Thaïlande : le premier ministre, Prayut Chan-O-Cha, suspendu par la Cour constitutionnelle

La Cour constitutionnelle thaïlandaise a décidé, mercredi 24 août, de suspendre le premier ministre, Prayut Chan-O-Cha. Elle doit statuer sur la possibilité pour le dirigeant de rester au pouvoir au-delà de la limite de huit ans fixée par la Constitution. Cette décision constitue un séisme politique à quelques mois des élections générales.
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Premier ministre Thaïlande
Le Premier ministre thaïlandais Prayuth Chan-O-Cha, à son arrivée au siège du gouvernement à Bangkok, le 16 août 2022.
Sakchai Lalit (AP)
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Il avait promis de restaurer la démocratie, mais n'a cessé de resserrer son emprise sur la Thaïlande. Jusque-là imperméable à toutes les crises, le premier ministre, Prayut Chan-O-Cha, a subi un premier revers de taille mercredi 24 août. La Cour constitutionnelle l’a suspendu et doit trancher sur son mandat. Saisie par des députés de l’opposition, elle s’interroge sur la légalité de son pouvoir. 

Le dirigeant est suspendu le temps de démêler le nœud juridique. La procédure devrait lui prendre plusieurs semaines.

L'opposition brandit l'article 158 de la constitution de 2017 qui limite à huit ans la durée en poste du Premier ministre. A noter que le texte a été rédigé par la junte au pouvoir et est considéré comme favorable à l'armée.
 "Il est ironique de constater que cette clause ne ciblait pas à l'origine le général Prayut mais la bête noire de l'armée, Thaksin Shinawatra", Premier ministre de 2001 à 2006, remarque Thitinan Pongsudhirak, professeur de sciences politiques à l'Université Chulalongkorn de Bangkok.

Longévité surprenante

Changement de monarque, manifestations massives pour la démocratie en 2020, pandémie de Covid, crise constitutionnelle... Dans un royaume à l'histoire politique récente mouvementée, l'ancien général détonnait par sa longévité. A 69 ans, il se voyait encore diriger de longues années.

"C'est extraordinaire qu'il puisse tenir aussi longtemps", s'est étonné Aaron Connelly, spécialiste de l'Asie du Sud-Est à l'Institut international d'études stratégiques.

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"La longévité politique de Prayut tient en partie à des perceptions selon lesquelles il continue d'avoir le feu vert du régime conservateur-royaliste qui dirige de l'intérieur la Thaïlande depuis les coulisses", explique Thitinan Pongsudhirak. 

L'omniprésent Prayut Chan-O-Cha ne va pour autant quitter le gouvernement durant sa suspension. Il continuera à siéger comme ministre de la Défense, poste qu'il occupait en même temps que celui de premier ministre.

Ses soutiens préparent déjà la riposte, avec deux interprétations différentes qui pourraient lui permettre de rester jusqu'en 2025 ou 2027. 

Légitimation des putschites

Le dirigeant a gardé de son éducation militaire sa posture droite, décrite par ses adversaires comme rigide ou sévère. 

Il a justifié le coup d'Etat, orchestré en mai 2014, contre le gouvernement de Yingluck Shinawatra, soeur de Thaksin, en invoquant le sens du devoir pour défendre la monarchie.

Alors à six mois de la retraite, l'ancien commandant en chef de l'armée avait remplacé son uniforme kaki par des costumes cravates ou des vestes traditionnelles col Mao colorées.

"Oncle Tu" ou "Big Tu" aime cultiver l'image d'un homme proche du peuple. Il a poursuivi sa transformation en homme politique lors des élections législatives controversées de mars 2019, qui ont légitimé son pouvoir.

Il se montre intransigeant dès lorsqu'il s'agit de réprimer le mouvement qui réclame sa démission et une réforme de la toute-puissante monarchie, comme lors des grandes manifestations en 2020. La pandémie de coronavirus lui a offert un nouveau prétexte pour resserrer l'étau autour des activistes pro-démocratie.

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"Manque de vision" 

Côté politique, "il manque d'une vision générale. Le gouvernement est dans la réaction, il n'est pas pro-actif", relève Sophie Boisseau du Rocher, de l'Institut français des relations internationales (Ifri).

Le général a participé à certaines des pages sombres de l'histoire récente du royaume.
Il est souvent décrit comme l'artisan de l'assaut militaire du 19 mai 2010 contre le camp retranché des "Chemises Rouges" (partisans des Shinawatra). Ceux-ci occupaient le centre de Bangkok pour réclamer la démission du gouvernement de l'époque. Bilan, 90 morts et 1.900 blessés.

Selon une note diplomatique américaine diffusée par le site WikiLeaks, il aurait aussi soutenu le putsch contre Thaksin Shinawatra en 2006

Cet amateur de golf, père de deux jumelles, est promu à la tête de la Première armée (centre du pays, dont Bangkok) en 2006. Il devient ensuite le numéro deux des forces terrestres, puis prend la direction de l'armée en 2010.

Peu après le coup d'État, il avait promis de restaurer la démocratie. Il a mis près de cinq ans pour organiser les élections législatives, le temps de consolider son autorité. Le prochain scrutin, en revanche, prévu en 2023, pourrait bien se dérouler sans lui.

(Re)voir : Thaïlande : le premier ministre suspendu par la Cour constitutionnelle

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