Quelle est votre analyse de la situation syrienne?
La crise syrienne est passée par trois phases depuis mars 2011: en résonance avec les séquences égyptienne et tunisienne il y a d'abord eu un puissant mouvement social de revendications légitimes de plus de libertés civiles et politiques, de mars à juin/juillet. Le mouvement social s'est transformé peu ou prou en affrontement militaire avec des armes de guerre qui ont été introduites par les frères musulmans jordaniens. Puis le mouvement s'est durci et confessionnalisé et les frères musulmans syriens y ont vu une possibilité de revanche de leur lutte armée avortée et réprimée dans le sang par Hafez al-Assad en 1981/82. On a alors assisté à un durcissement, un élargissement de cette guerre civile de juillet à septembre 2011. Il ne s'agit plus du tout de manifestations réprimées, mais de la confrontation de l'armée gouvernementale à des groupes armés, soit-disant de l'armée syrienne libre,
il faut voir ce qu'on met derrière...
Les médias avaient une approche tellement émotionnelle, les bons face aux méchants, c'est seulement maintenant que l'on commence à se poser des questions sur l'après Bachar al-Assad. Là aussi, la grande erreur des journalistes et des politiciens occidentaux a été de considérer, par mimetisme avec la Tunisie et l'Egypte, que Bachar al-Assad partirait en courant, comme Ben Ali et comme Moubarak. L'erreur d'analyse était de considérer que c'était un pouvoir personnel, mais si Bachar al-Assad est assassiné cet après-midi, ça ne change strictement rien à la donne!
Et cette idée part d'une méconnaissance totale de ce qu'est la Syrie, qui est un pays de 24 millions d'habitants mais pluriconfessionnel, dont le régime alaouite (12% de la population) s'appuie sur l'ensemble des minorités. Désormais, très clairement, nous sommes dans un logiciel régional, qui met face à face le monde sunnite principalement porté par l'argent des monarchies pétrolières Qatar et Arabie Saoudite, contre "l'axe du mal" pour reprendre l'expression de Condolezza Rice et des conservateurs américains, Iran-Syrie-Hezbollah et mouvements palestiniens. C'est ça maintenant le vrai logiciel et personne ne croit que le Qatar et l'Arabie Saoudite - qui sont deux grandes "démocraties" comme chacun sait - aient le souci d'instaurer la démocratie en Syrie, mais c'est surtout de faire mordre la poussière à l'Iran. Voila la priorité à la fois des américains, des israéliens et des monarchies pétrolières. On veut faire de la Syrie ce que les américains ont fait de l'Irak c'est à dire morceler les derniers Etats arabes en petits morceaux, les fragmenter politiquement et territorialement, retribaliser le monde arabe, parce que c'est tout à fait dans l'intérêt stratégique américain, israélien et celui des monarchies pétrolières.