, a déclaré la présidente Tsai Ing-wen dans une allocution, lundi 1er août 2016, journée nationale des peuples autochtones à Taïwan.
Première présidente de l'île à avoir du sang aborigène, Tsai va diriger personnellement une commission d'enquête sur les injustices commises dans le passé. Une manière pour le gouvernement d'apaiser les tensions avec cette communauté autochtone. Dans le cadre de cette commission, « Tsai Ing-wen va fixer des échéances très précises à son gouvernement », assure Stéphane Corcuff, directeur de l’antenne de Taipei du Centre d’études français sur la Chine contemporaine (CEFC). De plus, « le 1er novembre prochain » devrait avoir lieu « le début de la délimitation des territoires aborigènes sur lesquels ils auront progressivement une autonomie de gouvernement. Cela va très loin », constate le politiste.
«Nous devons examiner sérieusement l'histoire et dire la vérité», a ajouté la présidente, soulignant que les excuses étaient
«un nouveau pas en avant». Cette annonce vient confirmer l’une de ses promesses de campagne, celle d'accroître l'autonomie et les droits des peuples indigènes.
Une première dans l'Histoire taïwanaise
« Taïwan a eu plusieurs présidents durant son Histoire mais avant elle, aucun d’entre eux n’a été disposé à présenter ses excuses aux peuples indigènes », a confié au
New York Times Capen Nganaen, un autochtone de 80 ans.
Selon Stéphane Corcuff, ces excuses ont une « valeur très symbolique » puisqu’elles sont faites en « extrême début de mandat ». « Il est très important pour la présidente d’avancer sur une société pluriculturelle, respectueuse et basée sur la justice. Et cela passe par la justice transitionnelle », explique Stéphane Corcuff. « Cette petite femme est extraordinaire, elle a du courage ».
Lors de son discours d’investiture le 20 mai 2016, l’actuelle présidente avait déjà annoncé que la question aborigène était au centre de ses priorités. « Il y a véritablement chez elle une dimension d’équité, de redresser l’Etat et de recommencer sur des bases saines où l’on respecte les autres et où l’on arrête de se croire supérieur parce qu’on est Han ».
Une communauté affaiblie
Depuis l’arrivée des migrants de Chine il y a plusieurs siècles, la communauté indigène, qui représente environ 2% des 23 millions de Taïwanais, a vu sa culture traditionnelle érodée. « Il y a 400 ans, des gens vivaient déjà à Taïwan, a déclaré la présidente lors de son discours. Ces premiers habitants vivaient leur vie et étaient dotés de leurs propres langues, cultures, traditions et territoires. Mais alors, sans leur consentement, un autre groupe de gens est arrivé sur ces rivages, et au fil des ans, a tout pris aux premiers habitants, lesquels, sur la terre qu’ils avaient connue de la manière la plus intime, ont été déplacés, et sont devenus étrangers, minoritaires et marginalisés ».
Un peu d'histoire
La présence des autochtones à Taïwan remonte à 3000 ans avant notre ère. Les premiers européens qui arrivent sur l'île sont les Portugais et les Espagnols. En 1624, les Hollandais débarquent à Taïwan car ils y voient une opportunité stratégique et commerciale. En 1662, les Chinois qui fuient la dynastie Qing chassent définitivement les Hollandais et s'installent sur l'île. L'arrivée des Chinois ne se fait pas sans conséquences pour les autochtones qui sont mal traités, brimés et exploités.
Aujourd'hui, les langues aborigènes ont pratiquement disparu. Cinq d'entre elles sont considérées comme "en danger grave" par l'Unesco. De nombreux parents autochtones n'apprennent même plus leur langue à leurs enfants, estimant que le chinois leur assurera un meilleur avenir.
Ils attendent que le gouvernement fasse plus pour la scolarisation et l'insertion des aborigènes dans la société.
Stéphane Corcuff, politiste.
Pour éviter que leur culture et leur tradition ne disparaissent totalement, les autochtones se battent pour la protection de leur droit de chasse et exigent des actions concrètes du gouvernement. « Ils attendent que le gouvernement soit plus souple sur l’application des règles sur l’interdiction de la chasse, qu’il fasse plus pour la scolarisation et l’insertion des aborigènes dans la société, affirme Stéphane Corcuff. Mais aussi, qu’on cesse de les regarder avec mépris ou paternalisme. Ils veulent qu’on leur redonne leur dignité ». Pour se faire entendre, des centaines d’entre eux ont manifesté devant le palais présidentiel à Taipei, le dernier week-end de juillet.
Les terres des indigènes sont, en grande partie, classées parc naturel, ce qui provoque des disputes sur la chasse et la pêche. De plus, les chasseurs aborigènes ne sont autorisés à utiliser que des armes à feu de fabrication maison, ce qui, disent-ils, est dangereux. Ils ne peuvent chasser que les jours fériés, une restriction très mal tolérée. Pour Tama Talum, un aborigène Bunun de Taïwan, la chasse est un mode de vie, inhérent à sa tribu montagnarde. Mais, depuis qu'il a été arrêté pour avoir tué des cerfs près de son village, il craint la disparition à venir de ses traditions.
Les autochtones ont du mal à gagner leur vie avec la terre, ce qui explique en partie leur vulnérabilité face aux problèmes sociétaux comme l'alcoolisme, a expliqué à l'AFP, Scott Simon, professeur à l'Université d'Ottawa et spécialiste des droits des indigènes de Taïwan. En plus de l'alcoolisme, les aborigènes sont les premières victime du chômage, et même lorsqu'ils travaillent, leurs salaires sont inférieurs de 40% à la moyenne nationale, selon le Conseil des peuples indigènes, un organisme public.
Investie présidente depuis deux mois environ, Tsai Ing-wen semble déterminée à vouloir régler les problèmes dont les indigènes de Taïwan font face depuis des siècles. Une volonté qui la différencie de ses prédécesseurs, pour qui ce sujet ne figurait pas dans leurs priorités.