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Terroristes, écologistes : qui se cache derrière le groupe ITS, les "Individus Tendant au Sauvage" ?

Les écoterroristes d'ITS - les Individus Tendant au Sauvage - sont des extrémistes écologiques pour qui "tous les êtres civilisés méritent de mourir". À leur actif, au moins cinq attentats revendiqués dans quatre pays, dont la Grèce, depuis décembre 2018. Leur credo ? Le nihilisme. Leur combat ? Le retour à la nature, convaincus de la destruction inéluctable du monde. Entretien exclusif avec un membre de cette cellule terroriste, présente en Amérique latine et en Europe.
Qui dit terrorisme pense aux jihadistes de Al-Qaïda ou de Daech. Plus rares sont ceux qui imaginent que l’on peut poser des bombes au nom de l’écologie. C’est pourtant une pratique des Individus Tendant au Sauvage (ITS), une formation écoterroriste créée en 2011 au Mexique, et qui a semé la terreur au Chili le 4 janvier 2019, après avoir fait exploser un engin artisanal à un arrêt de bus, dans le centre-ville de la capitale, faisant cinq blessés.

Les membres d’ITS semblent tout droit sortis d’un roman d’anticipation. Ils avancent masqués sur Internet, et dans l’entretien vidéo envoyé à TV5MONDE, encagoulés et vêtus de noir. Les faits trahissent le caractère horizontal de la structure du groupe, d’inspiration anarchiste ; le membre de l’organisation qui s’exprime dans cette vidéo se présente comme étant le « chef de ITS au Mexique ».

TV5MONDE a réussi à entrer en contact avec ce groupe via un blog tenu par un autre groupe écoextrémiste hispanophone, la « Malédiction écoextrémiste » (Maldición Ecoextremista en espagnol). Ce blog, hébergé par l’Italien Altervista, officie comme le « média officiel » d’ITS. Tous les communiqués du groupe (75 publiés le 22 février 2019), comme les revendications d’attentats, y sont publiés. Le blog héberge des contenus en sept langues - turc, anglais, italien, portugais, grec, tchèque et roumain. « Aucun membre d’ITS ne parle français », nous indique un membre de « Malédiction Ecoextrémiste » au cours de notre enquête.

Pour obtenir une interview avec un membre d’ITS, nous avons échangé des courriels avec la « Malédiction Écoextrémiste » qui nous a demandé de créer un compte sur une messagerie sécurisée, basée en Suisse. L’entretien obtenu est le cinquième depuis la création d’ITS, et le premier donné à un média francophone. Trois interviews ont été accordées à des médias mexicains, une à la presse argentine.
TV5MONDE a envoyé ses questions par courriel. Xale, pseudonyme derrière lequel se cache l’un des membres fondateurs d’ITS et chef de l’organisation au Mexique, a répondu à certaines de nos questions dans une vidéo de sept minutes, mise à disposition sur un serveur basé en Nouvelle-Zélande.
 

Rien ni personne


« ITS s’est créé spontanément », indique Xale dans la vidéo que nous avons reçue. « En avril 2011, poursuit-il, nous avons commis notre premier attentat à la bombe, qui a gravement blessé un employé d’une université au Mexique. Nous voulions en rester là, mais en voyant que nous pouvions utiliser ce modus operandi, nous avons commencé à perpétrer des dizaines d’attentats avec des colis piégés. »

Pour ITS, une devise résume tout : « tous les êtres humains civilisés méritent de mourir ». En janvier 2019, alors qu’ITS dépose un engin explosif devant une Université à Santiago la capitale, le groupe dit « regretter » qu’elle n’ait pas explosé, et qu'elle n'ait tué personne - « peu importe qui serait mort », précisent-ils dans un communiqué.
Des attentats, mais dans quel but ? Aucun. Le groupe affirmait en 2016, à un journal mexicain : « nous ne demandons rien, nous n’avons aucune exigence (…) nous ne voulons rien résoudre, nous ne proposons rien à quiconque ». Un nihilisme dans son plus pur aspect, avec cette nuance qu’apporte Xale dans la vidéo : « nous voulons participer à la déstabilisation de l’ordre établi, et prendre part à la paranoïa collective, pour terroriser les bonnes habitudes d’une société corrompue par son hypocrisie ».

Tous les êtres humains civilisés méritent de mourir.

Extrait d'un communiqué des Individus Tendant au Sauvage

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Texte publié dans la revue promeuvant l'écoterrorisme Régression en 2016


Au-delà de la déstabilisation de l’ordre établi, les nihilistes d’ITS souhaitent farouchement un retour à l’état sauvage. Une vision presque rousseauiste, avec de fréquentes références aux peuples autochtones d’Amérique latine, tant dans les revues numériques, que dans la mise en scène de la vidéo, avec cette carafe utilisée jadis par le peuple des Chichimèques. Une mise en scène, agrémentée d’un crâne de mouton et de racines d’une plante mexicaine - le mezquite, le tout éclairé avec « la cire d’une bougie naturelle », nous précise Xale.



Mysticisme et écoterrorisme

Les noms des différentes branches d’ITS renvoient aussi à leur proximité avec la nature : la "horde mystique du bois" au Chili, les "constellations sauvages" en Argentine ou encore "la secte païenne de la montagne" au Mexique. Les membres d’ITS ne croient en rien, si ce n’est en eux-mêmes, leur « nature sauvage » et leurs « racines primitives ». « L’espoir est mort chez nous. Il n’existe pas. Il n’existera ni changement, ni révolution, qui transforme la merde en or. Nous sommes perdus ! Et nous acceptons notre déclin, tout en regardant en face la problématique réelle : le progrès humain et la civilisation moderne », selon Xale, membre fondateur d’ITS.

Nous ne demandons rien, nous n’avons aucune exigence (…) nous ne voulons rien résoudre, nous ne proposons rien à quiconque.

Extrait d'une interview d'ITS accordée à un journal mexicain en 2016

Le groupe puise son inspiration dans l’anarcho-primitivisme, une « anarchie anti-civilisation » dont s’inspire largement ITS. « J’ai approfondi les théories du "Front de Libération de la Terre" (Earth Liberation Front), et leur ai donné un ton différent », explique Xale. « Je me suis intéressé aux problématiques auxquelles fait face le continent américain, aux cultures indigènes qui se sont opposées à la civilisation », assure le membre mexicain d’ITS dans la vidéo.

Toutefois, ITS tient à s’affranchir du carcan de toute idéologie et indiquait, en 2016, dans la revue numérique Régression – Cahiers contre le progrès : "nous ne sommes ni révolutionnaires, NI anarchistes, nous ne représentons pas la gauche radicale. Nous ne sommes PAS primitivistes. Le naïf romantique Zerzan NE NOUS REPRESENTE PAS (ndlr : philosophe du primitivisme), pas plus que le naïf radical Kaczynski (ndlr : écoterroriste américain) ni AUCUN théoricien grec, espagnol, italien, brésilien etc., ni personne".

Selon un chercheur latino-américain qui préfère garder l’anonymat pour des raisons de sécurité, ITS est un "groupe de personnes, jeunes, peu préparées, tant sur le plan intellectuel que matériel. Le groupe se fonde sur des arguments faibles, poursuit le chercheur, ce qui les rend d’autant plus dangereux, car leur discours évolue avec le temps". Priment chez les membres d’ITS, pour ce chercheur, davantage des « problèmes mentaux que des convictions politiques », ce qui représente un « double danger ».


Les Individus Tendant au Sauvage, l'anticivilisation

ITS est présent dans sept pays : trois en Europe – l’Espagne, la Grèce et le Royaume-Uni (l’Ecosse)-, et quatre en Amérique latine, l’Argentine, le Brésil, le Chili et le Mexique.

 
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Capture d'écran d'une vidéo avec un membre d'ITS -Argentine

Le 27 juin 2016, le groupe revendique l’assassinat de Jaime Barrera Moreno, employé de la faculté de chimie de l’université du Mexique, la UNAM.

Sur le blog de la Malédiction Ecoextrémiste, deux autres assassinats sont revendiqués depuis 2011, en lien également avec des centres de recherche scientifique. Pour ITS, "l’humanité est perdue". Ni hostile à la classe ouvrière en particulier, ni aux puissants, le groupe se déclare contre "l’humanité moderne". La guerre des classes ? "Une stupidité superflue."

"Pourquoi attaquer le peuple opprimé ?"
, se demande ITS dans un communiqué en janvier 2019. "Parce qu’on se fiche complètement du statut social. Riches, pauvres, indigents. N’importe quel immonde être humain mérite de mourir", indique le groupe dans un cynisme non caché après un attentat commis dans la capitale chilienne.
 

Des bombes au nom de l’écologie

Le 4 janvier 2019, une bombe explose à un arrêt de bus  dans le centre-ville de Santiago. Bilan : 5 blessés. Les Santiaguinos paniquent à la vue du moindre sac ou paquet oublié dans la ville dans les jours qui suivent l’attentat, les médias s’emballent.
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Photo du dispositif explosif d'ITS utilisé lors de l'attaque du 4 janvier 2019 à Santiago du Chili, postée par le groupe sur un blog. On peut y lire "Bonne année 2019" en espagnol.
"Le Chili n’est pas habitué à ce type d’actes, encore moins quand il n’existe aucune idéologie forte derrière", indique le chercheur latino-américain joint par TV5MONDE. Mais, nuance-t-il, "comme dans toute société occidentale au rythme de vie effréné, cette dernière attaque est presque déjà oubliée de tous".

Une bombe à un arrêt de bus et un bus incendié au Chili en décembre 2018, des explosifs laissés devant des églises au Mexique et en Grèce le soir de Noël 2018, faisant chacun quelques blessés. Des bombes aussi devant des églises dans le Brésil de Jair Bolsonaro, président d’extrême droite.

Les attentats d’ITS, groupe opposé au catholicisme, ont lieu dans des lieux "petits et isolés, faciles à attaquer", analyse le chercheur latino-américain. "Loin d’un attentat dans un centre commercial, entouré de caméras de sécurité, où la pression sociale en vue de retrouver les auteurs serait accrue", observe le chercheur.


Les enquêtes piétinent

Les acquittements ou les remises en liberté, faute de preuves, des membres d’ITS, sont érigés en victoire dans leurs communiqués. Après l’attentat au Chili le 4 janvier 2019, personne n’a été arrêté à ce jour.

Selon une source proche du dossier, la police chilienne a « peu de pistes », et aucune d’entre elles « n’est claire ». Il faut dire que les services de renseignement chiliens ont été démantelés après la dictature de Pinochet (1973 - 1990) et « ne sont pas efficaces », souligne le chercheur latino-américain contacté par TV5MONDE. Ceci explique leur « maladresse », ajoute ce dernier, et explique en partie « les grands problèmes du Chili pour faire face et anticiper les affaires de terrorisme ».

Dans une interview au quotidien andin La Tercera en janvier 2019, Raúl Guzmán, procureur en charge de l’enquête sur l’attaque du 4 janvier 2019 à Santiago, abonde dans ce sens : « je souhaite que l’agence chilienne de renseignements (la ANI) joue un rôle plus opérationnel dans la découverte d’informations ». Autrement dit, le procureur appelle de ses vœux plus d’efficacité de cette agence. Ce procureur chilien ajoute que ces actions terroristes « n’obéissent à aucune idéologie politique ». Le nihilisme donc, couplé à une volonté de rendre leur liberté aux animaux.


Guérilleros de la cause animale

ITS s’oppose à la domestication des animaux. Avec les scandales de viande avariée polonaise, ou des lasagnes à la viande de cheval en 2013, l’on pourrait croire que ces écoterroristes s’inscrivent dans la lignée des antispécistes tels l’association L214. Il n’en est rien.
Dans un communiqué intitulé « le mythe du véganisme », ITS critique l’« irrationalité des idées et valeurs de la philosophie végane », qualifiée de « régime civilisé moderne qui alimente les rêves progressistes des humanistes de merde ». L’écoterrorisme n’a ni foi en l’homme, ni en son futur.
 

« À long terme, la seule chose que nous voulons, c’est survivre, continuer à mener notre guerre, nous étendre à d’autres nations et réussir tous nos attentats », souligne Xale dans la vidéo envoyée à TV5MONDE.

En ce qui concerne le risque d’attentats en France, selon nos sources, ITS « ne constitue pas une menace immédiate et prioritaire sur le territoire national et n’est pas jugé suffisamment crédible pour attenter aux intérêts fondamentaux de la Nation ».