Et c'est reparti pour la polémique sur "Tintin au Congo" ! La justice belge a rejeté mercredi l'interdiction de la vente de la BD de Hergé demandée par un ressortissant de la République démocratique du Congo.
Entretien avec Louis-Georges Tin, président du Conseil représentatif des associations noires (CRAN).
Pourquoi n'êtes vous pas d'accord avec la décision de la justice belge? Cette décision nous parait infondée parce que le tribunal se fonde sur l'intention de l'auteur. Comme Hergé était dans une époque colonialiste, il a dit ce qui se se pensait à l'époque. Il n'avait pas d'intention particulière contre l'Afrique ou contre les populations noires. Donc il n'y a pas de discrimination ou d'intention discriminatoire. Mais nous avons fait appel pour plusieurs raisons: A l'époque de l'ouvrage, il n'y avait pas de consensus sur la question de la colonisation. D'aucuns étaient pour, d'autres contre. Il y avait des gens qui critiquaient les massacres en Afrique et partout ailleurs. Et aujourd'hui, on ne peut pas se retrancher derrière le contexte. C'est comme si on pardonnait un sexiste ou un xénophobe en justifiant ses actes par le contexte. Ce serait un peu trop facile.
Louis-Georges Tin, président du CRAN
Quel est votre problème avec Tintin au Congo aujourd'hui? Notre problème ce n'est pas Hergé qui est mort depuis fort longtemps. C'est Casterman et Moulinsart qui, en 2012, continuent de publier un ouvrage pareil, à se faire de l'argent sur le dos du racisme. L'ouvrage a été composé il y a 70 ans mais il continue à être publié et republié chaque année. Et ça c'est aujourd'hui. Donc, on ne peut pas dire que Monsieur Hergé n'était pas raciste, je ne le crois pas, et ce n'est pas mon problème. Mais en revanche, le problème, c'est pourquoi en 2012 quelqu'un publie encore et encore l'ouvrage dont il reconnait lui-même qu'il est raciste.
Vignette de la première version de l'album
Ne pensez-vous pas qu'il faut que l'ouvrage reste pour faire comprendre comment était pensé le "Noir" à cette époque-là? Pour les historiens, c'est un ouvrage intéressant. Mais pour les enfants de 7 ou 8 ans, je ne pense pas qu'en lisant Tintin au Congo, ils se disent "ah! c'est comme ça qu'était pensé le racisme et la colonisation dans les années 1930". Non. Les enfants répéteront les choses qu'ils lisent. Ils sont intoxiqués par ce genre de représentation. D'ailleurs en Angleterre, l'œuvre est publiée avec une préface. C'est exactement ce que nous demandons. Nous n'exigeons pas une censure de la bande dessinée, mais une publication avec une préface qui situe le livre dans son contexte. Ça été fait en Angleterre, pourquoi en France c'est impossible? Est-ce à dire que les petits enfants anglais doivent être protégés des intoxications racistes et qu'en France, il y a pas de problème, on peux intoxiquer les gens? Ça me parait difficilement acceptable et inexplicable. Mais cet ouvrage est une goutte d'eau dans l'océan. Pourquoi particulièrement celui là? Pas plus tard qu'aujourd'hui, j'ai reçu un mail d'un lecteur qui me disait que Tintin au Congo ne lui posait aucun problème. Il affirme avoir lu toutes ces choses qui sont d'ailleurs vraies, parce qu'on lui a dit y a encore en Afrique des cannibales qui mangent encore des gens dans les cimetières.Et ce n'est pas le seul mail que j'ai reçu.Ce sont des mails assez extrêmes. Ces personnes me racontent comment Tintin au Congo a contribué à leur imaginaire. Le drame, c'est qu'elles ne s'en sont pas dessaisi et sont restées coincées dans les années trente. Je ne pense pas que l'on puisse accepter des propos de ce genre, homophobes et anti-sémites, surtout pour nos enfants. Ça ne veut pas dire que c'est l'ouvrage le plus raciste au monde. Ça veut juste dire qu'en France, il n'y a pas un autre ouvrage destiné à un public jeune, largement diffusé aussi longtemps. C'est pourquoi c'est emblématique de mettre une préface.
Deux versions d'une même planche
Si votre appel est rejeté? S'il l'appel est rejeté au niveau de la justice belge, nous irons en cassation. En dernier recours, nous saisirons la Cour européenne des droits de l'Homme s'il le faut. Là nous sommes sûrs d'avoir gain de cause. Parce que les arguments de la justice belge sont stupéfiants. S'il faut se fier à l'intention, connaissez-vous quelqu'un qui dit: "je discrimine pour cette raison ou une autre?" Ce serait assez bête. Aujourd'hui en droit européen, il existe la notion de discrimination indirecte. Je pense qu'on pourra éviter un procès parce que si une préface est possible en Angleterre, pourquoi elle ne l'est pas en France.