Fil d'Ariane
L'affaire ne fait plus grand bruit dans une Union européenne tétanisée par d'autres spectres: l'extrême-droite revient inexorablement au pouvoir en Autriche. Le 22 mai prochain, les électeurs de ce pays désigneront au deuxième tour leur président de la République qui succédera à l’actuel chef de l’État, le social-démocrate Heinz Fischer.
Au vu du premier tour qui s'est tenu le 24 avril, le résultat ne fait guère de doute. Le candidat d’extrême-droite (FPÖ), Norbert Hofer, y a obtenu 35 % des voix , devant celui des Verts (21%). Ses concurrents des partis « classiques », conservateurs et sociaux-démocrates, sont sèchement éliminés avec moins de 12 % chacun.
Nullement contraint de le faire mais tirant les conséquences du désastre, le chancelier (équivalent du Premier ministre) social-démocrate Werner Faymann a démissionné lundi du gouvernement et de la tête de son parti.
Ébranlés par la défaite du premier tour, les sociaux-démocrates sont "confus" et "désorientés", estime l'analyste Anton Pelinka, de l'université d'Innsbruck, citée par l'AFP. Ils se sont donné jusqu'à mardi prochain pour choisir leur nouveau patron qui sera logiquement promu au poste de chancelier puisque le SPÖ reste majoritaire au parlement. L'investiture pourrait intervenir dès la semaine prochaine. D'ici là, le vice-chancelier et chef des conservateurs Reinhold Mitterlehner assure l'interim à la tête du gouvernement. SPÖ et ÖVP sont alliés depuis 2008 au sein d'une coalition reconduite en 2013 pour cinq ans.
Même si un changement d'exécutif au lendemain de la présidentielle n'est pas, à l'heure actuelle, l'option préférée des deux candidats, la longévité de la législature jusqu'en 2018 est devenue bien incertaine. Contrairement à celui d'Allemagne, le président de la République d'Autriche dispose de pouvoirs bien plus qu'honorifiques. Il est, notamment, chef des armées. Élu pour six ans, il ne participe pas à la gestion quotidienne du pays mais il nomme le chancelier et peut aussi dissoudre le parlement. Or, le parti d'extrême-droite FPÖ (allié au niveau européen de celui de Marine le Pen) est donné favori en cas d'élections anticipées.
Derrière la crise interne du SPÖ se profile en outre la question des alliances, elle même agitée par la question migratoire. Initialement proche des positions alors « humanistes » d'Angela Merkel, le chancelier démissionnaire Faymann s'était progressivement durci, se rapprochant des positions xénophobes de son homologue hongrois Viktor Orban, à la désapprobation de l'aile gauche du parti. Son fiasco du 24 avril invalide dans un sens sa « droitisation ». Il n'annonce pas pour autant une « gauchisation ». Le futur patron de la sociale-démocratie devra prendre la décision du maintien de la coalition actuelle (FPÖ-ÖVP) et d'une « digue » contre le FPÖ ou … d'une alliance avec ce dernier. Une telle alliance de la gauche avec l'extrême-droite – dont les bases électorales sont proches - n'est nullement taboue en Autriche. L'ancien parti de Jörg Haider qui a gouverné avec les conservateurs entre 2000 et 2006 est considéré comme un parti normal en Autriche.
Son retour annoncé n'en constitue pas moins une belle avancée pour une extrême-droite décidément de plus en plus à l'aise en Europe centrale où ses idées s'imposent sous de multiples formes. Revenu au pouvoir en Hongrie en 2010 après une longue cure d'opposition, le leader anti-communiste jadis libéral Viktor Orban y cultive un modèle autoritaire qu'on dirait ailleurs « décomplexé » défendant, selon ses mots « une société basée sur le travail qui assume […] ne pas être de nature libérale ». Parmi les valeurs nouvellement promues figurent l'épuration obsessionnelle du passé communiste mais aussi le contrôle de la presse, la célébration de la famille, de la religion, de la terre, tandis que sont renforcé les pouvoirs de la police et de l'armée face aux migrants désignés comme ennemis.
L’exemple hongrois trouve son écho en Pologne où le parti ultra-conservateur Droit et Justice a repris le pouvoir en 2015 (il l'avait déjà occupé entre 2005 et 2007) avec une vigueur nouvelle. Prise de contrôle des médias publics, réforme affaiblissant le Tribunal constitutionnel … certaines de ses mesures ont rencontré l'irritation de Bruxelles – qui a lancé une procédure pour vérifier la conformité du pays au principe d’État de droit – et l'exaspération d'une partie de la société civile qui a exprimé samedi dernier son opposition aux ultra-conservateurs par une manifestation historique (240 000 participants selon ses organisateurs).
A peine entrée dans l'Union européenne, la Croatie s'engage également sur la voie de la droite autoritaire et xénophobe sous la conduite d'une coalition venue au pouvoir en janvier dernier. Très benéficiaire financièrement de l'Union mais hostile à ses principes démocratiques, loin des lumières de Bruxelles, des tumultes du Brexit ou des fracas de la dette grecque, une petite Europe fait son chemin.