Fil d'Ariane
L'armée israélienne a frappé ce lundi 21 janvier, la force Qods des Gardiens de la révolution iranienne en Syrie. C'est ce qu'elle a indiqué dans un communiqué.
Cette montée de tension, si elle est brutale, n’est pas une première. C'est ce que nous vous expliquions dans notre article du 10 mai 2018 à relire ci-dessous.
En février 2018 un drone de conception iranienne pénètre l’espace aérien israélien. Tsahal abat le drone et lance un raid aérien au centre de la Syrie, contre une base occupée par des unités iraniennes. Un incident qui n’est pas isolé. « Il faut bien réaliser qu’au cours de ces 2-3 dernières années, il y a déjà eu des tirs sur des positions israéliennes dans le Golan, qui sont effectuées par des milices financées, aidées et encadrées par les Iraniens présents en Syrie. De l’autre côté, les Israéliens ont multipliés les raids de l’aviation contre des positions tenues par des forces iraniennes ou pro iraniennes en Syrie », explique Vincent Eiffling, chercheur au Centre d'étude des crises et des conflits internationaux de l’Université Catholique de Louvain.
Depuis six ans l’armée israélienne frappe régulièrement les convois d’armements iraniens à destination du Hezbollah libanais, une milice satellite de l’Iran. Ces dernières années, Tsahal était même montée d’un cran en visant directement les forces iraniennes présentes sur le sol syrien. Il ne faut remonter qu’au 8 mai seulement, pour retrouver un raid de l’aviation israélienne, qui avait alors frappé une base située près de Damas, faisant quinze morts, dont huit Iraniens selon l’observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH).
Si l’Etat hébreu s’est ainsi immiscé dans le conflit syrien, c’est parce qu’Israël cherche à éviter le pire des scénarii, celui de voir l’Iran prendre pied en Syrie. Récemment, Avigdor Lierberman, le ministre israélien de la Défense avait assuré qu’Israël « ne permettrait pas d’ancrage iranien en Syrie, quel que soit le prix à payer » car « nous n’avons pas d’autre option ».
Pour Vincent Eiffling, chercheur au CECRI de l’Université Catholique de Louvain, « ils ont très peur que l’Iran pérennise sa présence en Syrie et que le pays devienne une sorte de base arrière, pour nuire aux intérêts d’Israël et que leur présence renforce les capacités logistiques et militaires du Hezbollah. », explique-t-il.
Du côté de l’Iran, maintenant que la lutte contre Daesh est terminée et la reconquête du pays par le gouvernement syrien est quasiment achevée, il s’agit de récolter les fruits de son investissement de ces dernières années en Syrie. Après avoir soutenu militairement et financièrement le régime de Bachar Al-assad, Téhéran espère à présent pouvoir disposer de bases militaires permanentes dans le pays, à l’image de la Russie avec ses bases de Tartous et Hmeimim.
Vincent Eiffling décrypte l’attitude de l’Iran comme « un pays qui se sent fortement assiégé, fortement menacé, les Saoudiens au sud, les bases américaines un peu partout, comme en Afghanistan ou au Bahreïn. Mais l’Iran dans cette logique cherche à avoir des points d’encrages à l’extérieur de son territoire pour menacer le cas échéant les intérêts aussi bien américains que saoudiens ou qu’israéliens. La Syrie pourrait alors servir de base arrière. Cela correspond notamment à la politique de dissuasion de l’Iran à l’égard d’Israël. Si Israël bouge le petit doigt pour attaquer les infrastructures nucléaires iraniennes, les forces iraniennes qui seraient présentes en Syrie pourraient facilement riposter. » conclut Vincent Eiffling.
Une nouvelle fois, c’est la Russie qui pourrait se retrouver au cœur du jeu diplomatique en Syrie. L’Etat Hébreu est en contact étroit avec les Russes sur les questions militaires et politiques. Moscou a d’ailleurs été alerté avant le déclenchement des frappes israéliennes de mercredi soir, dans le cadre du mécanisme d’échanges mis en place entre les deux états-majors. Une communication facilitée par des relations plutôt ambiguës entre Téhéran et Moscou.
« La Russie et l’Iran, en Syrie, ne sont pas vraiment des alliés, ce sont surtout des partenaires de circonstance dans la mesure où il y a des concordances d’intérêts contre l’organisation de l’Etat islamique », analyse Vincent Eiffling. « Mais il y a des divergences en ce qui concerne ce que chacun considère être le bon futur de la Syrie, surtout que les Iraniens sont très attachés à la personne de Bachar al-Assad avec lequel ils ont tissé des liens très forts ces dernières années. Tandis que les Russes sont plus attachés au régime en général et Moscou pourrait finir par vouloir écarter ou au moins minimiser son pouvoir en Syrie pour que leur influence soit la plus importante sur le pays. Donc, quand Israël attaque les intérêts iraniens en Syrie, ils affaiblissent la position de l’Iran et donc renforce la position russe dans le pays. »
Si un conflit ouvert de grande ampleur semble encore improbable, la situation reste volatil entre les deux camps. Pour Vincent Eiffling « il va falloir regarder dans les prochaines semaines si ce type d’incidents continue à se répéter, s’il y a une intensification, il y aura un risque d’escalade mais pour l’instant, c’est juste un incident ». Jeudi 10 mai, le plateau du Golan avait déjà retrouvé le calme, seule la guerre des mots pouvait s’entendre au loin.