Un an après le début des émeutes populaires, des milliers de morts parmi les civils, les groupes armés d'opposition et les forces gouvernementales, un cessez-le-feu a été instauré en Syrie à la demande de l'ONU. Alain Gresh, spécialiste de la région et journaliste au Monde Diplomatique offre une analyse du conflit syrien où les enjeux géostratégiques, ethniques et politiques éclairent la situation en place du seul décompte des morts et de la vision souvent manichéenne qui prédominent.
Alain Gresh : Le régime de Bachar el Assad s'appuie d'abord sur ses forces de répressions, essentiellement recrutées dans la communauté allaouite, la communauté minoritaire à laquelle appartient le président Assad. Cette minorité use de la répression pour rester au pouvoir. Le régime a aussi disposé très longtemps de l'appui de la bourgeoisie sunnite d'Alep et de Damas, mais qui désormais, avec le développement des évènements est beaucoup plus réticente. Ce régime bénéficie de la crainte du désordre, du chaos et l'arrivée d'une force d'opposition islamiste et la fait peser sur un certain nombre de minorités, entre autres les chrétiens, qui ne sont pas forcément avec le régime Assad mais n'ont pas non plus basculé dans l'opposition. Comme dans toutes les révolutions, une grande partie des gens regarde, n'est pas active, d'un côté ou de l'autre. Mais en général, c'est cette abstention qui bénéficie plutôt au pouvoir.
Les opposants au régime
Groupe armé d'opposition
Alain Gresh : il y a différentes forces. Celle qui était là dès le départ, sur le terrain, qui a organisé les manifestations, qui était souvent une force non confessionnelle, prônant une révolution pacifique : ce sont les manifestants des premiers mois. Il y aussi l'opposition extérieure, qui est souvent composée de gens qui n'ont pas remis les pieds en Syrie depuis 20 ans et qui ont peu de contact avec ce qu'il se passe à l'intérieur. Et puis au fur et à mesure que le combat s'est accentué - et le régime en est le principal responsable par la férocité de sa répression - des courants radicaux se sont créés ou renforcés. Notamment des courants islamistes sunnites. Ces groupes prônent une action militaire, sont aidés par des combattants venant de l'étranger, d'Irak ou du Liban et ont tendance à militariser l'opposition. Mais leur capacité militaire n'est pas suffisante, et l'on est dans une impasse à ce niveau là aujourd'hui : le régime ne peut pas vaincre cette opposition armée et celle-ci n'est pas capable non plus de venir à bout du régime. De plus, elle est divisée : le conseil national syrien subit des scissions, des contre scissions. Malheureusement pour l'opposition, l'aspect confessionnel (chrétiens, allaouites, sunnites) ou national (arabes, kurdes) prend plus d'importance que le reste. Pour ce qui est l'Armée de Libération de la Syrie, ou Armée Syrienne de Libération, appelez-là comme vous voulez, d'une certaine façon c'est une création des médias. Ce sont des groupes qui ne sont absolument pas organisés au départ : certains sont des groupes d'auto-défense, d'autres de déserteurs qui ont trouvé un porte-parole en Turquie, un ancien officier qui s'est installé là-bas. On a donné une cohésion à cette "armée" qu'elle n'a pas du tout sur le terrain. Les groupes sont autonomes, ils y a des groupes armés depuis extrêmement longtemps malgré que la presse occidentale a refusé souvent d'en parler
“Il y a aussi des combattants d'Al-Qaïda“
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Les pays étrangers et leur influence
Alain Gresh : Dans la ligue arabe, les pays qui ont le plus d'influence sont l'Arabie saoudite et le Qatar. Personne ne peut penser un seul instant que l'objectif de l'Arabie saoudite est l'instauration de la démocratie en Syrie : ce serait assez paradoxal qu'un pays qui n'organise pas d'élection chez lui veuille que ça se passe ailleurs. Leur but aujourd'hui - ils ont eu des hauts et des bas avec le régime syrien mais toujours d'assez mauvaises relations - est surtout de casser le pays arabe (la Syrie, ndlr) qui est allié de l'Iran. ils poussent à une intervention militaire, mais pour l'instant ça se traduit assez peu sur le terrain et en même temps leur engagement a des conséquences terribles parce que cela donne des illusions à l'opposition syrienne sur ses capacités, ça envoie les syriens à la mort. Ensuite il y a l'Iran, pour qui la survie du régime syrien est absolument important, surtout maintenant avec la reprise des négociations sur le nucléaire. Il faut rappeler que l'Iran est le seul allié stable de la Syrie depuis 30 ans, malgré des différences d'appréciations : il y a beaucoup de choses sur lesquelles les deux pays ne sont pas sur la même longueur d'onde que ce soit la religion ou le conflit israélo-palestinien, mais c'est une alliance stratégique. Il est évident que l'Iran soutient le régime, mais il faut souligner que dans la presse iranienne il y a eu beaucoup de critiques à l'égard de la politique de Bachar el-Assad parce qu'il n'avait pas été capable d'entendre et de répondre aux revendications des gens. Sur Israël : Israël est extrêmement déstabilisé par ce qu'il se passe. La frontière entre Israël et la Syrie a toujours été stable depuis les actions de guerre de 1967 et 1973, il n'y a jamais eu d'actions de guérillas ni rien de particulier. Donc, d'une certaine manière, le régime syrien est une garantie de frontières sûre pour Israël. En même temps ce régime syrien, parce qu'il est un allié de l'Iran est quelque chose d'ennuyeux. Mais je ne pense pas que les Israéliens aient une politique extrêmement active, ne serait-ce que parce que s'ils prenaient position pour l'opposition syrienne, ce serait l'opposition syrienne qui en paierait le prix.
Le roi Abdallah d'Arabie saoudite
Autour de la résolution du conflit
Du côté de Bachar-el-Assad, pourquoi accepter ce cessez le feu ?
Alain Gresh : Je tiens d'abord à rappeler que les médias, le gouvernement français disaient "il n'y aura jamais de cessez-le-feu, que ça ne sert à rien, que le régime ment, etc. Le problème n'est pas de savoir si les régimes sont sincères ou non, ça n'a aucun sens, mais là, ce qui est intéressant c'est qu'on a l'impression qu'il y a l'opportunité d'une petite avancée, très très fragile, mais qui va vers une solution politique. Il y a des pressions très fortes sur ce régime : d'abord des pressions internes, puisque malgré la neutralité d'une partie de la population, c'est un régime qui est très isolé sur le plan local. C'est un régime qui n'a pas beaucoup d'alliés : l'Iran, la Chine et la Russie, avec des réserves émises par les deux derniers et qui le poussent à trouver une solution politique. Il y a en plus le poids des sanctions. Tout ça incite à trouver une solution.
Quelle peut-être l'issue au conflit ?
Alain Gresh : Il faut bien comprendre qu'il n'y aura pas de solution rapide, cela va prendre beaucoup de temps, il va y avoir sans doute des reprises de combat, mais ce qu'il faut affirmer c'est qu'il n'y a pas d'autre solution que la solution politique. La solution militaire signifie la guerre civile, son extension au Liban, sans doute en Irak. Il faut donc donner à Kofi Annan et aux Nations unies le maximum de possibilités pour arriver à une désescalade sur le terrain qui est un premier pas vers un accord politique. Mais le départ de Bachar el-Assad est la seule alternative envisageable. Comme pour la transition en Amérique latine après les dictatures, on a donné une immunité aux militaires qui avaient commis des crimes, ce n'était pas moralement acceptable, mais ça a permis au moins à la transition de se faire de façon pacifique.