“Le traitement réservé à la révolte tchétchène envoie un message aux autres groupes indépendantistes.“
Un entretien avec Pierre Jolicoeur, professeur de science politique au Collège militaire royal du Canada, spécialiste des questions de sécurité dans l’ancien espace soviétique
Les récents assassinats de militants des droits de l'homme en Tchétchénie, tout comme celui d'Anna Politkovskaïa ou de l'avocat Stanislav Markelov et de la journaliste Anastasia Babourova, sont-ils liés aux conflits du Caucase ? Cela ne fait aucun doute. Si on ne peut remonter à la source de ces assassinats, c’est-à-dire qu’on ne peut établir avec certitude qui en sont les commanditaires, toutes les pistes impliquent soit les autorités tchétchènes, soit les services de sécurité russes. En outre, la carrière de ces militants des droits de l’homme est intimement liée avec la Tchétchénie. Le cas d’Anna Politkovskaïa, qui a dénoncé les exactions commises en Tchétchénie et qui a accusé le régime de Vladimir Poutine avant d’être assassinée en 2006, est fort bien connu. D’autres journalistes et militants, que ce soit Natalia Estemirova ou Anastasia Babourova, ont subit le même sort au Caucase ou ailleurs en Russie sans que leurs exécutants ne soient inquiétés par la justice. Vous faites référence à Stanislav Markelov. Il s’agit d’un cas tristement intéressant. Il était l’avocat de la famille d’Elza Koungaïeva, une jeune femme tchétchène tuée par Iouri Boudanov, un officier russe qui a purgé quelques mois de prison pour son crime. Or, ce dernier a été libéré à la mi-janvier 2009, soit quinze mois avant la fin de sa sentence et quatre jours avant l’assassinat de Markelov. Ce dernier s’apprêtait à porter en appel la libération anticipée du colonel Boudanov. Notons au passage que Markelov avait déjà défendu dans le passé Anna Politkovskaïa et les victimes de la prise d’otages de la Dubrovka, à Moscou, par un commando tchétchène en 2002. Bref, de maints aspects, il est indubitable que ces assassinats aient des liens avec la question tchétchène.
La Tchétchénie au sein de la Fédération de Russie en 2009.
Un conflit sans fin, mêlant religion et politique
Rappel historique
La première guerre qui dure de 1994 à 1996 et se solde par la défaite des troupes russes. Au nom d'une lutte contre le terrorisme, la Russie déclenche une deuxième guerre en 1999. France 3 16 septembre 2004 - 2'33
Tchétchénie, deux conflits en moins de dix ans
Le conflit très meurtrier (100 000 et 300 000 civils auraient péri) de Tchétchénie a opposé cette république autonome de l’ex-URSS à la Fédération de Russie de 1994 à 2000. Les relations entre Russes et Tchétchènes sont faites d'amour et de haine. Cette histoire remonte au XVIIIème siècle avec les débuts de la colonisation russe. Il faudra attendre la révolution bolchévique pour que la Tchétchénie obtienne un statut d'autonomie. Les liens entre Moscou et Grosny sont alors devenus complexes : des personnalités tchétchènes ont ainsi accédé au plus haut niveau de l'État soviétique, ce qui n'a pas empêché la déportation des populations après la seconde guerre mondiale en représailles de la prise de parti des Tchétchènes pour les nazis... Au fil des siècles, la population en Tchétchénie était devenue aussi largement russophone (à peu près 30% jusqu'au déclenchement du conflit). Historiquement opprimés par l'Union soviétique, les musulmans de Tchétchénie profitent de l'effondrement du communisme pour proclamer l'indépendance de la Tchétchénie en novembre 1991. Pendant trois ans, Moscou tolère l'autonomie de fait, tout en négociant pour que la République autoproclamée adopte la Constitution de la Fédération Russe. Mais la Tchétchénie refuse de signer. En 1994, Boris Eltsine alors président russe, veut faire plier la république rebelle. C'est le début de la première guerre de Tchétchénie. L’armée russe affronte la résistance tchétchène jusqu’en 1996, mais ne gagnera pas. Le héros de cette guerre est Chamil Bassaïev. Il veut instaurer une république islamiste dans le Caucase. Un Islam radical, bien loin du soufisme existant dans la région. Mais à l'élection présidentielle de 1997 les Tchétchènes lui préfèrent Aslan Maskhadov, un dirigeant indépendantiste non radical. Il sera tué par les services de sécurité russes le 8 mars 2005. Sa disparition laissera les faucons de Moscou et les islamistes radicaux tchétchènes face à face. Après l'élection de 1997, s'ensuit une vague d'attentats non revendiqués à Moscou. Le président russe Vladimir Poutine les attribue aux Tchétchènes et relance les hostilités en 1999 avec l’opération anti-terroriste. Poutine déclare alors vouloir "buter les terroristes tchétchènes jusque dans les chiottes". C’est le début de la deuxième guerre qui prend officiellement fin en février 2000. Mais les séparatistes engagent une guérilla contre les troupes russes, qui dure jusqu’en avril 2009, date à laquelle les russes décident de mettre officiellement un terme à l'opération anti-terroriste.