Fil d'Ariane
Selon le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, malgré sa rébellion en Russie avortée, Wagner devrait poursuivre ses activités à travers le monde. Mais sous quelles forme ? Quel statut aura Wagner ? Quelles seront les rapports de la société privée avec le pouvoir Russe ? Comment seront gérées les activités de Wagner à l'étranger et notamment sur le continent africain ?
Image tirée d'une vidéo publiée le 20 mai 2023, par le service de presse d'Evguéni Prigojine, chef du groupe paramilitaire russe Wagner, dans laquelle ses soldats agitent un drapeau de la Russie et du groupe Wagner au-dessus d'un bâtiment endommagé à Bakhmout, en Ukraine.
C’est à près de 400 kilomètres (200 selon certaines sources) de Moscou que le "presque coup d’État" des mercenaires de Wagner a échoué, samedi dernier. Ce jour-là, le monde entier a retenu son souffle face à un moment qui aurait pu constituer un point de bascule dans l’Histoire de la Russie de Vladimir Poutine.
In extremis, ce serait le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, qui aurait négocié avec Evguéni Prigojine une sortie de crise. Ce dernier, se serait exilé en Biélorussie, en échange de l’abandon des poursuites à son égard.
Le sort de Wagner, qu’il dirigeait, est quant à lui, incertain. Dans son allocution télévisée, ce lundi 26 juin, Vladimir Poutine ordonnait aux membres de la milice à rejoindre l’armée russe, à prendre leur retraite ou à partir, eux aussi, en Biélorussie. Est-ce la fin de Wagner ? Sans doute sur le théâtre ukrainien. Mais Wagner conserve un avenir à l'étranger selon le ministre des affaires étrangères russes Sergueï Lavrov. Les hommes de Wagner resteront présentsau Mali et en République centrafricaine "comme instructeurs" et devraient pouvoir "continuer leur travail".
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Wagner est une société privée mais selon les dires mêmes de Vladimir Poutine elle aurait bénéficié d'une aide de plus d'un milliard de dollars d'aide de l'Etat russe. Moscou la considère comme un instrument d'influence au Moyen Orient mais surtout sur le continent. Des hommes armés de Wagner sont, présent en Syrie, Libye, Mali, Centrafrique ou encore au Soudan. Wagner mène dans ces pays des opérations militaires. Wagner est aussi chargé de la protection personnelle Wagner est également une entreprise économique présent dans le commerce du bois, des diamants en Centrafrique ou de l'or au Mali et au Soudan.
Lire : où se trouvent les principales activités de Wagner en Afrique ?
Au-delà de leurs différends avec Evguéni Prigojine, les dirigeants russes savent que leur investissement diplomatique sur l’Afrique sera rentable à terme.
C'est dans ce contexte que Sergueï Lavrov a assuré que l'épisode du week-end ne changerait rien aux relations de la Russie avec ses alliés africains.
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Le pouvoir pro russe de Bangui est allé dans ce sens. La République centrafricaine a signé (en 2018, ndlr) un accord de défense avec la Fédération de Russie et non avec Wagner", a ainsi déclaré à l'AFP Fidèle Gouandjika, ministre conseiller spécial du président centrafricain Faustin Archange Touadéra, ajoutant: "La Russie a sous-traité avec Wagner, si la Russie n'est plus d'accord avec Wagner alors elle nous enverra un nouveau contingent".
Selon le spécialiste de l’Afrique, Roland Marchal chercheur au Ceri à l'Institut d'études politiques de Paris "Wagner devrait continuer à être un relai russe en Afrique". "Les dirigeants russes, au-delà de leurs différends avec Evguéni Prigojine, savent que leur investissement diplomatique sur l’Afrique sera rentable à terme. C’est quelque chose qui est fait de façon opportuniste, sans grande stratégie, mais avec un bénéfice que représente l’acquisition du soutien de pays africains sur la scène internationale" ajoute-t-il.
Toujours Selon Roland Marchal Wagner est finalement un relai utile, qui permet de servir les intérêts de la Russie, et y trouve son compte. Les membres de l'organisation paramilitaire exploitent l’or et les autres minerais du Mali, du Soudan ou encore de la Centrafrique. Cela permet, notamment, au groupe de subvenir à ces besoins. Un atout pour Moscou qui voit en Wagner une force opérationnelle qui "coûte beaucoup moins cher qu’une intervention militaire officielle", souligne Roland Marchal. Des paramètres qui font dire au spécialiste que "Wagner ne devrait pas quitter l’Afrique de sitôt".
"C’est encore plus vrai pour la Syrie, au vu des intérêts économiques et géopolitiques" de la Russie, pour Roland Marchal.
Selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH), les mercenaires de Wagner et leurs alliés Syriens ont agi comme des "forces spéciales" sur le terrain aux côtés de l'armée du Kremlin à partir de 2015. Ils sont aujourd'hui présents, en plus petits nombres, près des puits de pétrole.
Difficile donc, pour Moscou, de faire une croix sur le rôle des combattants du groupe paramilitaire du jour au lendemain. "Les enjeux sont sans commune mesure avec le contrôle d’un aéroport à Bangui ou Bamako", ajoute Roland Marchal.
En Afrique, le groupe Wagner assure notamment la sécurité du président Faustin-Archange Touadéra. Selon Roland Marchal, la rébellion de Wagner, contre Poutine, n’a pas de quoi faire craindre un possible scénario similaire en Afrique et les chefs d’États africains concernés n’ont pas de crainte à avoir. "On présente souvent la relation entre les deux parties comme étant celle d'une domination des Russes sur les Africains, mais en réalité, les chefs d’États africains se servent de Wagner pour leurs intérêts politiques". "Avec Wagner, le président Touadéra a le coupable idéal en cas de problème et un alibi pour justifier ce qu’il fait, ou au contraire, ce qu’il ne fait pas. Il ne faut pas sous-estimer la capacité de manipulation des dirigeants africains concernant Wagner", poursuit le chercheur.
(Re)voir : Conflit Poutine-Prigojine : quelles répercussions en Afrique ?
Vladimir Poutine paraît amoindri par la tentative avortée de coup d'État. "On mettra du temps à en percevoir les conséquences, mais ce qui s’est passé en Russie a été une douche froide pour les partenaires de Vladimir Poutine", indique Roland Marchal.
Néanmoins, selon lui, "tant qu’ils ne sont pas directement menacés, ils ne devraient pas remettre en cause leur relation avec la Russie". Et pour cause, les pays concernés comme le Mali ou la Centrafrique "sont dans une logique de guerre froide" avec des pays occidentaux comme la France. Ils ont un "partenariat avancé" avec la Russie qui devrait les pousser à ne pas faire brusquement marche arrière. Les hommes de Wagner seraient ainsi selon l'armée française plus de 1000 sur le territoire malien. Ils combattent au coté des forces maliennes. Ils sont accusés par l'ONU d'être responsables de la mort de 500 personnes avec les forces maliennes dans la localité de Moura en 2022.
Le déclenchement de la guerre en Ukraine avait été mal perçu par ces États et clients de Wagner "Ces pays comme le Mali ou la Centrafrique qui mettent en avant la souveraineté, avaient ainsi vu leur partenaire violer celle d’un autre pays, où ils ont leurs ambassades", précise Roland Marchal.
Il risque donc d’y avoir "des méfiances" ou encore "des non-dits" avec Moscou. Mais selon le spécialiste de conflits sur le continent les États concernés par la présence russe ne devraient pas "revoir leur stratégie, sur le fond".
Selon Roland Marchal, en ce qui concerne le groupe Wagner, il faudra surtout suivre si "l’on va vers une intégration de ses membres à l’armée régulière russe".
Une possibilité serait de voir le groupe paramilitaire disparaître à terme, "après avoir été absorbé par une nouvelle compagnie de sécurité, qui assumerait un peu plus ses liens avec l’État russe".
Que ce soit en Ukraine, en Syrie ou encore en Afrique, il faudra voir si le changement de groupe entraînera un changement de nature. Selon Roland Marchal, "il serait difficile d’envisager une structure soumise au ministère de la Défense. Néanmoins, il risque d’y avoir de nouvelles questions autour de la logistique que Moscou devra fournir".