Thaïlande : l'exode massif des Cambodgiens sans papiers
Des milliers d'immigrés cambodgiens continuent de fuir la Thaïlande, qui menace de les expulser. Ils seraient 220 000 à avoir quitté le pays pour retourner chez eux, au Cambodge. Pourtant, ces travailleurs sont un rouage important de l'économie thaïlandaise. Focus sur cette immigration clandestine dont la Thaïlande ne veut plus.
"Le nombre total de Cambodgiens qui sont rentrés de Thaïlande entre le 6 et le 18 juin est de 220 000 aux différents points de passage entre les deux pays" a déclaré à l'AFP Pich Vanna, responsable du Bureau des relations frontalières Cambodge-Thaïlande. Nombre d'entre eux arrivent par camions de l'armée thaïlandaise dans leur pays d'origine. Selon le gouverneur de la province de Banteay Meanchey au Cambodge, "Ils ont peur. C'est pour cela qu'ils continuent à revenir". En effet, menacés d'expulsion par la junte militaire thaïlandaise au pouvoir depuis le 22 mai dernier, après un coup d'Etat qui a renversé le gouvernement en place, les immigrés cambodgiens fuient le pays.
Ces clandestins sont, pourtant, essentiels pour l'industrie de la pêche ou des chantiers de construction en Thaïlande. Longtemps tolérés par des autorités qui fermaient les yeux sur leur présence. La situation semble se durcir sous l'effet de la crise politique mais également d'une situation économique moins souriante.
“Les Cambodgiens connaissent les règles du jeu“
Interview de Sophie Boisseau du Rocher, chercheuse associée au Groupe de Recherche et d'Information sur la paix et la sécurité (GRIP) à Bruxelles
18.06.2014Propos recueillis par Laura Mousset
220 000 immigrés cambodgiens auraient fui la Thaïlande selon les autorités cambodgiennes, est-ce possible ? On dit que cela représente la quasi-totalité des clandestins venant du Cambodge...
Cela ne représente pas la quasi-totalité des cambodgiens : ils sont 400 000 à travailler en Thaïlande. Il faut avoir à l'esprit que traverser la frontière est une chose très facile et bien organisé. Ce n'est pas compliqué pour ces clandestins de rentrer chez eux s'ils sont une menace. Le gouvernement cambodgien a mis à la disposition de ces travailleurs quelques 300 camions pour faciliter leur retour. Il n'y a pas de difficulté majeure ou logistique à les faire rentrer au Cambodge.
Aujourd'hui les chiffres varient entre 140 000 et 180 000 immigrés qui ont fui (220 000 selon l'AFP de ce mercredi). Cette variation montre que l'on a pas une idée précise de l'ampleur des départs. Mais ce qui est sur, c'est que cela représente un retour massif au Cambodge, le temps que la situation se calme en Thaïlande. Dès que ce sera plus calme, ils retourneront en Thaïlande : c'est vraiment provisoire.
Selon vous, ce sont les Cambodgiens qui prennent la décision de partir ?
Absolument. D'une part, ils craignent des représailles particulières sur les cambodgiens, sachant que le gouvernement de leur pays est relativement favorable au mouvement des "Rouges" (mouvement allié à l'ancien premier ministre thaïlandais, Thaksin Shinawatra, renversé par la junte militaire, actuellement au pouvoir, ndlr) et à la famille Shinawatra. D'autre part, le PIB de la Thaïlande est en chute : moins 2 ou 3 % au cours du premier trimestre 2014. Il y a donc un moindre besoin de cette main d'oeuvre. C'est une sorte "d'assainissement". Comme les immigrés cambodgiens craignent que les autorités viennent sur les chantiers ou dans les fermes de crevettes pour vérifier la régularité de leurs papiers, ils préfèrent anticiper et repartir vers leur pays.
Pourtant cela ressemble plus à des expulsions qu'à des départs anticipés. La junte militaire thaïlandaise veut adopter une politique d'immigration plutôt stricte...
Du fait de la contraction de la croissance en Thaïlande et donc de la montée du chômage, il y a une priorité nationale. Mais il n'y a pas de répression particulière. Il est vrai que la Thaïlande accueille un nombre important de travailleurs clandestins : environ 2 millions de birmans, entre 400 et 500 000 cambodgiens… Mais aujourd'hui, il y a une espèce de panique qui s'est emparée de tous ces milieux clandestins, d'autant plus que les immigrés sont incapables de montrer des documents de travail en règle.
Ce sont des travailleurs qui ne sont absolument pas qualifiés. Ils effectuent des besognes que les thaïlandais sont moins prompts à accomplir, notamment dans les fermes de crevettes, dans l'agriculture et la construction. Ils travaillent à la journée et vivent dans des conditions déplorables. Certains parlent d'une certaine forme d'esclavagisme, cela s'est peut être avéré dans quelques entreprises mais ce n'est pas la majorité des cas. Il est évident que ce sont des taches difficiles qu'ils acceptent parce qu'il n'y a pas d'opportunités d'emplois au Cambodge. Il y a des hommes et des femmes. En Thaïlande, il y a beaucoup d'employées de maison cambodgiennes par exemple. Ce sont des gens qui n'ont pas de permis de travail et qui seraient incapables d'en avoir. Ils traversent la frontière clandestine, qui rentrent en Thaïlande et qui vont proposer leurs services, au jour le jour, sur les chantiers.
Que représentent ces Cambodgiens pour l'économie thaïlandaise ?
Ils représentent un main d'oeuvre pas chère et accessible. Ils sont une clef d'ajustement de l'économie : quand elle fonctionne bien, on les emploie, quand elle ne tourne plus, on les renvoie, c'est aussi simple que cela. Ils contribuent certainement au PIB de la Thaïlande mais comme une sorte de critère d'ajustement qui permet de les employer seulement quand il y en a besoin. Le fait qu'ils soient renvoyés, cela n'aura pas de répercussion sur l'économie. La raison pour laquelle le sujet nous interpelle, c'est pour ces départs massifs. L'ampleur est visible. Toutefois, sur l'ensemble du territoire de la Thaïlande, cela ne représente pas grand chose, c'est assez marginal.
Ils n'ont pas les moyens pour l'instant de le faire, l'économie ne tourne pas, ça leur coûte cher. Je pense qu'il faut dédramatiser la situation, les cambodgiens le savent, ils connaissent les règles du jeu. Le gouvernement cambodgien râle mais c'est contre la junte militaire qui est allée à l'encontre des intérêts de ses proches partenaires.
Cette politique d'immigration stricte est-elle nouvelle en Thaïlande ?
Chacun des gouvernements précédents avait adopter une politique d'immigration. Il n'y a rien de vraiment nouveau. Les Thaïlandais sont des gens très nationalistes, la nationalité thaïlandaise ne s'obtient pas facilement et parfois il est difficile d'obtenir un visa à long terme si on ne veut pas investir dans le pays.