Tornades aux Etats-Unis : la faute du réchauffement climatique ?
Une ville de 55 000 habitants entièrement rasée, au moins 24 morts, 48 disparus et des centaines de blessés : le bilan de la tornade qui s’est abattu le 20 mai sur Moore, dans l’Oklahoma, est très lourd. Avec l'éruption de tornades, qui avait déjà ravagé le Midwest et le sud des Etats-Unis en avril 2011, après la vague d’intempéries du printemps 2012, peut-on parler d'une série exceptionnelle ou de phénomènes extrêmes liés au réchauffement de la planète ? Eléments de réponse avec Emmanuel Garnier, historien du climat et des risques.
Ces tornades en série sont-elles une surprise ? Non, ce qui est étonnant, pour un pays riche comme les Etats-Unis, c’est le lourd bilan face à cette conjonction exceptionnelle, certes, mais récurrente. De fait, il reste impossible pour les météorologues de maîtriser les paramètres qui permettraient de donner l’alerte : tout se passe en une demi-heure et aucune autorité ni service de secours, riche ou pauvre, ne pourrait réagir. Mais les pertes humaines et matérielles semblent avant tout liées à la qualité de l’habitat en bois extrêmement léger. Même dans des micropays comme l’île Maurice ou les Seychelles, la politique architecturale a changé et les autorités ont imposé un habitat plus durable, ancré et couvert de dalles en béton. Les Américains connaissent les couloirs de tornades, alors pourquoi les autorités ou les compagnies d’assurance n’imposent-elles pas de nouvelles normes ?
Emmanuel Garnier ((Universités de Caen et de Cambridge, Churchill College, Institut Universitaire de France et CNRS)
Que sait-on des tornades en Amérique du Nord dans l’histoire ? En Europe, dans certains récits historiques, on reconnaît le tourbillon et le phénomène d’aspiration caractéristiques des tornades qui dévastent les Etats-Unis. Mais les Américains, eux, ont très peu de recul historique sur leur territoire. Les archives des grandes compagnies d’assurance, elles-mêmes, ne remontent pas au-delà des années 1940. Et puis les tornades sévissent surtout dans les Grandes plaines, des zones qui sont restées très peu peuplées jusque vers le milieu du XIXe siècle. Avant, la probabilité qu’une tribu amérindienne croise une tornade était infime. Et le cas échéant, la tradition uniquement orale des Indiens ne permettait pas de consigner l’événement. Entre 1850 et 1900, pourtant, les récits des premiers militaires à la conquête du territoire, déjà, signalaient régulièrement des tornades.
Comment retracer l’évolution des tornades à travers les siècles ? Il est très difficile de déceler l'empreinte géologique d'une tornade. Une sécheresse ancienne peut laisser des traces ; une tempête maritime, comme celle de 1999 en Europe, peut modifier le trait côtier. La tornade, elle, même avec des vents de 300 km/h comme celle de l’Oklahoma, passe inaperçue sur le long terme. Elle laisse des stigmates qui sont parfois terribles, mais qui restent superficiels - une ville ou une forêt détruite. Elle ne remodèle pas le terrain. Aussi ce phénomène reste-t-il indétectable sur le temps très long. Il serait éventuellement possible de détecter une rupture en palynologie, mais sans pouvoir l’interpréter avec certitude. Imaginons une série de strates géologiques avec énormément de pollen de sapin, par exemple. Tout à coup, plus rien pendant cinquante ou soixante ans... Et puis un jour, le pollen réapparaît et le sapin se réimplante. Cette interruption pourrait être le fait d’une tempête ou d’un cyclone qui aurait tout arraché… mais aussi d’un autre phénomène.
“Des stigmates terribles, mais superficiels“
21.05.2013Par Sophie Golstein
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Le graphique en « crosse de hockey » illustrant la variation de la température moyenne du globe depuis 1000 ans selon Michael Mann
Comment évolue le phénomène dans les autres régions du monde ? En Europe, les événements extrêmes, comme les tornades, sont très bien recensés dans les archives administratives ou religieuses depuis le Moyen Âge, du fait de leur fort impact humain et économique - comme aujourd’hui à Moore. Les archives les plus complètes restent celles qui concernent l’océan Indien : les compagnies des Indes hollandaises, françaises et anglaises documentaient avec une grande précision toute perturbation de leurs intérêts en mer (esclaves et marchandises) et sur terre (plantations). Elles recensaient systématiquement les dégâts subis, et ce sur un territoire très vaste de la Chine à la péninsule arabique, en passant par l’Inde. En comparant ces archives avec les données dont l’on dispose depuis les années 1960, on constate une véritable recrudescence qui correspond parfaitement à la crosse de Hockey de Mann (voir ci-contre). Forcément, la corrélation semble intéressante ! Cependant, si nous constatons une augmentation du nombre des événements, elle ne s’accompagne pas d’une plus grande intensité. Au contraire, à en croire les chroniques de l’époque coloniale, il semblerait que les événements actuels soient moins violents. Peut-être les chroniqueurs en rajoutaient-ils, mais quel intérêt auraient-ils eu à le faire ? Il n’existait pas de système d’assurance et les gens n’étaient pas plus impressionnables à l’époque. Les voyageurs étaient des gens de terrain, des baroudeurs, des marins qui en avaient vu beaucoup, qui étaient capables de lire sur les vagues et de prévoir les cyclones.
La phase de perturbation actuelle correspond-elle à une fluctuation naturelle de la machine climatique ou à un réchauffement climatique dû à l’homme ? C’est ce que les modélisateurs tentent de déterminer actuellement. Pour ma part, en tant qu’historien, je reste très prudent. En étudiant les récits des voyageurs d’antan, on distingue déjà des fluctuations, avec des périodes de vingt ou trente, voire quarante ans, pendant lesquels les événements extrêmes se multipliaient, puis ils se faisaient plus rares. Ce qui augmente depuis une cinquantaine d’années, en revanche, et qui alimente le sentiment d’aggravation des phénomènes climatiques, c’est la vulnérabilité de nos sociétés. Les événements ne sont pas forcément plus catastrophiques, mais les enjeux sont différents - il y a cinquante ou soixante ans, les villages n’étaient pas directement construits sur le littoral, et ils étaient entourés de zones humides qui absorbaient l’eau et étalaient la vague en cas de raz-de-marée (tsunami) ou de submersion (tempête de type Xynthia), par exemple. La modélisation du climat ne permet pas de répondre à toutes les questions. Quand bien même elle y répondrait, quelles conclusions en tirerions-nous ? Nous touchons à des problèmes quasi métaphysiques qui appellent une réflexion globale sur nos sociétés.