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La réincarnation est un sujet métaphysique qui préoccupe rarement les grandes puissances. Pourtant, celle du dalaï-lama, visage du Tibet pour le monde entier, pourrait bien déclencher un tempétueux débat dans la région. 65 ans jour pour jour après l'arrivée du dalaï-lama en Inde, où il vit depuis en exil, l'AFP fait le point sur les implications géopolitiques de cette succession suivie de très près par la Chine.
Le chef spirituel tibétain en exil, le Dalaï Lama, donne un court sermon au temple Tsuglakhang à Dharamshala, en Inde, le samedi 24 février 2024.
Les bouddhistes tibétains croient que Tenzin Gyatso, l'actuel dalaï-lama âgé de 88 ans, est la 14e réincarnation de leur chef spirituel, né en 1391. Tenzin Gyatso ne montre aucun signe de santé déclinante et a déclaré qu'il se verrait bien vivre jusqu'à 113 ans.
Mais 65 ans après le soulèvement raté contre le pouvoir chinois qui a conduit le dalaï-lama à l'exil en Inde, la question de sa succession se pose plus que jamais.
(Re)voir → Il y a 60 ans, l'exil du Dalaï Lama [Le Mémo]
Les Tibétains, comme la Chine, savent que la disparition du dalaï-lama risque de faire reculer la cause de l'autonomie du Tibet, privée d'un prix Nobel populaire pour son humour et ses enseignements.
Surtout si Pékin concrétise son intention de désigner son successeur: cela laisserait augurer de nominations rivales, en particulier par les Tibétains installés en Inde. Les tensions entre les deux pays les plus peuplés au monde se sont aggravées depuis un affrontement frontalier meurtrier en 2020.
Traditionnellement, la succession du dalaï-lama est le fruit d'une quête rituelle dont sont chargés des moines tibétains. A l'affût de signes qu'un enfant est la réincarnation du chef spirituel des bouddhistes tibétains, leur mission peut prendre des années.
Choisi enfant selon ce rite, l'actuel dalaï-lama, en exil à Dharamsala (Nord de l'Inde) depuis qu'il a fui son pays en 1959, a évoqué la possibilité d'une succession non traditionnelle.
(Re)lire → Tibet : un anniversaire à risque
Il a déjà mis fin, en 2011, aux pouvoirs politiques de son statut en faveur d'un gouvernement tibétain en exil élu démocratiquement par la diaspora. Il a en outre évoqué la possibilité d'être l'ultime réincarnation mais aussi et, pour la première fois, que la prochaine pourrait être une fille.
Mais il existe une curieuse alternative à la réincarnation par laquelle l’âme du dalaï-lama revient dans le corps d'un nouveau-né : celle de "l'émanation avant la mort".
Dans ce cas, l'âme du dalaï-lama pourrait fort bien être transférée de son vivant dans le corps d'un jeune successeur adulte, selon la croyance tibétaine.
"Il est possible pour le lama de nommer soit un disciple comme successeur, soit un jeune qui doit être reconnu comme son émanation", a expliqué le dalaï-lama en 2011. Le leader religieux a promis qu'il laisserait des instructions écrites essentielles dans "sa lettre prédictive" que les moines devront suivre autour de son 90e anniversaire en juillet 2025.
Il a déclaré que la responsabilité du choix d'un successeur "incombera principalement" à sa fondation Gaden Phodrang Trust, basée à Zurich et créée pour maintenir la tradition et l'institution du dalaï-lama.
"Si je meurs avant que les Tibétains ne retrouvent leur liberté, il est logique de supposer que je sois (réincarné) hors du Tibet", écrit-il dans son autobiographie, "Freedom in Exile" (Liberté en exil ndlr).
"Bien sûr, il se pourrait qu'à ce moment-là, mon peuple n'ait plus besoin d'un dalaï-lama, auquel cas il ne se donneront pas la peine de me chercher (réincarné)", ajoute-t-il.
"Je pourrais donc renaître sous la forme d'un insecte ou d'un animal -ou tout ce qui aurait le plus de valeur pour le plus grand nombre d'êtres sensibles."
La Chine, officiellement athée, considère le dalaï-lama comme un séparatiste et a clairement indiqué qu'elle envisageait de nommer son remplaçant, sachant qu'elle contrôlerait alors le Tibet.
Certains observateurs s'attendent à ce que, dans ce but, la Chine, comme en 1995, choisisse son propre Panchen Lama, chef spirituel traditionnellement chargé d'identifier les réincarnations du dalaï-lama.
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Cette année-là, la Chine a arrêté un enfant de six ans, plus jeune prisonnier politique du monde selon des organisations de défense des droits de l'homme, ayant exprimé des positions bouddhistes influentes. On ignore où il se trouve.
À cet égard, le dalaï-lama a déjà laissé des instructions claires en 2011 et rejeté d'avance l'argument de la Chine selon lequel le nom de son successeur devait être extrait d'une "urne d'or" que détient Pékin, lui niant "toute qualité spirituelle".
"Aucune reconnaissance ou acceptation ne devrait être accordée à un candidat choisi à des fins politiques par qui que ce soit, y compris en République populaire de Chine", a-t-il averti.
Et de souligner "qu'il est particulièrement inapproprié pour les communistes chinois, qui rejettent explicitement même l'idée de vies passées et futures (...) de se mêler du système de réincarnation".