Dans cette photo prise le 31 mars 2018, un convoi des troupes américaines sur une route menant à Manbij, ville où a été perpétré un attentat par Daech.
Ce mercredi 16 janvier, un nouvel attentat suicide a tué 19 personnes, dont quatre soldats américains. C'est l'attaque la plus meurtrière contre les forces américaines présentes depuis 2014. La victoire face à Daech semble loin d'être acquise en Syrie, même si Donald Trump affirmait récemment le contraire. Qu'en est-il réellement ? Entretien avec Jean-Luc Marret, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique.
L'attaque revendiquée par le groupe Etat islamique a eu lieu dans un restaurant de la ville de Minbej, située dans le nord du pays. La cible : les forces de la coalition menée par les Etats-Unis. Quatre soldats américains sont morts parmi les 19 victimes. Cette attaque vient contredire ce qu'avançait le président américain, il y a un mois à peine. Il affirmait au monde entier avoir vaincu l'organisation terroriste, justifiant ainsi sa décision de retirer les troupes américaines de Syrie.
TV5Monde : ce nouvel attentat en Syrie prouve que l'EI est encore bien présent en Syrie. Quels sont les territoires occupés aujourd'hui par les combattants de l'organisation djihadiste ?
Si l'EI en tant que marque globale a essayé de s'implanter en Algérie ces trois dernières semaines, le groupe est aussi présent en Libye, un peu au Yémen, en Europe de l'Ouest, en Indonésie... Mais en Syrie, ils ont été réduits. Il y a quelques mois il y avait des bruits qui courraient que dans des montagnes du sud-est de la Syrie, ils avaient une petite base fortifiée, mais pour moi c'est un côté un peu marketing. C'est un peu comme à l'époque quand on disait qu'Al Qaïda en Afghanistan, avait une base fortifiée en 2001.
Je pense que le groupe Etat islamique occupe 5 % maximum du territoire. Mais l'occupation du territoire est de moins en moins un critère qui définit cette organisation. Je pense que maintenant c'est une fin de djihad, donc ils n'ont plus les effectifs, ni les ressources matérielles et symboliques, en terme de production, de propagande par exemple, pour occuper du terrain et faire un ordre politique et religieux.
Donc je pense qu'ils sont maintenant dans l'occupation temporaire de petites zones. La base démographique c'est les korachites, la base sunnite. On ne va pas les retrouver dans les zones où il y a des Kurdes. Il ne faut pas oublier qu'à la base, ces combattants, c'est pareil pour Aqmi dans le désert d'ailleurs, ils ont créé des solidarités locales parce qu'ils viennent des tribus korachites, donc sunnites. Ils sont mariés, ils ont des enfants etc...Il y a une base sociale, ce ne sont pas des personnes qui viennent de nulle part.
La guerre contre le groupe Etat islamique n'est donc pas terminée en Syrie. C'est aussi un pied de nez de l'EI face au retrait américain ?
C'est toujours difficile de savoir comment une décision est prise et quel est l'intérêt politique de Daech de frapper maintenant les Etats-Unis, parce qu'ils ne peuvent pas forcément faire un attentat n'importe quand, 24 heures sur 24, avec des ressources qui seraient disponibles en permanence. Alors après on va théoriser, on va dire, ils ont une vision opérationnelle claire et cet attentat est de nature à accélérer le mouvement parce que les Etats-unis n'aiment pas perdre des citoyens fussent-ils des soldats... Mais en réalité peut-être que deux jours avant, ils ne savaient pas qu'ils étaient capables de le faire. Peut-être qu'ils avaient une possibilité de frapper à ce moment-là.
L'EI a pour habitude de diffuser des vidéos de propagande. Est-ce que l'organisation terroriste a changé de stratégie ?
Ils ont changé de stratégie parce qu'ils n'ont plus les moyens. Ils n'ont plus d'infographistes, ils en ont beaucoup moins. Il y en a beaucoup qui ont été arrêtés ou tués, donc ils ont une capacité de production de propagande qui est beaucoup moins forte qu'avant. En plus, ils ont quand même subi de la contre propagande active sur les réseaux sociaux. Il y a un groupe français de citoyens qui a fait fermer des dizaines de milliers de comptes de Daech sur Twitter. Donc une partie de ces gens-là s'est un peu redéployée sur l'application de messagerie Telegram. Il y a des évolutions à cause de la réponse sécuritaire adaptative des Etats ou des citoyens contre eux, donc ils se déplacent, ils changent de média parce que les technologies évoluent aussi et puis surtout ils n'ont plus la capacité de produire des magazines, de les traduire etc...Quand on occupe un territoire et qu'il n'y a pas d'insécurité, on peut avoir des infographistes qui travaillent tranquillement dans les bureaux. Quand on n'est plus capables de contrôler de l'espace, on n'a plus de bureaux où les gens peuvent tranquillement produire de la propagande.