Syrie : la fin d'un rêve et d'un cauchemar

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Poster de Assad

Un combattant syrien déchire un portrait de Bachar El-Assad dans les rues de Damas ce 12 décembre.

 

AP Photo/Hussein Malla
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Bachar El-Assad parti, tel un voleur, reste le peuple syrien, délivré, certes, mais livré à lui-même et dont le sort dépend désormais du bon vouloir d’un ex-chef djihadiste soudain reconverti en « libérateur ». Il n’empêche, le sauve-qui-peut de l’ancien ophtalmologiste londonien et chef de l’Etat déchu tire un trait définitif sur plus d’un demi-siècle de pouvoir absolu d’un clan familial qui a réduit la Syrie à un fief mi féodal mi mafieux.

Si l’épée de Damoclès du tyran ne plane plus sur la tête de chaque syrien, des avions-bombardiers turcs et américains hantent plus que jamais le ciel de la Syrie, déversant un feu incessant sur tout endroit abritant peu ou prou des débris djihadistes de Daech ou d’Al-Qaïda. 

Pis, mettant à profit et l’horreur des prisons enfin ouvertes et la liesse des foules qui redonnent de la voix, l’aviation d’Israël a entrepris de détruire par le menu l’armée nationale d’un bout à l’autre du pays. Bases navales, aérodromes militaires, avions et hélicoptères, stations radars et entrepôts de munitions, casernes et centres de recherches, tout le tissu industriel ainsi que la chaîne logistique sont désormais inopérant, hors service.

Le parti Baas était l’unique formation du cru prônant une identité nationale « arabe », faisant fi de toute affiliation ethnique, religieuse ou tribale.

Hier dictature militaire, la Syrie, aujourd’hui, n’a plus d’armée nationale, on pourrait même déclarer qu’elle est un Etat démilitarisé. Ainsi, face à un exécutif, ou ce qu’il en reste, désarmé se dressent des milices djihadistes, elles surarmées pour le coup, par les Turcs et autres alliés ou sponsors du Golfe. 

Qu’adviendra-t-il quand le nouveau pouvoir rejailli des ruines de l’ancien devra mettre au pas ces milices afin de les faire rentrer dans le rang national ? Privé sinon amputé de bras armé, que pourrait-il face à des factions djihadistes ? Ou serait-il alors l’otage et l’obligé des parrains et autres tuteurs qui auront conduit cette soi-disant « révolution » ?

Madjal Shams

L'armée israélienne a multiplié les bombardements contre les installations de l'armée syrienne.  Images de soldats israéliens franchissant la ligne de cessez-le entre Tel-Aviv et Damas, ce 12 décembre, dans la ville de Majdal Shams.

 

AP Photo/Matias Delacroix

Donc, l’Armée arabe syrienne a fait long feu. Voilà que la direction du Baas déclare la mort clinique du premier et seul parti panarabe, dont on pourra dire, désormais, que Damas en fut l’ultime refuge. 

Fondé dans un café à Damas début avril 1947 par trois intellectuels syriens -francophones-, le chrétien Michel Aflak (mort en exil à Paris), l’alaouite Zaki El-Arsouzi (un diplômé de la Sorbonne) et le sunnite Salah El-Din Bitar (assassiné à Paris sur ordre du clan Assad), le parti dont le nom arabe veut dire « Renaissance », est l’unique formation du cru prônant une identité nationale « arabe », faisant fi de toute affiliation ethnique, religieuse ou tribale.

Des chrétiens orthodoxes prient à Damas

Des chrétiens syriens orthodoxes prient à Damas ce 15 décembre. (AP Photo/Hussein Malla)

Chrétiens, druzes, juifs, alaouites, musulmans, ismaéliens, tous issus de minorités y voient aussitôt le parti idéal où ils peuvent vivre sur un pied d’égalité avec les citoyens sunnites majoritaires. Et s’y précipitent, au point de s’y retrouver en quasi majorité, à l’instar de ceux qui adhèrent au parti communiste, celui de la Syrie sera du reste animé par un Kurde, Khaled Bakdach.

 La fuite du chef de l’Etat syrien est l’ultime coup de grâce porté au ci-devant camp « moderniste » et une sacrée revanche historique pour le camp « réactionnaire ».

Au rebours de ce courant idéologique séculier et moderniste se cristallise, en parallèle, un mouvement conservateur, fondé sur l’islam là où la doctrine du Baas se réclame, elle, de la culture arabe incluant, en esprit et sur le papier en tout cas, tous les arabophones. Depuis la création de la Ligue arabe, au Caire début 1945, par les six Etats alors indépendants dont la Syrie aux côtés de l’Arabie saoudite, du Liban, de la Jordanie, du Yémen et l’Irak, l’un et l’autre courant se livreront un combat aussi feutré – « fraternité arabe » oblige- qu’implacable.

La fin de l’Union soviétique, le début de la fin pour le camp "progressiste"

Une véritable guerre Froide arabe opposera depuis lors, le camp « progressiste » ayant pour pôles Le Caire et Damas ralliant Alger, Sanaa, Khartoum, Bagdad, Tripoli, Mogadiscio et le camp « réactionnaire » regroupé autour de Riyadh et regroupant, pêle-mêle, Tunis, Rabat, Koweït, Amman, Doha, Manama, Abou Dhabi, Mascate… Celui-ci s’arrimera aux Usa, celui-là à l’URSS.

La fin de l’Union soviétique porte un coup dur à ce camp « progressiste, anti-impérialiste et antisioniste » tandis que le camp « réactionnaire » reprend du poil de la bête, conforté dans son option idéologique et son alliance opportuniste avec l’Occident. I

ll est vrai qu’entretemps les régimes soi-disant « modernistes » et « populaires » sont devenus de pitoyables pouvoirs corrompus et répressifs, rongés par le népotisme et livré au délire du culte de la personnalité, poussé jusqu’au délire dans le cas de l’Irakien Saddam Hussein et du Syrien Hafez El-Assad. A tel point dans ce dernier cas, qu’on en est venu à forger le concept de « Syrie-Assad » pour renommer le pays.

En parallèle, les Etats jadis et naguère mis à l’index en tant que valets de l’impérialisme » se développent à vue d’œil à coups de milliards issus du gaz et du pétrole non sans dresser des ponts en or aux élites arabes, médecins, ingénieurs, architectes, juristes, pilotes d’avion, pour venir s’y installer. Ils seront des dizaines de milliers à quitter Beyrouth, Damas, Bagdad, Le Caire et même Tunis et Alger pour s’envoler pour Riyad, Doha, Abou Dhabi, Manama, Mascate.

Le soi-disant « printemps arabe » lancé au tournant de 2011 met à bas, coup sur coup, l’Egyptien Hosni Moubarak, le Yéménite Ali Abdallah Salah, le Libyen Mouammar Kadhafi, le Tunisien Zine El-Abidine, seul Bachar El-Assad échappe au même sort et ce grâce à la Russie, à l’Iran et au Hezbollah. Depuis lors, beaucoup d’eau aura coulé sous les petits ponts de la rivière Barada qui traverse Damas. La fuite du chef de l’Etat syrien est l’ultime coup de grâce porté au ci-devant camp « moderniste » et une sacrée revanche historique pour le camp « réactionnaire ».