Manifestation à Beyrouth après l'assassinat de Rafic Hariri (AFP, 2005)
3 minutes de lecture
Je t'aime, moi non plus
Un brutal et cynique occupant totalitaire syrien honni congédié par la gentille fée de la démocratie libanaise triomphante. C’est à peu près ainsi que la majorité des médias occidentaux ont perçu – et représenté – les événements de 2005 qui ont vu, après l’assassinat du Premier ministre Rafic Hariri le départ précipité des dernières troupes syriennes du Liban sous la pression d’une partie de la rue appuyée par la communauté internationale. La réalité est plus complexe et son examen peut commencer par un simple coup d’œil à la carte. Grand comme le tiers de la Belgique, le Liban est enclavé dans une Syrie dix-huit fois plus grande que lui qui est aussi, en terme d’échanges, son seul voisin : la frontière avec Israël est totalement fermée, la guerre de ce côté demeurant une réalité de droit et assez régulièrement de fait. Aujourd’hui comme au long de l’histoire, les liens entre les deux pays arabes sont profonds et constants, à la fois politiques, culturels, démographiques et économiques. Si elles n’ont certes pas été dictées par des seules considérations fraternelles, les intrusions récentes de la Syrie au Liban ont été au moins facilitées par des appel ou des assentiments du second. INTERPOSITION L’armée syrienne est entrée dans le pays en 1976 à la demande officielle du président libanais, SoleimanFrangié, dans le cadre d’une « force d’interposition arabe », en fait au secours d’un camp chrétien qui s’estimait menacé par les Palestiniens.
L'armée syrienne s'interpose à Beyrouth en juin 1976 (AFP)
L’adversaire le plus fervent de la tutelle syrienne fut en 1989 le Général Aoun qui la combattit dans une longue bataille meurtrière. Une cause alors combattue par la plupart des Musulmans et une partie des Chrétiens libanais ainsi que par Israël et les États-Unis. C’est ce même Général Aoun, allié au Hezbollah, qui est aujourd’hui qualifié de « pro-syrien ». Les « accords de Taef » qui suivent, avalisés par la plupart des parties libanaises, confirment la présence syrienne au Liban, renforcée en 1991 par un traité d’amitié proche de la tutelle qui fit alors l’objet d’un consensus. Les États-Unis eux-mêmes, il est vrai occupés par la première guerre du Golfe dans laquelle Damas est une alliée, n’y font nulle objection. Le slogan d’Hafez el Assad devient alors « un seul peuple, deux états ». Autour de lui, on désigne parfois plus crûment le petit voisin comme « la 22ème province » d’une grande Syrie toujours rêvée. Au cœur du dispositif de domination syrienne figura longtemps le Premier ministre (de 1992 à 2004) Rafic Hariri. D’origine saoudienne, il présentait l’avantage d’être extérieur aux factions libanaises et donc plus directement influençable. Ce n’est qu’à partir des années 2000 qu’il tenta de s’affranchir de Damas. La suite est mieux connue. L'assassinat de Rafic Hariri, le soulèvement qui le suit. Considérable, ce dernier est sans doute moins unanime qu'on ne l'a dit sur le moment.
Manifestation pro-syrienne à Beyrouth le 7 mars 2005 (AFP)
ÉVACUATION Les Chiites, en particulier ne s'y joignent pas - sauf exception - et près d'un million de personnes manifestent le 7 mars 2005 en faveur de la Syrie. Conjugué aux pressions internationales, le mouvement n'en contraint pas moins celle-ci à évacuer le "pays frère" au printemps 2005. Les relations entre les deux voisins ne cessent pas pour autant et nombre de décideurs libanais retrouvent rapidement un chemin de Damas d’autant plus inévitable que les deux économies sont imbriquées et pas nécessairement aux dépens du plus petit. La frontière n'est fermée que quelques jours et les migrations quotidiennes reprennent vite. Outre les militaires, plus de 500 000 syriens vivaient en 2005 au Liban. Ils n’en étaient pas les maîtres mais plutôt des travailleurs immigrés du bâtiment ou de l’agriculture. Contraints au départ au printemps 2005, beaucoup sont aujourd’hui revenus, au soulagement de leurs employeurs.
Non loin de là
Soldats syriens à Beyrouth en février 1987 (AFP)
Manifestation à Beyrouth en février 2005 (AFP)
Saad Hariri et Hafez el Assad à Damas en décembre 2009