Syrie : un paria très choyé

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Syrie : un paria très choyé
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Quatre mois après le début du soulèvement et de sa sanglante répression, les membres du Conseil de sécurité des Nations unies ne sont parvenus à aucune résolution sur la Syrie en raison du désaccord de la Russie et de la Chine.
Au-delà des condamnations de principe, plus généralement, la communauté internationale observe dans l'ensemble - et pour des raisons diverses - un prudent attentisme à l'égard d'un pays garant historique d'une certaine stabilité régionale et dont on craint par dessus tout l'éclatement. Tour d'horizon.

Le meilleur ennemi du monde

Le meilleur ennemi du monde
Hafez el-Assad et Bill Clinton en mars 2000
Les États-Unis : régulièrement en délicatesse publique avec la Syrie, Washington reconnaît en privé de nombreuses vertus à sa dictature. Celle-ci fut un allié lors de la première guerre du Golfe et dans la seconde un adversaire à la limite de la neutralité, accueillant sur son sol des millions de réfugiés. Voté par le Congrès en 2003, le Syria accountability act qui prévoyait une série de sanctions économiques contre un État accusé de soutenir le terrorisme et d’occuper illégalement le Liban ne fut appliqué par l’exécutif américain qu’avec beaucoup de retenue, même après l’assassinat de Rafic Hariri. Si Washington a maintes fois dénoncé le soutien de Damas au Hezbollah, il apprécie son intransigeance avec l’islamisme et, plus encore, sa non-belligérance de fait avec Israël qui a longtemps fait considérer la dynastie alaouite comme un « facteur de stabilité » régionale. Le 27 mars dernier, la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton excluait encore dans une interview à la télévision C.B.S. tout type d’intervention militaire en Syrie et qualifiait de « réformateur » le président Bachar Al-Assad. L’extension de la révolte et la sauvagerie de sa répression rendent évidemment ce pragmatisme aujourd’hui moins tenable et la même Hillary Clinton considère désormais le même Al-Assad comme "non-indispensable". On a connu des qualificatifs plus violents.

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Hafez el Assad sur le front du Golan en octobre 1973
Israël, en guerre officielle avec la Syrie (qui ne l’a jamais reconnu, à l’inverse de la Jordanie ou de l’Égypte) à toute les raisons d’apprécier cet ennemi au verbe haut mais qui, depuis 1973, n’a jamais tiré que sur sa propre population. Les frontières entre les pays sont – sauf rares exceptions - hermétiques et calmes, et les incidents récents sur le plateau du Golan, permis sinon organisés par Damas, résonnent plutôt comme un rappel menaçant à destination de l’extérieur, en même temps qu’une diversion intérieure. Succédant à l’ébranlement du partenaire égyptien, un éventuel renversement du régime syrien au pouvoir et les troubles qui l’accompagneraient ne peuvent qu’inquiéter Israël.

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A l'Elysée, en 2008
La France : en friction récurrente sur la question du Liban, les relations franco-syriennes connaissent régulièrement des périodes de glaciation suivies de réchauffements. Paris a toujours imputé à Damas l’assassinat en 1981 de son ambassadeur à Beyrouth Louis Delamarre. Jacques Chirac tient personnellement Bachar el-Assad pour responsable, en 2005, de celui de son ami personnel et Premier ministre Libanais Rafic Hariri. Son successeur Nicolas Sarkozy s’est pour sa part empressé – par l’entremise, notamment, de Claude Guéant - de restaurer une relation privilégiée avec Damas et l’ « assassin » d’hier a pu savourer le privilège rare d’assister au côté du Président français au défilé du 14 juillet 2008. La Syrie s’était il est vrai retirée entretemps d’un Liban officiellement reconnu et participait à une « Union pour la Méditerranée », quelque peu délaissée depuis. Aujourd’hui, la révolte prolongée d’une partie de la population syrienne et l’isolement croissant – tant interne que régional - du pouvoir alaouite ont modifié la donne. En pointe en la matière, la France est, avec la Grande-Bretagne, à l’origine d'un projet de résolution (inabouti)condamnant la Syrie soumis à l’ONU. Elle n’en redoute pas moins les conséquences d’un délitement du pays, notamment sur son voisin libanais.

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Saïd Hariri (alors Premier ministre libanais) et Bachar el-Assad en 2010
Le Liban. Longtemps caricaturées en termes d’ « occupation », les relations syro-libanaises sont en fait complexes et ambiguës. Les troupes syriennes avaient été appelées en 1976 par les Chrétiens libanais avant d’en devenir l’ennemi emblématique. Celui qui s’est le plus attaché à les chasser, le général chrétien Michel Aoun est aujourd’hui leur allié. Rafic Hariri fut longtemps considéré, non sans raison, comme un homme de paille de Damas avant d’en être, pour une partie de l’opinion libanaise, la victime. Son fils, porté au pouvoir par un mouvement anti-syrien, s’est par la suite rapproché de Damas. Mais c’est une coalition pro-syrienne issue d'un scrutin démocratique (comprenant le Hezbollah, les Druzes et une partie des Chrétiens) qui domine le Liban depuis la démission de son cabinet en février dernier. Imbriqué dans la Syrie par la géographie comme par l’histoire, arrimé à elle par mille liens, le fragile État libanais a plus généralement – et plus que quiconque - toute les raisons de craindre de son voisin la contagion d’une éventuelle guerre civile.

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En 2009, avec le Président iranien Mahmoud Ahmadinejad
L’Iran. Promu dès la chute du Shah en 1979, l’axe Téhéran-Damas est en grande partie fondé sur un axiome simple : les ennemis de mes ennemis sont mes amis. Il s’alimente aussi depuis plus de trente ans de leur solitude diplomatique chronique. Pourtant majoritairement sunnite, la Syrie a soutenu moralement l’Iran chiite dans sa longue et meurtrière guerre contre l’Irak (ce dernier étant l’agresseur, soutenu par les puissances occidentales). L’une est l’autre voient pourtant avec une certaine inquiétude l’éclatement de ce pays. L’une est l’autre ont des ambitions régionales qui, en l’état, ne s’opposent pas. L’une et l’autre tentent de mettre en œuvre un programme nucléaire contraire aux traités onusiens. L’une et l’autre se retrouvent dans une certaine radicalité envers Israël, largement verbale dans les deux cas mais qui s’appuie sur – si l’on ose dire – un enfant commun : le Hezbollah.

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Avec le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan le 6 février 2011 (AFP)
La Turquie : longtemps opposées sur le sujet du partage des eaux de la région et sur la question kurde (Damas étant accusée de complaisance à l’égard du PKK), la Syrie et la Turquie se sont spectaculairement rapprochées depuis quelques années, la seconde cherchant de nouvelles alliances après ses déboires européen. Les deux pays ont fortement accru leurs échanges et les dirigeants turcs ont développés des liens étroits avec Bachar el-Assad. Depuis le début des troubles, ils ont tenté de le modérer à diverses reprises tout en s’opposant aux sanctions internationales à son encontre. L’intransigeance de Damas, la dureté de la répression et surtout l’afflux de réfugiés placent cependant la Turquie – par ailleurs membre de l’OTAN - dans une position délicate qui lui a fait reconsidérer ses élans. Hier encore cajolé, le pouvoir alaouite se trouve aujourd’hui accusé d’ « atrocités » par son ex-allié. Mais ce dernier s’inquiète plus encore de l’éventuel basculement dans le chaos d’un voisin avec lequel il partage près de neuf cent kilomètres de frontière et une population kurde turbulente.

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Avec le Président russe Dimitri Medvedev en août 2008
La Russie. L’URSS fut l’alliée traditionnelle d’une Syrie officiellement socialiste. De nombreux cadres du parti Baas y furent formés, dont un certain Hafez al-Assad, père de Bachar qui fut élève-officier de l’armée rouge. La Russie de Poutine entend, dans une certaine mesure, poursuivre ce rôle qui lui a longtemps assuré un relais et un poids dans le conflit Moyen-Oriental. De nombreux accords économiques, militaires et même nucléaires perdurent entre les deux pays. La Russie, privée de la Lybie a besoin de positions navales. La base de Tartous en Syrie est en train d'être réhabilitée et va pouvoir accueillir une flotte russe. Moscou souhaite en faire sa base principale en Méditerranée. Traditionnellement opposée aux ingérences, elle sait aussi pourtant à l’occasion calmer ses ardeurs de principe. Sa position à l’ONU peut s’infléchir.
 
La Chine. Peu investie dans les crises moyen-orientales elle n’en a pas moins le – relativement nouveau – désir d’apparaître comme la puissance mondiale qu’elle est devenue et ne se désintéresse de rien mais maintien une ligne constante d’hostilité à toute ingérence. Son veto à l’ONU peut être lu ainsi, plus que comme une déclaration d’amour au régime alaouite.
 

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