Le parlement thaïlandais a voté à l'unanimité une nouvelle loi sur la cybersécurité ce jeudi 28 février 2019. Les agences gouvernementales dirigées par la junte militaire détiennent désormais des pouvoirs très étendus pour accéder aux données des réseaux informatiques ou saisir tout type d'appareil numérique en cas de "cybermenace". Les défenseurs des libertés civiles qualifient cette réglementation de "loi martiale numérique".
Les défenseurs des libertés civiles sont unanimes en Thaïlande. Ils dénoncent les abus de pouvoir que la loi sur la cybersécurité, votée ce jeudi 28 février 2019, autorise désormais. Il faut dire que le "Cybersecurity Act" tel qu'il a été approuvé par les parlementaires est le texte le plus répressif en terme de contrôle d'Internet de tous les pays asiatiques.
"Loi martiale numérique"
La loi Internet thaïlandaise de 2016 — le Computer Act — offrait déjà des possibilités de répression très vastes, car elle reste floue et ambigüe. Les personnes qui "
mettraient sur Internet des données inexactes ou altérées, si ces données compromettent l’ordre public, le fonctionnement des services publics ou sont susceptibles de créer une panique" peuvent être punies d’une peine maximale de cinq ans de prison, par exemple.
Un comité de neuf "sages" a été aussi mis en place et peut demander à un tribunal de bloquer ou de détruire des données mises sur internet qui "
nuiraient à la moralité publique".
Cette loi a été combattue par une partie importante de la population à l'époque, avec une pétition qui a été signée par 360 000 personnes. Olivier Cougard, journaliste français indépendant à Bangkok témoigne de la répression politique effectuée grâce au Computer Act : "
Le jeune leader de 40 ans d'un parti politique, Thanathorn est inquiété pour avoir publié un message sur sa page Facebook critiquant le pouvoir en place. Pour avoir émis ces propos sur Internet il est poursuivi dans le cadre du Computer Act et risque jusqu'à 5 ans de prison."
Aujourd'hui, avec la loi sur la cybersécurité, c'est un degré de plus dans le contrôle d'Internet et de l'information numérique qui est franchi, puisqu'elle permet aux autorités administratives de "contrôler Internet" sans limites et d'arrêter tout utilisateur, sans recourir à une autorité judiciaire, si une "situation d'urgence en cybersécurité" l'exige.
Ce "seuil critique de cybersécurité", s'il est atteint — selon les autorités — permet alors au Conseil de sécurité nationale de la cybersécurité (NCSC) — dirigé par des militaires — de convoquer des personnes pour un interrogatoire ou d'entrer dans une propriété privée sans ordonnance du tribunal. Un autre "comité cyber" — toujours dans le cas d'un "état d'urgence en cybersécurité" — bénéficiera de pouvoirs étendus pour accéder aux réseaux informatiques, copier des données et saisir tout type d'appareil numérique. Des sanctions pénales sont prévues dans la loi pour ceux qui ne se conformeraient pas aux ordres.
Autocensure et craintes généralisées
Les Thaïlandais, férus de réseaux sociaux n'ont "
pas apprécié le vote de cette nouvelle loi et le font savoir sur Twitter", explique Olivier Cougard, mais l'autocensure reste la règle pour les opposants politiques, les journalistes et les militants, tous déjà inquiets de risquer les foudres du Computer Act. "
Il y a assez régulièrement des opposants ou leaders politiques qui sont visés par le Computer Act de façon assez opportune à l'approche des élections. Et là, avec cette nouvelle loi sur la cybersécurité, une couche est rajoutée. Sous couvert de lutte contres les pirates, les virus, le but est d'accentuer la surveillance sur Internet. En cas de menace informatique, la nouvelle agence de cybersécurité pourra infiltrer les ordinateurs, aspirer leurs contenus, et tout ça sans avoir de mandat", explique le journaliste.
La loi sur la cybersécurité est une loi d'exception, votée quelques semaines avant l'élection présidentielle, ce qui fait craindre son application par le pouvoir militaire. Déclarer une cyberattaque ou prétendre que la cybersécurité nationale est en jeu pourrait être une arme numérique de dissuasion massive au service de la junte en Thaïlande, ce que craignent les défenseurs des libertés civiles.
Comme le dit Olivier Cougard : "
Tout le monde est en attente, mais personne n'est dupe. Cette loi est tellement vague avec cette définition 'de menace potentielle à la sécurité nationale' que tout est possible. C'est un sujet sensible et il faut attendre d'avoir un peu de recul pour juger son application. Mais la censure et la répression politique par Internet sont déjà actives en Thaïlande avec le Computer Act".
> A lire en complément sur notre site : "Règlement antiterroriste européen : la censure d'Internet automatisée par les GAFA ?"