Leur détermination ne fléchit pas : depuis un mois, à Bangkok, les manifestants se mobilisent pour obtenir la démission du gouvernement de Yingluck Shinawatra. Cette semaine, les protestations ont monté d'un cran avec l'occupation de plusieurs bâtiments officiels. Ce vendredi, ils étaient des milliers à entrer de force au quartier général de l'armée pour demander aux militaires de les rejoindre.
Les manifestants à l'assaut de la police, de l'armée, du parti au pouvoir, des ministères...
Un mois de protestation contre le gouvernement
13.12.2012Avec AFPL'opposition se mobilise depuis un mois contre la chef du gouvernement Yingluck Shinawatra et son frère Thaksin, ancien Premier ministre renversé par un coup d'Etat en 2006, qui reste au coeur de la politique du royaume malgré son exil. Les manifestations ont pris une nouvelle dimension cette semaine, avec l'occupation de plusieurs bâtiments officiels, dont le ministère des Finances. Les manifestants, qui ont rejeté les appels au dialogue du pouvoir, ont aussi assiégé par milliers plusieurs administrations, dont le quartier général de la police nationale. Ce vendredi 29 novembre, quelques milliers d'opposants au gouvernement ont occupé le quartier général de l'armée de terre - ils ont forcé le portail, entrant dans le complexe avant de ressortir de leur plein gré un peu plus de deux heures plus tard - et assiégé le siège du parti au pouvoir pendant quelques heures avant de se disperser. Autant de nouvelles démonstrations de force pour pousser le gouvernement à la démission. Cette atmosphère insurrectionnelle est concentrée dans quelques endroits Bangkok, mégalopole de 12 millions d'habitants, où la vie suit son cours. "Ils espèrent que les militaires interviennent..." "Ils n'ont pas de stratégie ou de but clair. Leur désir et celui de leurs meneurs est de créer le chaos et la destruction, en espérant sans doute que les militaires interviennent et prennent le pouvoir", a expliqué Andrew Walker, de l'Université nationale australienne. "Nous voulons savoir si l'armée se mettra du côté du peuple", a en effet déclaré l'un des meneurs des manifestants, Amorn Amornrattananont, affirmant néanmoins "ne pas vouloir un coup d'Etat militaire". Une hypothèse qui n'est pourtant pas absurde dans un pays qui a connu 18 coups d'Etat ou tentatives depuis l'établissement de la monarchie constitutionnelle en 1932. Mais alors que les généraux, traditionnellement vus comme une force protectrice de la monarchie, ont parfois joué un rôle majeur dans l'histoire politique du pays, le puissant chef de l'armée de terre Prayuth Chan-O-Cha a appelé les manifestants à respecter "le processus démocratique en accord avec la loi". "S'il vous plait, n'essayez pas de pousser l'armée à prendre parti", a-t-il déclaré, appelant à l'unité à l'approche de l'anniversaire du roi Bhumibol le 5 décembre, des célébrations entourées de respect qui pourraient marquer une pause dans la mobilisation. Des milliers d'autres opposants, accompagnés du bruit assourdissant de sifflets qui sont devenus leur signe distinctif, ont marché vers le siège du parti Puea Thai au pouvoir, qui avait largement remporté les dernières élections de 2011, comme tous les autres partis pro-Thaksin avant lui depuis plus de dix ans.
"Risques de violence" L'un des meneurs des manifestants, Suthep Thaugsuban, a annoncé de nouvelles cibles pour ce week-end, y compris le zoo de la capitale, et appelé à un rassemblement près de Governement House dimanche. "Le 1er décembre sera le jour de la victoire. Les manifestants ont radicalement changé depuis le début où les leaders avaient promis de manifester pacifiquement", a commenté Paradorn Pattanatabut, chef du Conseil de sécurité nationale, décrivant les manifestations comme "illégales", avec "des risques de violence". Leur colère a été provoquée par un projet de loi d'amnistie, selon eux taillé sur mesure pour permettre le retour de Thaksin, en exil pour échapper à une condamnation pour malversations financières. Malgré le rejet du texte par le Sénat, les manifestants, groupes hétéroclites rassemblés par leur haine du milliardaire, n'ont pas désarmé et exigent désormais la tête de Yingluck qu'ils considèrent comme une marionnette de son frère. Dans une capitale habituée aux violences politiques, ce mouvement, le plus important depuis la crise de 2010 qui avait fait 90 morts, fait craindre des débordements, notamment à l'approche du week-end qui devrait voir une nouvelle augmentation du nombre de manifestants après un pic à quelque 150 000 personne dimanche dernier. Quelques milliers de "rouges" campent d'autre part dans un stade de la capitale depuis dimanche et ont appelé pour samedi à un grand rassemblement. En 2010, quelque 100 000 "chemises rouges" avaient occupé le centre de Bangkok pour réclamer la chute du gouvernement démocrate de l'époque, avant un assaut de l'armée. La crise, la plus grave qu'ait connue la Thaïlande moderne, avait fait quelque 90 morts et 1900 blessés. Elle avait également mis en lumière les profondes divisions de la société thaïlandaise entre masses rurales et urbaines défavorisées du nord et du nord-est du pays, fidèles à Thaksin, et les élites de la capitale gravitant autour du palais royal qui le voient comme une menace pour la monarchie.
La repression de chemises rouges en 2010 : rappel en image
12.04.2010Reportage : Arnaud Dubus, Bruno CaretteEn avril 2010, les manifestations des "chemises rouges" paralysent la capitale thailandaise. Au bout de plusieurs semaines de contestation, le chef du gouvernement Abhisit Vejjajiva décide de déclarer l'état d'urgence et ordonne la répression des "chemises rouges" par les militaires. Sur place, notre correspondant décrit la confrontation : "Il y a eu cinq ou six soldats de tués et un chemise jaune, mais l'énorme majorité des morts étaient des manifestants chemise rouge, j'en ai été directement témoin, ils ont été abattus comme des lapins par les militaires, alors qu'ils étaient tout à fait désarmés".