Fil d'Ariane
Autour d'un apéro, dans le cercle des intimes, s'il est un passe-temps où les français excellent, c'est bien celui de la critique. Tout est matière à discussion, à débat, à fâcherie !
Et l'on trouve sans peine des oreilles hospitalières pour recueillir ses gémissements souvent fielleux. Souvent, tout le monde s'accorde à coup de "y'a qu'à", "il faudrait" et les choses en restent là.
William Irigoyen, lui, a décidé d'aller plus loin.
Il publie "Jeter le JT, réfléchir à 20 heures est-il possible ?" (Editons François Bourin). Avec la précision d'un huissier qui fait l'inventaire, le journaliste de 45 ans énumère l'actuelle dérive des journaux télévisés. Et le constat fait mal. Au sein d'une profession qui répugne à l'exercice de l'autocritique, le bonhomme tape très fort.
Mais qu'on ne s'y méprenne pas. L'auteur n'a rien du pisse-vinaigre vengeur. Il aime passionnément son métier. Simplement, aujourd'hui, il ne le reconnaît plus : course à l'audience, vérification aléatoire de l'information, dérive pipoliste, sujets vermifugés...
Si l'on en croit les études d'audience, le jeune public ne s'y retrouve pas non plus dans ce torrent d'images plus ou moins informatives : l'âge moyen des "fidèles du 20h" est de 52 ans pour TF1 et de 60 ans pour France 2. Deux grosses chaînes qui rassemblent -tout de même- jusqu'à 12 millions de téléspectateurs chaque soir.
Mais quelle est la qualité de cette information-là ? Et si, comme le soupçonne William Irigoyen, les journaux télévisés étaient responsables de cette fameuse "pensée unique" en distillant un discours prétendument pluraliste ?
L'ancien reporter de France 2, ex-présentateur du JT d'Arte, actuellement présentateur du magazine Arte-reportage, revendique une certaine lucidité. Il se demande si "les journalistes servent encore à quelque chose".
Mais peut-on cracher dans la soupe et dénoncer un système qui vous fait vivre ? Il se défend : "C'est un exercice qui incite à la réflexion collective. Mais qu'est-ce que le journalisme sinon penser contre soi-même ? Si on pense contre soi-même pour des sujets politiques, économiques et sociaux, on doit pouvoir penser contre soi-même en ce qui concerne l'exercice de son métier".
Reste que le constat est sévère.
Selon cet impertinent revendiqué, les journalistes TV seraient d'abord victimes de leur paresse, trop dociles devant leur hiérarchie et n'hésitant jamais à choisir la facilité (comprenez : le cliché) pour mieux servir ce flot d'infos qui coule en continu. Cadence oblige, l'enquête, le travail de fond, l'Histoire, la vérification de l'information est rarement de mise. Pas le temps. Le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel souligne, en effet, par exemple, que la couverture journalistique effectuée pour "couvrir" le drame des actes terroristes à Paris a souffert de nombreux manquements .
"La télévision recherche des sprinters, pas des marathoniens"
W. Irigoyen
Alors, la faute à qui ? "Il y a une responsabilité étatique, qui commence avec la privatisation de TF1 (avril 1987). Elle se poursuit avec la création de Médiamétrie (Institut de mesure de l'audience audiovisuelle ndlr), qui considère que seule la quantification du nombre de téléspectateurs fait l'intérêt premier d'un journal télévisé et puis il y a une responsabilité des journalistes eux-mêmes, des rédacteurs en chef qui vont vers le toujours plus simple et, on en parle peu, la responsabilité des téléspectateurs qui peuvent se dire qu'intellectuellement, là, on est en train de me prendre pour un idiot ..."
Hum, hum... Avec plus de 200 chaines TV disponibles , l'offre audiovisuelle française est si abondante que l'image du téléspectateur-bovin paraît inexacte. A moins d'être parfaitement idiot, au point de ne pas savoir se servir d'une télécommande, le téléspectateur peut tout de même choisir son programme. Le journaliste l'admet. Mais il s'enflamme aussitôt : "Mais pourquoi la télé ne pourrait-elle pas produire du sens et des idées ? Je suis effaré de constater que lorsque l'on pose une question à une personne, on ne lui accorde que trois minutes ! Il faut désacraliser le présentateur ! Pourquoi, quand un invité politique est en plateau, est-il interviewé par le présentateur et non par le chef du service politique de la rédaction ? Je pense que la télévision n'a pas encore offert toute la richesse qu'elle peut encore offrir. "
Mais, par exemple, le "64 minutes"sur TV5Monde, où les invités, toujours différents, disposent d'un temps de parole plus généreux pour débattre ? Il acquiesce et regrette que cette formule "réussie" ne fasse pas école chez les concurrents. Ouf...
Bon, mais alors, quelle est la solution ? Le suicide ?
"Plutôt que de participer à des "assises du journalisme" où tout le monde se regarde le nombril et dit combien il (ou elle) est content d'avoir réalisé telle émission ou tel reportage, créons le Vatican II de l'information ! La forme du journal télévisé est, selon moi, totalement métastasée ! Il faut redonner le goût de l'enquête, de l'investigation et, surtout, se laisser la possibilité d'être surpris par l'information, qui recèle, de fait, plein de surprises. Ces critiques, bien entendu, je me les adresse à moi-même, je suis un maillon de la chaîne journalistique "
On respire. Avec tout ça, on commençait à se sentir un peu mal d'exercer une telle profession…