Qu'espérez-vous obtenir lors de cette nouvelle phase de négociations ? Nous espérons que les Etats adopteront un traité efficace et ambitieux en corrigeant les lacunes du texte qui sert de base aux négociations. Mais la position de certains Etats, tels que la France et Royaume Unis nous inquiète. Ils considèrent que le texte est déjà le résultat d’un grand compromis et que si l’on demande plus, on risque de fâcher et de faire fuir certains Etats. Pourtant à nos yeux, il y a d’importantes modifications à apporter pour que le traité sur les ventes d’armes devienne un outil efficace de régulation. D’abord, il faut que les Etats aient l’obligation de publier un rapport annuel sur leurs ventes et achats d’armes. C'est extrêmement important que l'opinion publique dispose de ces informations. Ce serait un véritable outil de pression. Deuxièmement, le projet exclut, jusqu'à présent, le don d'armes du contrôle international. Pourtant, on sait qu'un pays comme la Chine en fait régulièrement, notamment aux pays africains en échange de facilitées pour exploiter certaines ressources naturelles. Par exemple, la Chine a pu transférer des armes au Soudan, quand le pays était sous embargo, sous forme de dons. Donc, si on ne contrôle pas les dons, on ne contrôle pas le commerce d’armes. Autre manquement, le projet de traité permet encore aux Etats de s’appuyer sur des accords de coopération pour vendre des armes. Ce qui est le cas par exemple de la Russie qui continue de vendre des armes, en toute légalité, au régime syrien dans le cadre d’un accord de coopération. Ce qui est inacceptable. Alors qu’elles semblaient bien parties, les négociations en juillet 2012 ont tourné court. Ne craignez-vous pas un scénario identique ? Il y a différentes raisons à l'échec de juillet 2012. D’abord la position des Etats-Unis qui a conduit à briser le consensus. Officiellement, la délégation américaine a expliqué qu’elle manquait de temps pour revoir le texte et a donc demandé un report. Officieusement, les États-Unis étaient surtout embarrassés par leur élection présidentielle qui se déroulait quelques mois plus tard, en novembre 2012. Le candidat Obama ne voulait pas prendre le risque de fâcher une partie de son électorat et de se mettre à dos le puissant lobby des armes (
National Rifle Association), qui est opposé à toute régulation du commerce des armes et tout multilatéralisme. De leur côté, les pays de l’Union européenne n’ont pas voulu fâcher la Chine et la Russie. Ils n’ont pas cherché à « se mouiller ». Par ailleurs, de nombreux Etats se sont aussi rendu compte qu’ils allaient tomber dans l’illégalité si le traité était signé. Tout ça a fait que les négociations n’ont pas abouti. Mais le processus de négociation n’a pas été anéanti puisqu’il reprend. Nous avons la conviction qu'un commerce mieux régulé permettra aux acteurs légaux de mieux gérer leurs affaires. Aujourd'hui sans régulation, il y a des failles dans lesquels s'engouffrent les acteurs illégaux et nuisent à l'activité légale. Sur quel pays comptez-vous vous appuyer pour faire passer vos idées ? Tous les pays sont des cibles mais nous avons des revendications différentes pour chacun. Par exemple, à la France et au Royaume-Uni, nous leur demandons de ne pas tolérer une négociation du traité au rabais. Aux Etats-Unis, nous leur demandons d'accepter que les munitions soient aussi soumises à un contrôle international. Enfin, nous demandons à tous les pays de se mettre d'accord dans un temps relativement court car chaque minute de perdue se traduit par un nombre considérable de morts. Pensez-vous qu’un consensus soit possible ? C’est la procédure que nous imposent les Nations Unies : le traité doit être accepté sur la base du consensus. Ce qui est difficile à obtenir. D’ailleurs nous avions au début contesté ce principe. Mais si le consensus n’est pas atteint à la fin du mois de mars, alors on demandera à changer le mode d’adoption pour faire passer le texte au vote des deux tiers. Si un traité est adopté, permettra-t-il de changer la donne dans certains conflits comme en Syrie ? Tout dépend du traité que l’on obtient. Si le traité stipule, comme nous le souhaitons, que les Etats doivent s'abstenir de vendre des armes quand il y a un risque substantiel que ces armes participent à la violation des droits de l'homme, des droits internationaux et humanitaires, ou que ces armes contribuent à saper les efforts de développement économique et social d'un pays, alors toute vente d’armes en Syrie deviendra illégale et sera stoppée. Il faut créer des normes strictes pour avoir un réel impact. Autre exemple, en République démocratique du Congo où le Rwanda soutient la rébellion à l’est, comme l’a confirmé un rapport de l’ONU. Aujourd’hui, les Etats peuvent vendre des armes au Rwanda sans se soucier de leur destination finale. Rien ne les oblige à évaluer les risques pour les populations civiles. Avec un traité ambitieux, cet état de faits peut changer. Comment comptez-vous combattre les multiples contournements possibles et éviter de faire grossir les trafics illégaux d’armes ? Voilà pourquoi on demande aux Etats de signer un traité le plus global possible qui inclut tout type de transferts, d'armes et de violation de droits. Il faut que le traité couvre le maximum de possibilités pour réduire au minimum les voies de contournement. Bien entendu, ce traité ne sera pas une panacée mais il peut contribuer grandement à la résolution des conflits à travers le monde.