Le feu vert donné par le parlement anglais à la fécondation in vitro à partir des ADN de trois personnes fait débat. Il s’agit d’éviter la transmission de maladies graves par le remplacement d’une partie de l’ADN de l’ovocyte. L’Eglise s’étrangle.
«Trois ADN et un couffin»: on a adoré ce titre d’Euronews pour parler de ce fameux
«bébé avec trois parents, ou plus exactement, qui serait issu de trois ADN différents». Le verdict était très attendu: les députés britanniques ont dit
«oui» mardi au principe d’une
«manipulation génétique» destinée à
«éviter la transmission de certaines maladies graves». Le Royaume-Uni devient ainsi
«le premier pays au monde à valider ce procédé» pour le moins controversé.
«Une décision historique» pour le site Pourquoi Docteur?
Pourquoi aussi historique? Il fallait entendre le professeur de génétique Denis Duboule, enseignant à l’Université de Genève et à l’EPFL, dans le Forum radiophonique de RTS Info mardi soir. Il fallait l’entendre, limite excédé, expliquer le procédé de remplacement de mitochondries déficientes, à la base de cette technique. «Une fois de plus, disait-il, je note que l’appellation que l’on donne à cette technologie est beaucoup plus anxiogène que la technologie elle-même. Les gens vont se dire: non, mais attendez, trois parents, y en a un dessus, un dessous, ça va pas. Mais non, c’est pas ça! Y a deux parents, […] avec l’aide d’une femme supplémentaire qui va donner un peu de ses usines énergétiques que sont les mitochondries.»
La Grande-Bretagne est encore une très grande puissance scientifique
Denis Duboule, enseignant à l’Université de Genève et à l’EPFL
Les choses sont donc remises en place. Sachant que l’on parle de maladies plus fréquentes que les cancers des enfants, par exemple: «Il faut mettre cela au premier plan, c’est ce que font nos collègues anglais, dans une société libérale, utilitariste, […] qui pense avant tout à l’utilité de ces nouvelles technologies […]. Et je souhaite vraiment qu’une fois qu’on aura terminé la discussion sur le diagnostic préimplantatoire – et que ce sera accepté – on passe à la discussion sur la façon de soigner ces maladies mitochondriales.»
Pour Denis Duboule, il y a «une autre leçon qu’on pourrait apprendre de nos collègues anglais, qui ont cette fâcheuse tendance», dit-il ironiquement, «pour les hommes politiques et les femmes politiques, à prendre en considération ce que disent leurs scientifiques. Et c’est une des raisons pour lesquelles la Grande-Bretagne est encore une très grande puissance scientifique.» Boum. A qui veut bien l’entendre.
Des titres «mignons»
Autre son de cloche, évidemment, du côté des opposants, qu’est allée chercher Radio Vatican. Ceux-ci estiment «que la modification génétique dans ce cas-ci va beaucoup trop loin, que les possibles complications de l’opération n’ont pas été suffisamment étudiées, pire, qu’elle constitue une nouvelle étape vers l’eugénisme et la sélection des bébés».
France Inter relève pour sa part que dans la presse de ce mercredi, il y a relativement «peu de chose» sur ce sujet – mais là, on n’est vraiment pas d’accord! Alex Taylor relève ainsi «quelques titres mignons comme celui d’ABC en Espagne sur «los bebes de tres padres». Les rares journaux qui commentent […] sont du même avis», comme celui de Publico à Lisbonne: «Si ce n’est pas de l’eugénisme, pourquoi ne pas avoir recours à la science pour éviter des maladies à des générations futures?»
«Je n’en peux plus»
En Grande-Bretagne même, où l’Eglise est très réticente, comme toujours, face à ce genre de progrès scientifique, le Guardian publie, en complément à son article très documenté, un vibrant plaidoyer: «Je n’en peux plus de devoir cacher ma déception, ma tristesse, ma honte même de tomber chaque jour sur des titres dans les journaux où l’église anglicane, mon église refuse de soutenir une proposition qui vise à améliorer la qualité de vie des êtres humains.»
Le Monde admet, lui, que «des questions éthiques sont également soulevées à propos de cette nouvelle technique. Tout d’abord, le fait qu’elle entraîne une modification de ce que l’on appelle la lignée germinale, autrement dit les cellules participant à la fécondation (par opposition à la lignée somatique qui donne les autres cellules de l’organisme). Dès lors, cela signifie que l’ADN provenant de la donneuse va également être transmis à la descendance en plus de celui des deux parents.»
Le don de mitochondries n’est pas susceptible d’influer significativement sur l’identité et les traits physiques des descendants
Dr John Appleby, du centre d’éthique et de législation médicale du King’s College (Londres)
Et alors? Est-ce grave, docteur? Non, car «le bénéfice – la non-transmission de la mutation – est évident, mais cela peut susciter des interrogations. En particulier le caractère anonyme ou non du don de mitochondries (le don de gamète n’étant pas anonyme).» Mais «lors du congrès mondial de bioéthique, le 25 juin 2014 à Mexico, le Dr John Appleby, du centre d’éthique et de législation médicale du King’s College (Londres), a évoqué le fait que le don de mitochondries n’est pas susceptible d’influer significativement sur l’identité et les traits physiques des descendants, qui seraient donc peu enclins à s’enquérir de l’identité de la donneuse de mitochondries.»
Courrier international a lu l’Independent, qui «rappelle que certaines voix conservatrices et religieuses ont tenté d’empêcher la législation, mais sans succès». Et dans les colonnes du Daily Telegraph, un professeur «cherche à rassurer»: «La modification d’une mitochondrie ne changera pas la couleur des yeux du bébé, et n’aura pas d’incidence sur ses forces ou son intelligence. Nous ne changeons pas les caractéristiques de l’enfant et nous n’améliorons pas les êtres humains.»
Objections ecclésiastiques
«Si la plupart des articles d’opinion publiés sont du même avis, une chroniqueuse de l’hebdomadaire The Spectator estime pourtant que la technique soulève bel et bien des questions éthiques. Elle nécessite la création de deux embryons. Dans l’un, un organite est retiré pour y placer un organite issu de l’autre. Bien que les mitochondries ne comprennent qu’une infime partie de l’ADN du bébé – 37 gènes sur environ 2000 au total – ce n’est pas complètement négligeable», selon elle.
La Croix, qui fait son boulot, indique que «l’évêque catholique auxiliaire de Westminster John Sherrington a fait part de ses «objections éthiques sérieuses». Il rappelle que la directive européenne sur les essais cliniques de 2001 stipule qu’aucun essai de thérapie génique ne peut être entrepris s’il conduit à une modification du patrimoine génétique de la personne». Il souligne aussi que «les embryons issus de fécondation in vitro vont être sélectionnés et que certains seront détruits, ce qui est contraire au principe de respecter l’embryon comme une personne».
«On modifie le génome»
Quant à l’évêque anglican de Swindon Lee Rayfield, membre du comité d’étude, il souligne «que la modification de l’ADN pourrait «causer des anomalies ou influencer des qualités ou attributs personnels significatifs» du futur enfant. Une modification d’autant plus grave qu’elle se transmettra à ses descendants.» René Frydman, pionnier en France de la fécondation in vitro, se montre aussi très réservé «sur cette méthode uniquement testée chez le singe»: «Avec cette thérapie germinale, on modifie le génome. On introduit 1% d’un génome qui vient d’ailleurs et on ne sait pas quel impact cela risque d’avoir.»
Et «selon lui, le processus choisi par les Britanniques vise un autre objectif», dont on ne saurait nier qu’il doit être discuté tant il est discutable: «Permettre dans le futur de transférer les mitochondries d’une femme jeune à une femme plus âgée pour donner plus de chances à son embryon de se développer, en bénéficiant du «potentiel énergétique» des jeunes mitochondries.»
Mais ça, c’est vraiment un autre débat. Et c’est aussi – déjà – soupçonner quelque éventuel complot, ce qui est très à la mode ces temps-ci: «Los amantes de las conspiraciones», traduit un internaute du quotidien espagnol ABC.