
Fil d'Ariane
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- Témoignage : le calvaire des interprètes afghans d...
"D'habitude j'aurais offert le thé, mais l'assistante sociale nous a signifié hier soir que nous devions déménager au plus vite car le bail prenait fin". Malgré un asile politique obtenu en mars 2016, Abdul Raziq ne semble pas en avoir fini avec les galères. Lorsque nous le rencontrons, il vit encore dans ce long bâtiment marron et d'un rose défraîchi. Nous sommes à Laon, à 150 kilomètres au nord de Paris. Abdul Raziq, 30 ans, vit ici avec trois autres familles afghanes. Des familles d'interprètes afghans, comme lui.
Abdul Raziq propose une balade sur les hauteurs de la ville dominée par l'imposante Cathédrale Notre-Dame de Laon. "On ira sûrement habiter dans un bâtiment proche d'un supermarché LIDL. Laon est loin de tout, mais au moins ici nous sommes en sécurité", sait l'Afghan issu de l'ethnie Hazara. "Je sais que les Hazaras sont tués par l'Etat islamique car nous sommes majoritairement chiites. Mais ce n'est pas mon cas, je suis sunnite", tient-il à préciser. Responsable de l'association pour les interprètes afghans de l'armée française, l'homme a bataillé plus de deux ans pour quitter son pays avec sa femme et ses deux filles âgées de trois et six ans. "J'ai tout laissé derrière moi. Mes trois maisons, dont ma ferme avec mes troupeaux de vaches et de moutons, mes amandiers, ainsi que mes deux voitures. J'ai tout donné à mes amis ou à ma famille en attendant..."
En Afghanistan, depuis le départ des troupes françaises en juillet 2014 et de la coalition internationale, le pays est de nouveau plongé dans une immense menace sécuritaire où Talibans, Etat islamique, groupuscules islamistes et seigneurs de guerres sèment la terreur. Aujourd'hui, seul Kaboul et ses alentours très proches sont à peu près tenus par l'Etat. Le reste du pays est déchiré en provinces abandonnées et coupées par les insurgées.
"Ca avait commencé bien avant", estime Abdul Raziq. En 2011, sa maison, pourtant située dans le quartier de la police, au coeur de Kaboul, explose. "Toutes les briques nous sont tombées dessus". Le couple échappe de peu à la mort. La veille de l'attentat, l'homme avait découvert des pancartes dans son quartier appelant à sa mort en échange de 3000 dollars. "Je pensais que c'était une blague. L'armée française m'avait mis alors en quarantaine pendant deux semaines dans une zone sécurisée et m'avait promis un asile politique en France en échange d'une reprise de service rapide." Abdul assure qu'il n'avait jamais pensé venir en France, mais que seule sa situation sécuritaire l'y obligeait.
Je recevais des appels anonymes de personnes qui me disaient en Pachtoune et Dari qu'ils allaient m'égorger
Alors en 2013, l'homme formule une demande. Quelques mois plus tard, elle est refusée. "C'était écrit que la France n'avait pas assez de budget pour nous aider. J'ai passé du bon temps avec l'armée française. Je l'ai servi de 2001 à 2014. Pendant treize ans j'ai pris des risques. Je me souviens d'une fois, où, sur une route, on a été pris en embuscade par vingt insurgés. On était seulement quatre. Un soldat français est mort à côté de moi. Moi j'ai pris des balles dans la jambe. Miracle, un hélicoptère est venu nous aider." Abdul raconte également une édifiante anecdote quand un soldat, après une mission, le supplie d'aller chercher ses armes et son matériel oublié dans une vallée dangereuse, en pleine nuit, loin de la forteresse. "Il pleurait et allait être viré. Alors il m'a donné les coordonnées du lieu et je suis allé en prétextant une connerie aux gardes. Sitôt que je suis sorti, j'ai senti des balles me frôler les oreilles. J'étais pris entre deux échanges de tirs. La base venait juste d'être attaquée et comme c'était la nuit les français me tiraient dessus sans savoir que c'était moi." Au final, l'interprète s'en tire sans blessure et retrouve même les armes oubliées de son ami français. "Il sautait et dansait quand je suis revenu avec son matériel", se souvient en riant Abdul.
Celui qui a appris le français au contact des soldats français, était toujours celui qui entrait le premier dans les villages lors des opérations de recherche de Talibans. "Plusieurs de mes camarades n'ont pas eu ma chance et sont morts ou se sont fait kidnapper pendant leurs services", avoue t-il. C'est ça qui l'a motivé, quand la France est partie sans tenir son engagement, laissant sur le carreau 252 de ses interprètes, à lancer l'association et des manifestations. Cinq fois les interprètes de l'armée française se sont regroupés, au péril de leur vie, devant l'ambassade française de Kaboul. "On ne nous a jamais écoutés sauf la dernière fois quand des journalistes français étaient là." Avec Caroline Decroix, avocate bénévole française, ainsi qu'un collectif d'avocats, ils font alors pression sur l'Etat et le menace d'un procès via un recours juridique nouveau en 2015. Mais le Conseil d'Etat vient briser ce dernier trois mois après les négociations avec les ministères des Affaires Etrangères et de la Défense. Résultat, seulement 100 dossiers sont acceptés fin 2015. "Ils ont été triés comme de vulgaires dossiers", s'insurge Caroline Decroix qui écrit à François Hollande dans la foulée et lance un nouveau recours juridique. Un militaire instructeur français présent en Afghanistan en 2011 va plus loin et parle "d'épicerie humaine." "C'est révoltant ! Ces mecs ont bossé dur pour nous et ont servi la France en prenant des risques. Nous devons tenir nos engagements !" En attendant, Abdul Razik continue de recevoir chaque jour des messages de détresses de ses camarades restés au pays.
Après plusieurs sollicitations et après publication de cet article, nous avons reçu un courriel du ministère français des Affaires étrangères détaillant sa position sur le sujet.
Nous le publions in extenso.
"La France est soucieuse de garantir la sécurité des personnes ayant travaillé avec nos forces entre 2002 et 2014 et celle de leurs familles.
Elle a mis en place une Commission interministérielle qui a reçu en entretien chacun des demandeurs et a été chargée de vérifier les faits et d’apprécier la légitimité des demandes. Ceux-ci ont ensuite été invités à déposer des demandes de visa.
Les personnes pour lesquelles un visa a été délivré bénéficient d’un billet d’avion pour la France et d’une prise en charge interministérielle, comprenant un hébergement et un accompagnement social personnalisé pendant un an.
A ce jour, plus de 100 anciens PCRL accompagnés de leurs familles (soit en tout 377 personnes) ont été accueillis en France où ils ont été pris en charge.
Certaines demandes de visa ont été refusées car elles ne correspondaient pas aux cas de délivrance prévus par le droit applicable. La commission de recours et/ou le tribunal administratif de Nantes peuvent être saisis en cas de contestation".