qaida a pris le contrôle de la ville de Fallouja, située à 60km de Bagdad et certains quartiers de Ramadi. Depuis le vendredi 3 janvier, les violences autour de ces villes ont fait plus de 230 morts selon les autorités. C’est la première fois --depuis l’insurrection qui avait suivi l’invasion américaine de 2003- que des militants liés à Al-Qaida reprennent le pouvoir de zones urbaines Le Premier ministre chiite irakien Nouri al-Maliki a demandé lundi 6 janvier à « la population de Fallouja et à ses tribus de chasser les terroristes ». Mardi 7 janvier, changement de discours. Les autorités irakiennes assuraient que plus aucun membre de l’EIIL n’était dans Fallouja, désormais contrôlée par les hommes des tribus. L’armée a affirmé de son côté qu’aucune action militaire ne serait menée dans l’immédiat afin officiellement d’épargner les civils…Après qu’une frappe de l’armée de l’air irakienne a tué 25 insurgés mardi 7 janvier. « Nouri al-Maliki n’intervient pas pour l’instant car ils savent que si l’armée chiite attaque Fallouja, ce sera vu comme une attaque des chiites contre les sunnites, souligne Romain Caillet. Cela va solidariser les sunnites avec l’EIIL, c’est pour ça qu’ils veulent l’éviter. Aujourd’hui, ils cherchent à ce que ce soit les tribus sunnites qui attaquent l’EIIL mais ça ne marche plus car la majorité de ces tribus sont, soit solidaires de l’EIIL soit préfèrent encore l’EIIL au régime de Maliki. » Washington, qui a quitté le pays depuis plus de deux ans mais reste le principal partenaire (et fournisseur ?) en sécurité de l’Irak, accélère la livraison de missiles et de drones de surveillance dans le pays. Le secrétaire d’Etat américain John Kerry réserve sa réponse quant au soutien américain à apporter aux autorités irakiennes dans ce « combat qu’elles doivent à terme gagner elles-mêmes », a-t-il déclaré. L’Iran, à majorité chiite, s’est dit prêt à fournir des équipements militaires pour lutter contre Al-Qaida. « Cette proposition d’aide au régime de Maliki est peut-être une vrai volonté de davantage s’impliquer en Irak après avoir pris le contrôle du reste du régime de Bachar al-Assad, explique Romain Caillet. Ou alors, c’est simplement un chantage effectué sur les Américains pour les forcer à envoyer des drones.»