Traité transatlantique : les négociations continuent, la contestation aussi

Les Etats membres de l'Union européenne et les Etats-Unis concluent une nouvelle semaine de négociation sur le Partenariat transatlantique de Commerce et d'Investissement. Face à la contestation, la Commission avance de nouvelles propositions, qui ne convainquent pas les opposants.
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TTIP : action de GreenPeace
Des activistes de Greenpeace bloquent l'entrée des négociateurs du TTIP à Bruxelles ce lundi 22 février 2016.
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Ce vendredi 26 février 2016, dernier jour du 12ème "round de négociations" autour des accords de libre échange entre l'Union européenne et les Etats-Unis - le Partenariat transatlantique de Commerce et d'Investissement, aussi nommé TTIP ou TAFTA. Un accord qui est censé faire tomber les barrières commerciales de part et d'autre de l'Atlantique, et réduire les obstacles aux échanges de biens et services entre ces deux espaces économiques.

Si le TTIP était signé, il devrait entrer en vigueur fin 2016. Pourtant, la majorité des négociateurs pensent que cela n'arrivera pas avant 2018 ou 2019. La Commissaire en charge du dossier, Cecilia Malmström, vivement attaquée sur le manque de transparence des tractations débutées en juillet 2013 — ainsi que sur le projet de tribunaux d'arbitrage commerciaux permettant aux multinationales d'attaquer les Etats en justice — tente de rassurer.

Nouveaux tribunaux d'arbitrage

Cet automne, une annonce d'importance est tombée : l'abandon des tribunaux arbitraux privés par les négociateurs européens. Le sujet est discuté de façon formelle cette semaine, avec pour objectif de faire accepter un nouveau modèle. La nuance serait de taille, selon la commissaire Malmström, qui propose de remplacer l'ancien mécanisme d’arbitrage investisseur-État (l'ISDS) par un système fondé sur une cour de justice spéciale. Celle-ci serait composée non plus d'avocats d'affaires, mais de juges "hautement qualifiés".

Pour les détracteurs de l'ancien système d'arbitrage, ce changement… ne change pas grand chose. Le principe est conservé, qui consiste à permettre à une multinationale de porter plainte contre un Etat (autre que celui qui l'accueille) ; la seule nuance du nouveau projet réside dans sa structure, qui serait plus démocratique et inspirerait davantage confiance aux citoyens que l'ancienne. Cecilia Malmström résume la nouvelle formule ainsi : "Nous devons mettre en place les mêmes éléments que ceux qui permettent aux citoyens de faire confiance à leurs tribunaux nationaux".

La réponse de l'organisation des juges et procureurs allemands ne s'est pas faite attendre, et elle est lapidaire : "L’établissement de "tribunaux spéciaux (...) constitue "le mauvais chemin" pour garantir la certitude et la sécurité juridique. La proposition de la Commission suscite en outre de graves préoccupations au sujet de l’indépendance des juges, allant du manque d’indépendance financière à l’ambiguïté des critères de sélection. Dans ce contexte, l’ICS (Système juridictionnel des Investissements, ndlr) ressemble plus à un tribunal d’arbitrage permanent qu’à une Cour internationale".

TTIP : confiance et démocratie

Le problème du "règlement privé des litiges liés aux investissements" est crucial, puisqu'il ouvre la voie à des possibilités jusqu'alors inconnues pour les entreprises privées. Des ouvertures dénoncées par de nombreuses ONG, puisque les multinationales pourraient porter plainte contre des Etats si elles estiment que les réglementations environnementales, sociales ou économiques, sont trop contraignantes, et menacent leurs investissements. Une porte-parole de Greenpeace qui manifestait mercredi devant la Commission de Bruxelles résume le futur accord du TTIP et sa justice commerciale en ces termes : "C’est un accord qui menace la démocratie, notre environnement, les normes sociales et les conditions de travail. C’est en fait une question de transfert de pouvoir des citoyens vers le business…"

Côté politique, si les partis européens de droite et de centre droite se félicitaient dès l'automne de "ce changement sous la pression des citoyens", en parlant du tribunal spécial en lieu et place des tribunaux arbitraux, d'autres, comme l'écologiste Yannick Jadot, interviewé sur France Info ce 22 février, continuent de dénoncer le manque de transparence du processus : "Les négociations du traité transatlantique TTIP/TAFTA ne sont pas plus transparentes aujourd’hui. Les documents ne sont consultables que dans des salles bunkerisées auxquelles seuls quelques parlementaires ont accès. Les acteurs de la société, ceux qui sont concernés et légitimement inquiets, ne peuvent pas consulter ces documents et sont exclus des négociations, ce qui crée un malaise terrible autour de ces négociations."

La "farce démocratique" continue ?

Le 12ème round de négociation des accords de libre-échange transatlantique se termine aujourd'hui. Et encore une fois, pour les ONG, de façon inquiétante : leur conviction persiste que le changement de dénomination et de fonctionnement des tribunaux arbitraux n'est là que pour donner le change, tout comme la transparence des négociations que revendique désormais la Commission. Quant aux objectifs des promoteurs de ces accords, qui annoncent des créations massives d'emplois et une meilleure croissance économique en cas de signature avec les Américains, le député fédéral belge Benoît Hellings exprime ses doutes (lire l'article de la RTBF "Des documents classifiés du TTIP rendus accessibles: une farce démocratique ?"). Des doutes de plus en plus partagés au sein d'une partie de la gauche sur l'échiquier politique européen : "Si l'on parle vraiment d’un avenir radieux, il n’y a pas à le cacher dans un coffre-fort. Or l’objectif d’un traité commercial comme celui-là n’est probablement pas le bien-être et l’emploi. C’est autre chose. Ce sont des objectifs commerciaux qui vont d’abord et avant tout aux multinationales et aux grandes sociétés européennes et américaines".

Vidéo du groupe parlementaire écologiste européen "Les Verts" (The Green) pour dénoncer l'influence des lobbies de l'industrie dans les accords de libre échange du TTIP :

"Si vous n'êtes pas à la table, c'est que vous êtes au menu !"