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La situation de la minorité ouïghoure en Chine est au coeur des débats diplomatiques. Il s’agit d’un « génocide » pour le Parlement canadien, les États-Unis et récemment les Pays-bas. Pour la France, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves le Drian, décrit un « système de répression institutionnalisé ». Le sujet est relancé désormais par une plainte déposée le 24 février devant le tribunal judiciaire de Paris par l’association des Ouïghours de France contre la marque Nike, qu’elle accuse de travail forcé sur la communauté musulmane chinoise.
Membres de l'association "Ouïghours des Etats-Unis" rassemblés devant la Maison Blanche le 1er octobre 2020.
« On espère au moins une réponse de leur part ». Mirqedir Mirzat ne veut plus attendre. Le vice-président de l'association des Ouïghours de France a travaillé quatre mois avec son avocat Mourad Battikh, pour rassembler « toutes les preuves qui montrent que Nike utilise du travail forcé ouïghour » en Chine, explique l’avocat Mourad Battikh au Monde. Une plainte pour « pratiques commerciales trompeuses et complicité de recel de travail forcé » a été déposée devant le tribunal judiciaire de Paris le 24 février 2021. L'accusation n'est pourtant pas récente. Onze millions de Ouïghours, musulmans turcophones, vivent dans le Xinjiang au nord-ouest de la Chine.
En mars 2020, un rapport publié par l’ASPI -Australian Strategic Policy Institute-, un think tank australien, identifiait déjà 82 multinationales comme complices de travail forcé dans des usines chinoises parmi lesquelles : Adidas, Apple, Dell, Gap, Google, H&M, Lacoste, Nike, Nintendo, Nokia, Uniqlo, Victoria’s Secret, Zara… À la suite de ces révélations et d’une campagne d’interpellation des marques menée notamment par l’eurodéputé français Raphaël Glucksmann, plusieurs d’entre elles ont décidé comme Lacoste de cesser toute activité avec des fournisseurs et sous-traitants impliqués dans l’exploitation des travailleurs forcés ouïghours.
Nous n'avons pas trouvé de preuve de travail forcé de Ouïghours, ou d'autres minorités ethniques du Xinjiang, dans notre chaîne d'approvisionnement.
Nike
D’autres ont cependant choisi de nier toute allégation, comme c’est le cas pour Nike. "Nous menons un contrôle continu de nos fournisseurs en Chine pour identifier et évaluer les risques potentiels de travail forcé concernant le travail des Ouïghours, ou d'autres minorités ethniques du Xinjiang. Nous avons renforcé nos protocoles d’audit pour identifier les risques émergents liés aux programmes potentiels de transfert de main-d’œuvre. Nous n'avons pas trouvé de preuve de travail forcé de ouïghours, ou d'autres minorités ethniques du Xinjiang, dans notre chaîne d'approvisionnement", a déclaré la multinationale américaine dans un communiqué.
D'après le New York Times, la marque aurait exercé un lobbying très actif à Washington afin d’affaiblir un projet de loi visant à interdire aux Etats-Unis toute importation de produits fabriqués dans la région chinoise du Xinjiang, où vit majoritairement la population ouïghoure. « Ils mentent à leur clientèle, prétendent défendre d’autres causes, mais là, ils profitent d’un génocide. On va essayer de jouer sur leur image », affirme Mirqedir Mirzat. Sur les réseaux sociaux, la marque semble s’impliquer dans plusieurs engagement civiques aux Etats-Unis comme pour le mouvement Black Lives Matter ou même dernièrement la communauté asiatique.
Our hearts are with our Asian community. We stand united with our partners to create a more inclusive future.
— Nike (@Nike) February 19, 2021
Learn more: https://t.co/HDGa5BCi2M #StopAsianHate pic.twitter.com/He9UDp0pCY
Concernant la campagne menée l’an dernier par l'eurodéputé Raphaël Glucksman et Dilnur Reyhan, présidente des Ouïghours d’Europe, Nike n’a cependant pas voulu donner suite. Et elle n’est pas la seule : « Il y a aussi la marque Zara qui a refusé et qui a même affirmé que c'était une erreur de la part de l'ONG autrice du rapport qu'elle se soit retrouvée dans la liste des marques visées. Ce qui s’est avéré faux... », assure Dilnur Reyhan. « On peut leur laisser le bénéfice du doute de ne pas avoir su la situation avant la sortie du rapport. Mais au vu de leur dépendance dans la production chinoise, il est difficile de se dire qu'elles ne savaient pas. Et même quand elles ont su, certaines ont préféré continuer. »
Voir aussi : Raphaël Glucksmann : "Nike et Zara bénéficiaient de cet esclavage des temps modernes des Ouïghours"
À raison d'une production de plus de 7 millions de paires de chaussures par an dans son usine de la province du Qingdao à Laixi, le fournisseur chinois de Nike Taekwang Shoes Co. serait responsable du déplacement de 600 ouvriers ouïghours, détenus ou ex-détenus de camps d’internement, mais aussi de simples citoyens et majoritairement des femmes, décrit Dilnur Reyhan. Au sein de cette usine, le rapport de l’ASPI relate : « Le soir, les ouvriers doivent se rendre à l'école où ils étudient le mandarin, chantent l’hymne chinois et reçoivent une ‘éducation patriotique’. Le processus incarne celui des ‘camps de rééducation du Xinjiang’. »
Si la plainte a été déposée en France, ce n’est pas sans portée symbolique explique Mirqedir Mirzat, vice-président de l'association française qui rassemble plusieurs dizaines de membres et qui cherche à sensibiliser sur le sort de cette communauté musulmane turcophone vivant en Chine, mais aussi au Kazakhstan et en Ouzbékistan : « La France est le pays de la mode, qui plus est du luxe où beaucoup de marques décident d’avoir leur magasin. C'est aussi le cœur de l’Europe où beaucoup de touristes viennent acheter des vêtements. Initier une action judiciaire ici, c'est plus fort que dans d'autres pays. »
Voir aussi : Chine : "Pékin veut éradiquer les Ouïghours"
Alors que les États-Unis accusent sans détour la Chine de « génocide » envers les Ouïghours depuis le 19 janvier 2021, tout comme le Parlement canadien et le Pays-Bas depuis quelques jours par l'adoption d'une motion non-contraignante, la France a préféré décrire un « système de répression institutionnalisé » devant l'ONU le 24 février. « Ces propos traduisent des pratiques génocidaires, je ne comprends pas pourquoi on joue avec les mots » avoue le militant. Il espère cependant que la France, qui pour lui « reste le pays des droits de l'Homme et de la liberté », ne sera pas sourde à son appel.
Après H&M, Nike, Uniqlo ou encore Adidas sont devenues jeudi 25 mars les dernières marques à subir les foudres chinoises, après leurs boycotts du coton du Xinjiang sur fond d'allégations de "travail forcé" de musulmans ouïghours.
La Chine juge ces rapports truffés de "fausses informations" et assure que les "camps" sont des "centres de formation professionnelle" destinés à apporter un emploi à la population afin de l'éloigner de l'extrémisme.
Après la publication d'études sur le "travail forcé", plusieurs entreprises de prêt-à-porter comme le suédois H&M, l'américain Nike, l'allemand Adidas ou le japonais Uniqlo se sont engagées l'an passé, dans des communiqués, à boycotter le coton du Xinjiang. La région représente près d'un cinquième de la production mondiale et fournit de nombreux géants de l'habillement.
Les communiqués de ces entreprises sont opportunément réapparus cette semaine sur le réseau social chinois Weibo, déclenchant une polémique alimentée par l'imposition par l'Union européenne, le Royaume-Uni, les Etats-Unis et le Canada de sanctions contre la Chine concernant le traitement des Ouïghours.
En représailles, Pékin a sanctionné des personnalités et organismes européens.
Première entreprise visée, H&M avait déjà vu mercredi 24 mars ses produits retirés des principaux sites chinois de vente en ligne. Ses magasins restent toutefois ouverts.
La polémique a enflé jeudi 25 mars avec l'annonce par plusieurs acteurs et chanteurs chinois qu'ils coupaient tout lien avec Nike, Adidas, Uniqlo, Converse ou encore Calvin Klein, dont ils ou elles étaient les ambassadeurs d'image.