Taïwan : la situation peut-elle mener à un conflit armé entre Washington et Pékin ?

Ce vendredi 22 octobre, Pékin a appelé Joe Biden à la "prudence"après des propos du président américain affirmant que Washington était prêt à défendre militairement Taïwan, en cas d'invasion par l'armée chinoise. Une escalade qui laisse craindre un passage des paroles aux actes entre la Chine et les États-Unis.

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Taïwan avions militaires
Les combattants de la défense indigène de Taïwan volent en formation rapprochée lors des célébrations de la fête nationale à Taipei, le dimanche 10 octobre 2021
AP Photo/Chiang Ying-ying
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L’île de Taïwan sera-t-elle prochainement au cœur d’un conflit militaire entre la Chine et les États-Unis ? C’est la question qui se pose au vu du récent regain de tensions autour de cet État insulaire à l’est de la Chine. Depuis le début de l’année, l’armée de l’air chinoise multiplie les incursions dans l’espace aérien de Taïwan. Un phénomène qui s'est accéléré ces dernières semaines, mais a, en réalité, débuté en septembre de 2020 et avec des incursions presque quotidiennes.

Passe d’armes médiatique entre Washington et Pékin

Le jeudi 21 octobre, Washington a tenu a réagir à ces manœuvres d’intimidation et sur le fait de savoir si les États-Unis seraient en mesure de répondre au développement des programmes militaires en Chine. Ce à quoi Biden a répondu de façon explicite qu'il compte défendre, militairement, Taïwan, conformément à un "engagement sacré", avant d'ajouter : "La Chine, la Russie et le reste du monde savent que nous disposons de la plus puissante capacité militaire du monde".
Une menace à peine voilée, qui n’a pas manqué de faire réagir Pékin. Les autorités chinoises ont appelé le président américain à ne pas "s'ingérer" dans ses "affaires intérieures". Le porte-parole du ministères chinois des Affaires étrangères, Wang Wenbin, a ajouté que la Chine ne laisserait "aucune place au compromis" quant à l’atteinte de "sa souveraineté et son intégrité territoriale". Une réaction forte qui illustre tout l’enjeu que constitue sa relation à Taïwan.

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Pour plus d'informations, lire : Le prochain ambassadeur américain à Pékin ne fait "pas confiance" à la Chine sur Taïwan

Taïwan a d'abord été chinoise, avant de subir l’occupation japonaise, pendant près d’un demi-siècle, de 1895 à 1945. Depuis 1949, l'île est une République unitaire à régime semi-présidentiel que la Chine revendique comme une de ses provinces. Les relations entre la Chine et Taïwan se tendent en 2013 avec, d’un côté, l’arrivée au pouvoir du président Xi Jinping en Chine, qui ne cesse de promettre la réunification, et de l’autre, celui de la présidente Tsai Ing-wen, en 2016, qui défend le statu quo entre les deux pays. 

Taïwan, un enjeu qui dépasse le cadre chinois 

Pour le chercheur, à l'Iris (Institut de Relations Internationales et Stratégiques), spécialiste des questions stratégiques en Asie et en Chine, Jean-Vincent Brisset, "la Chine a plusieurs raisons de faire monter son agressivité vis à vis de Taïwan". La première est "traditionnelle" dans le sens où Pékin considère depuis longtemps l’île comme une de ses provinces et veut le ramener dans son giron. À plusieurs reprises, Xi-Jiping a promis une "réunification".

Mais au-delà de l’aspect traditionnel, cette passe d’armes entre l’administration américaine et chinoise met en lumière la stratégie dans laquelle s’inscrit Washington, notamment depuis l’arrivée de Joe Biden à la tête du pays : celle d’une confrontation entre les deux puissances.
C’est pour cela que Pékin a pour deuxième motivation de "tester l’administration Biden", précise Jean-Vincent Brisset. Pour lui, "après avoir dû courber l’échine avec l’administration Trump, Pékin a constaté un discours extrêmement rugueux de la part du démocrate", notamment pendant la campagne électorale. Le but est donc de savoir si ces menaces resteront de l’ordre du discours ou si les paroles pourraient se concrétiser et devenir des actes. 

La troisième raison est, elle, purement nationale. Xi Jinping a de moins en moins de légitimité au sein de la population chinoise, notamment car la croissance du pays n’est plus aussi élevée qu’auparavant. "Il peut donc être tenté de se lancer dans une aventure nationaliste afin de ressouder les Chinois, derrière lui", ajoute le chercheur.

En cas de scénario catastrophe, une riposte brutale américaine n’est pas à exclure
Jean-Vincent Brisset, chercheur et spécialiste des questions stratégiques en Asie et en Chine, à l’Iris.

Mais Pékin n’est pas le seul acteur pour qui les enjeux autour de Taïwan sont cruciaux. C'est pour cela que les États-Unis sont liés, par des accords, à Taïwan et que Joe Biden a réaffirmé sa volonté de les respecter. La Chine étant beaucoup moins fragile, notamment sur le plan militaire et évidemment sur le plan économique, elle constitue un danger pour les intérêts des États-Unis. "Il ne faut pas oublier que la mer de Chine du Sud, représente près de 40% du commerce maritime mondial", rappelle Jean-Vincent Brisset.

Un affrontement militaire "peu probable, mais pas à exclure"

Néanmoins, pour le spécialiste, "s’il y a une montée en puissance du discours, on ne la constate pas dans les actes". Les Taïwanais ne semblent d’ailleurs pas particulièrement inquiets. Deux sondages réalisés cette année indiquent qu’environ 60 % d’entre eux jugent improbable une tentative d’invasion de l’île par l’Armée populaire de libération (APL) chinoise dans les années à venir. Pour Jean-Vincent Brisset, cela s’explique par le fait que "la Chine n’a pas les moyens d’agir militairement". "Néanmoins, en continuant sur sa trajectoire, elle pourrait les avoir dans 4 ou 5 ans", précise le chercheur. 

Lire aussi : la désescalade entre Chine et États-Unis est possible, encore faut-il la trouver nécessaire

Une situation qui pousse Jean-Vincent Brisset à envisager toutes les hypothèses, notamment si l’escalade était amenée à durer. Selon lui, la prochaine étape, pour Pékin, pourrait être celle de la mise en place d’un blocus de Taïwan, "qui serait fortement dommageable pour l’île et que la Chine pourrait mettre en place relativement vite".
Un scénario qui pourrait pousser les États-Unis, "à faire respecter la souveraineté de Taïwan, même militairement", ajoute Jean-Vincent Brisset.

Cependant, pour le chercheur, une confrontation militaire directe parait "peu probable". "Ce que je crains le plus, c’est un incident involontaire grave qui pourrait intervenir, car les militaires chinois ont encore de grosses lacunes sur le plan professionnel. Ils l’ont démontré le 1er avril 2001, lorsqu’un mauvais pilote avait percuté un appareil américain, qui a réussi à atterrir en urgence, près de l'île d’Hainan. Mais si un bateau chinois coulait un navire américain, même accidentellement, au cours des frictions, qui sont elles, régulières, et qu’il y a des morts, cela peut poser de graves problèmes", affirme Jean-Vincent Brisset. Dans le cas d’un tel scénario, pour le chercheur, "une riposte brutale américaine n’est pas à exclure".

Voir aussi : Taïwan, vers la fin de l'ambiguité américaine ?
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