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Syrie : "Les Kurdes croyaient que leur sacrifice pour libérer Raqqa les protégerait"

Tigrane Yégavian, journaliste spécialiste des mondes musulmans, vient de publier "Minorités d'Orient" aux éditions du Rocher. Entretien avec l'auteur concernant la situation des Kurdes en Syrie, menacés par l'armée turque et lâchés par les Etats-Unis. 

"Les Kurdes sont les éternelles victimes des pouvoirs autoritaires de la région, le plus grand peuple sans État, les seuls à même d'affronter sur le terrain, les djhiadistes de l'État islamique." Cet extrait de "Minorités d'Orient", du journaliste arabisant Tigrane Yégavian, résume à lui seul la situation inextricable des combattants kurdes en Syrie, sous le feu de l'armée turque, depuis ce lundi 14 octobre 2019 et depuis peu protégés par un cessez-le-feu.

En échange des 11 000 morts kurdes qui se sont battus pour la libération de Raqqa, les survivants pensaient qu'ils seraient en position de force.Tigrane Yégavian, journaliste spécialiste des mondes musulmans

Malgré ce cessez-le-feu encore très incertain, demandé par l'administration américaine, ces combattants ont été lâchés par les Etats-Unis, qui ont préféré retirer leurs soldats. "L'alliance américaine avec les Kurdes en Syrie était purement circonstancielle", explique Tigrane Yégavian, qui estime qu'ils "pâtissent d'une grave erreur stratégique et ont fait une faute politique en surestimant leurs forces". Pour le spécialiste, les États-Unis sont des alliés très peu fiables, qui multiplient les lâchages depuis la guerre du Vietnam. 

"Sous-traitance de la sale besogne"

"En échange des 11 000 morts kurdes qui se sont battus pour la libération de Raqqa, ils pensaient qu'ils seraient en position de force", explique le journaliste. Pour lui, les Kurdes n'auraient pas subi un tel revers, "s'ils s'étaient alliés avec les Russes, qui eux ont une vraie politique constante sur le terrain et qui soutenaient une solution fédérale. Les Kurdes n'auraient pas eu ce lâchage et auraient moins souffert."

Le cessez-le-feu permettra à l'armée syrienne de se déployer sur tout un pan de son territoire qui lui échappe depuis 2012.Tigrane Yégavian, journaliste spécialiste des mondes musulmans

Sur le cessez-le-feu, les Kurdes ne s'y opposent pas, mais "le vainqueur diplomatique de cet accord est incontestablement la Turquie", selon Tigrane Yégavian, qui explique que "ce pays est en position de faiblesse, mais a atteint son objectif, qui est de se débarrasser de la présence militaire kurde sur sa frontière." Si ce retrait des combattants kurdes n'est pas encore effectif, il semble que les 5 jours de cessez-le-feu soient l'occasion pour les Russes d'établir des zones tampons, selon le spécialiste. Ce qui "permettra à l'armée syrienne de se déployer sur tout un pan de son territoire qui lui échappe depuis 2012…"

Gagnants multiples

Pour les Etats-Unis, "le cessez-le-feu est un grand soulagement, puisque Donald Trump peut retirer ses soldats sans avoir eu un seul mort", souligne le journaliste, qui rapppelle aussi que "dans un contexte de réélection, un soldat américain mort, c'est rédhibitoire." En réalité, le grand gagnant de cette affaire devrait être la Russie, avec ses deux alliés, la Turquie et surtout la Syrie, "qui sont des partenaires stratégiques importants de la Russie", insiste Tigrane Yégavian. 

Le régime Syrien va coopter des partis politiques alignés sur Damas, parce que c'est dans son intérêt de réaffirmer une solution politique pour les Kurdes.Tigrane Yégavian, journaliste spécialiste des mondes musulmans

Il y a surtout des Kurdes dans le Nord-Est de la Syrie mais comme le rappelle le journaliste, "ils constituent une majorité toute relative (…) et ce ne sont pas des autochtones, puisque les trois-quarts viennent de Turquie et d'Irak." Et le spécialiste de conclure : "Je pense que le régime syrien va coopter des partis politiques alignés sur Damas, parce que c'est dans son intérêt de réaffirmer une solution politique pour les Kurdes."