Parmi les combattants rebelles syriens, certains sont jeunes. Très jeunes. Ils ont 15 ou 16 ans - parfois moins - et prennent les armes. Par pression ou par choix, ces gamins se retrouvent au cœur d'un conflit qui a déjà noirci leur avenir et risque aussi de prendre leur vie. Comment sont-ils embrigadés ? Quel est leur rôle dans ces groupes armés rebelles ? Réponses avec
Leïla Zerrougui, Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations unies pour les enfants et les conflits armés.
Comment les enfants sont-ils embrigadés dans les groupes armés syriens ? Leïla Zerrougui : Le recrutement d’enfants par des groupes armés est une évidence. Cela fait partie de la réalité du conflit en Syrie. Pourtant, ce n’est pas un conflit qui force de façon violente les enfants à rejoindre les groupes armés, comme c’est le cas ailleurs, en Sierra Leone, par exemple. Mais il y a une pression psychologique, sociale et une adhésion parfois inconsciente des enfants. Certains ont été recrutés parce que, dans leur famille, leur communauté, des parents ou des adultes font partis d’un groupe armé et ils entraînent les enfants. Il y a aussi des situations où les enfant rejoignent eux-mêmes ces groupes armés, parce qu’ils sont convaincus ou manipulés, ou qu’eux-mêmes, dans le contexte actuel, considèrent que c’est leur devoir de se joindre à un groupe armé pour défendre leur communauté et jouer un rôle militaire. Dans d’autres situations, certaines familles, qui ne sont pas du tout favorables à ce que leurs enfants soient associés à des groupes armés, subissent des pressions. J’ai rencontré des familles qui ont fui la Syrie pour le nord de l’Irak parce un groupe armé a approché leur enfant pour le recruter. Une autre famille a fui au Liban parce que c’est leur enfant qui voulait prendre les armes. Les parents étaient inquiets pour leur fils, alors ils ont fui. Dans les zones sous contrôle de groupes armés, les familles, réfugiées dans des pays voisins, nous ont confié la pression qui s’exerce sur eux s’ils veulent être protégés. Si vous voulez que le groupe armé qui contrôle la région vous défende, vous devez aussi contribuer à l’effort de guerre. Depuis quelques mois, il y a une multiplication des groupes armés, autres que l’armée syrienne libre, qui recrutent aussi des enfants. Mais il n’y a pas de position tranchée de l’armée syrienne libre ou d’autres groupes, ni d’ordres militaires qui interdisent de manière explicite le recrutement d'enfants.
Certains groupes refusent catégoriquement les enfants… Avec la fragmentation des groupes, tout dépend du commandant et du contexte. Il y en a effectivement qui ont été refusés parce qu’ils avaient 11 ou 12 ans. Ils étaient trop jeunes. Certains, qui se sont retrouvés dans une situation extrêmement grave, ont été blessés. Des enfants sont-ils embrigadés dans l’armée syrienne ? Du côté du gouvernement, il n’y a pas de recrutement. Il y a même une loi qui interdit le recrutement pour les moins de 18 ans, mais on a eu des informations sur des embrigadements d’enfants avec les milices pro-gouvernementales aussi. Quel âge ont ces enfants-soldats ? Les gens parlent d’enfants qui n’ont que 10 ou 12 ans, mais je crois que la plus grosse majorité, ce sont les 15-18 ans, qui sont particulièrement ciblés. En réalité, je pense que des enfants encore plus jeunes ont été associés. J’ai rencontré des enfants de 15 ans déjà blessés dans des opérations militaires. Aux enfants plus jeunes sont confiées des taches d’appui, de transport de médicaments, d’espionnage pour le groupe, d’informateur. Toutes ces activités sont extrêmement dangereuses pour les enfants, qui deviennent des cibles militaires et peuvent être tués, arrêtés, détenus.
Comment ces enfants sont-ils traités dans les groupes armés ? Les enfants sont parfois aussi utilisés dans des actions, en première ligne. Ils sont tués dans des combats ou exécutés dans le cadre d’opérations de revanche de l’un ou l’autre camp. Il y a des cas où les enfants sont eux-mêmes amenés à commettre des violences. Quand ils sont arrêtés, c’est parce qu’ils quittent les groupes armés ou qu’ils sont pris après un assaut. Ils sont alors détenus et maltraités, torturés. Quels que soient la partie gouvernementale ou les groupes rebelles, ce n’est pas acceptable. Les enfants doivent être épargnés. Ils subissent déjà les effets de la guerre. Ils ont perdu leurs parents, l’accès à l’école et leur avenir est compromis. Et on veut leur demander de prendre part à la guerre et d’aller se battre à la place des adultes ? C’est inacceptable.
Des enfants subissent-ils des pressions même hors du pays ? On a vu aussi que dans certains pays voisins, il y a des pressions pour recruter des enfants dans les populations réfugiées, où le nombre d’enfants est très élevé parce que ce sont les familles qui fuient et qui se retrouvent dans les camps. Nous avons discuté avec les autorités sur place pour veiller à ce que les camps ne soient pas militarisés, pour s’assurer que les représentants des groupes armés ne viennent pas recruter dans les communautés déplacées et réfugiées. Si les adultes veulent rejoindre le groupe armé, c’est leur affaire, mais que les enfants ne soient pas soumis à cette pression. Que fait l’Etat syrien pour lutter contre l’embrigadement de ces enfants soldats dans les deux camps ? Le pays a déjà ratifié la convention des Droits de l’Enfant et le protocole additionnel sur l’implication des enfants dans les conflits armés. Cela donne un cadre légal solide qui nous permet, si la volonté politique existe, de faire en sorte que ceux qui recrutent les enfants sachent qu’il y a un risque sérieux pour eux de répondre de ces actes. J’ai dit aux autorités que cette loi doit se traduire par une protection effective de l’enfant. Quel que soit le camp qui recrute les enfants, il doit prendre des mesures et des sanctions. La deuxième chose, c’est de garantir aux enfants qu’ils soient traités comme des victimes, de ne pas les arrêter, de ne pas essayer de leur extorquer systématiquement des informations, de mettre en place des protections, des processus avec les Nations unies pour assurer un programme de réinsertion, de les sortir des centres de détention. Il faut montrer clairement qu’il y a une volonté politique de ne pas associer l’enfant aux crimes commis par les adultes et lui donner une chance d’être récupéré, protégé et réinséré.
Combien d’enfants sont morts depuis le début du conflit ? Cela fait plusieurs mois que l’on parle de milliers d’enfants tués. Ce sont des chiffres qui sont en deçà de la réalité. Aujourd’hui on parle de plus de 100 000 tués, adultes et enfants confondus, mais chaque mois les chiffres grossissent. Incontestablement, le nombre d’enfants tués est très, très élevé. C’est dramatique pour la Syrie, pour cette population qui va constituer le futur du pays. Il n’y a pas seulement les enfants qui sont morts, il y a aussi toutes les blessures qui restent. J’ai rencontré des enfants qui étaient dans une logique de rage, de haine, parce qu’on a tué leur père, leur frère, parce qu’ils voient un frère qui est immobilisé dans une chaise ou à l’hôpital. Parmi les réfugiés, il y a 1,1 million d’enfants sur 2,2 millions de réfugiés syriens. Et à l’intérieur du pays, sur 6,8 millions d’habitants affectés, ce sont 3,1 millions d’enfants qui sont touchés par le conflit. C’est ça la réalité de la guerre.
Le Rapport de Human Rights Watch
En novembre 2012, l'ONG Human Rights Watch publiait un
rapport accusant les rebelles syriens d'utiliser des enfants dans leurs combats. "Des enfants de 14 ans ont servi dans au moins trois brigades de l'opposition, en transportant des armes, de l'équipement et en faisant le guet et des enfants de 16 ans ont porté les armes et joué un rôle dans les combats contre les forces gouvernementales", affirme l'ONG dans un communiqué.
Témoignage
Témoignage tiré du rapport de l'ONG Human Rights Watch : Raed, 14 ans, a expliqué à Human Rights Watch qu'il transportait des armes, de la nourriture et d'autres approvisionnements pour des combattants de l'opposition à Khirbet al-Jawz, près de la frontière turque. Raed et son frère campaient à la frontière lorsque leur village situé dans le nord de la Syrie a été attaqué Il a déclaré à notre organisation que des combattants lui avaient demandé de les aider en transportant des fournitures de l'autre côté de la frontière : « Nous aidions l'ASL en leur apportant des approvisionnements de Turquie, des armes. Nous apportions des balles et des Russiyets [Kalashnikovs]. Tous les enfants les aidaient de cette manière. Nous étions 10 au total, entre 14 et 18 ans. Je connais les soldats de l'ASL, c'est eux qui m'ont demandé de les aider comme ça. C'est ce que j'ai fait pendant quatre ou cinq mois. » En juin 2012, les forces gouvernementales ont commencé à tirer des coups de feu dans la zone frontalière où Raed et son frère dormaient, près d'un groupe de combattants de l'ASL. « [Mes] grands-parents étaient à la maison, mais nous, on dormait à la frontière avec l'ASL », a-t-il déclaré à Human Rights Watch. « Le jour où je me suis fait tirer dessus, c'était la première fois que je dormais à la frontière. Lorsque j'ai été touché, j'étais en train de courir, on m'a tiré dessus par-derrière. L'armée se trouvait à environ 100 mètres de nous. » Raed a reçu des soins médicaux en Turquie, mais a gardé des séquelles permanentes de sa blessure. « La balle a touché les nerfs » a-t-il déclaré. « Je sens ma jambe, mais je ne peux pas la bouger. J'ai déjà subi quatre interventions chirurgicales, et il m'en reste encore trois.... Je ne sais pas si je remarcherai un jour. »
Crime de guerre
Selon le droit international, l'âge minimum requis pour participer à des combats est fixé à 18 ans. Le Statut de Rome de la
Cour pénale internationale (CPI), les forces ou les groupes armés qui enrôlent des enfants de moins de 15 ans, pour prendre part directement à des hostilités, se livrent à un crime de guerre. Leur engagement dans les hostilités ne relève pas seulement du combat direct mais aussi de l'espionnage, des opérations de sabotage, d'utilier des enfants comme de leurres, de coursiers ou de vigiles aux postes de contrôle militaires.