Terrorisme : peut-on condamner les Français candidats au djihad ?
De plus en plus de Français se rendent en Syrie afin de s'entraîner au djihad. D'autres s'y préparent depuis la France. Face à cette situation, dans quelle mesure la justice française peut-elle condamner ces personnes, tant qu'elles ne commettent pas d'actes terroristes ? Un projet de loi prévoit de renforcer la législation antiterroriste. En attendant, éléments de réponse avec Thibault de Montbrial, avocat au Barreau de Paris.
Repérer les "loups solitaires", c'est l'objectif du projet de loi qui doit être présenté, ce mercredi, en conseil des ministres par Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur. Cette initiative vise à renforcer l'arsenal législatif antiterroriste français qui ne prend pas en compte certains cas. En effet, pour le moment, la loi condamne "l'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste" lorsque plusieurs personnes sont impliquées. Le projet prévoit donc une nouvelle incrimination pour les personnes seules : "l'entreprise individuelle à caractère terroriste". Qui sont ces "loups solitaires" ? Ce sont des personnes qui se radicalisent individuellement, le plus souvent sur internet et décident de passer à l'action sans contacter quiconque, ce qui les rend d'autant plus difficiles à repérer. Que dit le nouveau texte de loi ? - Il veut mettre en place une interdiction administrative de sortie du territoire français, qui concernera certains ressortissants, majeurs ou mineurs, afin d'éviter qu'ils n'aillent se radicaliser en Irak ou en Syrie, pour représenter une menace à leur retour. Leur passeport sera momentanément invalidé et confisqué. Cette interdiction sera d'une durée maximum de six mois et renouvelable. - Il renforce l'obligation faite aux opérateurs de retirer tous les contenus faisant l'apologie du terrorisme (...) et le blocage administratif de sites glorifiant le terrorisme. Le projet sera présenté au Parlement "dès les prochains jours" et "voté avant la fin de l'année" a déclaré Bernard Cazeneuve sur France Info.
Pour le moment, “un homme qui se radicaliserait tout seul ne peut pas être poursuivi“
Interview de Thibault de Montbrial, avocat au Barreau de Paris
Dans quelle(s) mesure(s) peut-on condamner les Français qui souhaitent partir ou partent en Syrie dans l'intention de faire le djihad ? Pour le moment il n'y a pas de délit d'intention de départ, mais une personne qui est en contact avec des réseaux considérés comme terroristes par la justice française peut être inquiétée. Pour les Français qui sont partis en Syrie et qui reviennent, c'est la même chose : ils seront condamnables en fonction de la nature de leurs contacts. Alors ils peuvent être poursuivis pour association de malfaiteurs en vue de commettre un acte terroriste. En revanche, une personne qui rejoindrait une organisation qui n'est pas connue pour avoir des activités terroriste ne peut pas être poursuivie. En général, les gens qui sont condamnés se font attraper, pas parce qu'ils sont eux-même surveillés, mais parce qu'ils sont en contact avec quelqu'un qui est surveillé : l'organisateur, le recruteur... Cette personne prépare le départ pour aller combattre en Syrie et est dans une logique considérée comme terroriste par la justice française, notamment au regard de la propagande qui est utilisée sur internet. Le projet terroriste relève des actes préparatoires d'un homme montrant qu'il a une logique qui vise à commettre un acte terroriste : se renseigner sur internet sur une cible, sur un endroit public, faire du repérage, posséder de la littérature qui montre un endoctrinement pour une cause qui peut motiver l'acte. Mais tout cela, il faut que la justice puisse le démontrer.
Un jeune mineur de 17 ans est récemment revenu en France après avoir passé plusieurs mois en Syrie et a été mis en examen. Son père considère que les mineurs ne doivent pas être condamnés car ils sont vulnérables. Faut-il faire une distinction entre l'intention d'un mineur et celle d'un majeur ? Le mineur de 17 ans qui fait 1,85m, 80kg et qui a un niveau d'athlète de compétition, est un aussi bon soldat, sinon meilleur, qu'un homme de 35-40 ans. La distinction mineur/majeur est déjà prévue par le code de procédure pénale sur l'application des règles de poursuite. Donc qu'il s'agisse de voleur, de braqueur ou de djihadiste, cela fonctionne de la même manière. Dire qu'un mineur est nécessairement une victime, c'est une idée que je trouve un peu courte, même si cela peut être le cas. Mais on peut aussi renverser le syllogisme : des majeurs peuvent aussi être des gens très influençables et donc des victimes. Je pense que c'est plus subtil que ça.
Le phénomène des Français qui veulent faire le djihad en Syrie prend de plus en plus d'ampleur. Est-ce que cela oblige la justice à se poser de nouvelles questions, à repenser certaines lois ? Ce phénomène signifie qu'il manque un outil de prévention pour s'assurer de ces gens là judiciairement et pour éviter qu'ils commettent un acte terroriste au retour. Pour qu'il y ait association de malfaiteurs, il faut être au moins deux. Donc un homme qui reviendrait et se radicaliserait tout seul dans son coin ne peut pas être poursuivi, sauf s'il commet des infractions spécifiques comme acheter une arme illégale. Auquel cas ce serait simplement de la détention d'arme illégale, rien de plus. On ne peut pas faire un lien avec une organisation terroriste dès lors que la personne est toute seule. Ce qui est évidemment un vrai soucis juridique et judiciaire. Il faut adapter notre arsenal judiciaire à cette nouvelle réalité et modifier la loi. Mais bien au-delà de la justice, et d'une manière générale, il faut que l'ensemble des acteurs institutionnels qui sont dans la sphère de réflexion autour de ces questions évolue. Nous allons inévitablement subir des attentats en France commis par des gens qui reviennent de Syrie, comme ce qui s'est passé à Bruxelles (tuerie dans un musée juif, ndlr). Il va falloir s'adapter et réagir car nos forces de sécurité vont devoir affronter des gens militairement entraînés, des combattants. C'est quelque chose que la France n'a pas connu depuis la Seconde Guerre Mondiale.