Une messe et une veillé ont été célébrées vendredi 29 juillet à Beyrouth en hommage du prêtre jésuite italien Paolo Dall’Oglio. Kidnappé par le groupe Etat islamique, il a disparu il y a trois ans en Syrie. Depuis son enlèvement, le flou reste entier sur son sort.
Alors qu’en France, de nombreuses cérémonies sont célébrées pour honorer la mémoire du père Jacques Hamel, égorgé mardi par deux djihadistes dans la commune de Saint-Étienne de Rouvray, une messe avait lieu à Beyrouth. Des
proches du père jésuite Paolo Dall’Oglio se sont réunis à l’occasion de la troisième année de sa disparition en Syrie. Il a été enlevé le 29 juillet 2013 par des islamistes de l’EI à Raqqa, fief de l’organisation terroriste.
Le sort du prêtre italien, qui vivait en Syrie depuis le début des années 1980, reste totalement inconnu pour l’instant. Et ce malgré les efforts fournis, notamment par le ministères des Affaires étrangères italien, en concertation étroite avec le Vatican.
Il n’y a aucune preuve formelle de sa mort
« Il n’y a aucune preuve formelle de sa mort ou de son maintien en vie. Mais il existe des indices. Le dernier en date remonte à février dernier lorsque le djihadiste Saleh A. a été arrêté à Paris, après l’interception de contacts entre lui et un responsable au Vatican (…) », souligne Friedrich Bokern, organisateur de la messe, et co-fondateur de l’ONG Relief & Reconciliation (R&R), dont le prêtre disparu était le père et conseiller spirituel.
Ce syrien arrivé en 2014 en Europe sur les ordres de Daech « négociait avec un responsable du Saint-Siège la vente d’une vidéo prouvant l’existence encore en vie du père Paolo. Ses aveux ont, par ailleurs, permis de déjouer un attentat à Dusseldorf. En revanche, les enquêteurs n’ont trouvé aucune vidéo sur lui », ajoute Friedrich Bokern.
Trois ans de rumeurs et de fausses pistes
Selon le directeur de
l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), Rami Abdrahmane - joint par téléphone à Londres - le père Paolo aurait été
« aperçu à la prison de Sedd el Fourat il y a quelques temps ». Une des geôles de l’organisation terroriste située non loin de la capitale du califat.
Abdrahmane précise que ces informations provenaient de « personnes vivant à l’intérieur de la province de Raqqa ». « En même temps, nous avons entendu différents sons de cloches dont certains affirmant qu’il a été liquidé le 29 juillet 2013, quelques heures après son arrivée au QG de l’EI (...) », nuance-t-il.
Ces versions différentes, voire opposées, s’inscrivent dans une suite de rumeurs portant sur le sort et le lieu de détention du père Paolo. En juillet 2014, un communiqué de la Ligue syrienne de défense des droits de l’homme, diffusé par la chaîne al-Arabiya, citant un officier dissident de Daech, évoquait sa mort le jour de son enlèvement. Il aurait été tué par balles avec un pistolet de 9 mm.
Certaines rumeurs ont même évoqué un accord entre le régime syrien et le groupe terroriste, qui l’aurait remis aux forces d’Assad, jusqu’à préciser même le nom de la geôle et le numéro de la cellule prétendue où il serait incarcéré.
Dans le but de mettre fin aux récits contradictoires qui surgissent depuis l’enlèvement du religieux, le gouvernement italien redouble d'efforts pour tenter de trouver le moindre indice. « Un fonctionnaire au sein du ministère des Affaires étrangères est affecté à temps plein pour suivre le dossier », précise Friedrich Bokern.
Les autorités mènent leur investigation de manière extrêmement discrète. Selon l’assistant du supérieur provincial de l’ordre jésuite au Proche-Orient et au Maghreb, celles-ci ont même demandé « aux responsables de la compagnie de Jésus ainsi qu’à la famille du père Paolo de ne pas interférer ni participer aux efforts liés à l’enquête », précise le père Alex Bassili.
Un amoureux de l’islam et de la Syrie
En attendant, ses amis et sa famille misent sur la prière, ainsi que sur la perpétuation de son esprit et de son message à travers d'initiatives humanitaires, dont celle de R&R. Cette organisation s’occupe d’enfants réfugiés syriens – y compris d'enfants alaouites - dans la région du Akkar au Liban, indépendamment de leur appartenance confessionnelle.
La messe célébrée vendredi à l’Eglise Saint-Joseph des Jésuites, a été, en outre, suivie d’un rassemblement de quelques fidèles et amis à l’extérieur du lieu de culte. Une rencontre marquée par la lecture de textes religieux, chrétiens et musulmans (dont la Fatiha et une Sourate d’Al Mâida), et de paroles sur la paix et le dialogue interreligieux prononcées par le père Paolo durant les trente ans passées en Syrie avant son enlèvement.
Il affirmait souvent qu’il était ‘un musulman catholique’
« C’était un homme extrêmement ouvert, un fin connaisseur de la religion musulmane, de la culture et de la langue arabe. Il avait fait sa thèse doctorale sur l’espoir dans l’Islam. Il affirmait souvent qu’il était ‘un musulman catholique’. Mais sa vénération de la croix était très profonde et sa foi dans la divinité du Christ inébranlable », témoigne Friedrich Bokern.
Certaines réflexions et discours du père Paolo en faveur de l’islam lui ont valu certaines déconvenues à Rome, notamment au sein de la Congrégation pour la doctrine de la foi.
La désapprobation à l'égard de ses convictions a atteint son paroxysme à la suite d’un discours dans lequel il affirmait « reconnaître l’inspiration divine des prophéties de Mohamad ». Mais il a finalement été acquitté « avec la signature du cardinal Joseph Ratzinger, qui a estimé que cette phrase pouvait être prononcée dans le cadre canonique catholique », précise le directeur de R&R, qui a rencontré le père Paolo pour la première fois en 2008.
« Pour lui, chrétiens, juifs et musulmans appartiennent à la même communauté des croyants, qu’il appelait la 'oumma (nation) des croyants'
, sans tomber pour autant dans le syncrétisme », ajoute-t-il.
Le monastère de Deir Mar Moussa, l’incarnation du dialogue islamo-chrétien
Engagé en faveur du dialogue interreligieux, il organisait des rencontres avec des fidèles et des hommes religieux musulmans à Deir Mar Moussa. Le monastère de Saint-Moïse construit au VIe siècle à flanc de falaise dans le désert, à 90 Km au nord de Damas, en Syrie.
« Le couvent était totalement délaissé depuis des décennies. Le père Paolo a fait feu de tout bois pour le restaurer et le transformer en lieu de prière, de rencontre et de dialogue (…) Beaucoup de ses fresques ont été restaurées grâce à des spécialistes italiens qu’il avait fait venir en Syrie, grâce à ses contacts », témoigne père Paul, établi au Proche-Orient depuis 1960 et qui a rencontré le père Paolo pour la première fois au début des années 1980.
Cet amour de la Syrie remonte à ses années de jeunesse.
« À l’époque où il était encore novice, inspiré sans doute par les récits des voyageurs sur Damas et l’Orient, il insistait, durant certaines rencontres avec le père Pedro Aruppe, alors Supérieur Général de la Compagnie de Jésus, pour qu’il soit envoyé ‘auprès des musulmans’
», ajoute Firedrich Bokern.
Ordonné selon le rite et la tradition syriaque, il s’installe définitivement en Syrie pour vivre l’arabité et l’Islam dans toute leur authenticité. Durant ces 30 ans passées à Mar Moussa, il se consacre à la « résurrection » du monastère ainsi qu’au dialogue interreligieux, ne menant aucune action politique au sens stricte du terme.
Activisme politique
Au début de la révolution syrienne, qui éclate le 15 mars 2011, il se mobilise en faveur des Révolutionnaires sans pour autant afficher publiquement son parti pris. « Mais il contribuait de manière indirecte à la dynamique, en accueillant bon nombre d’opposants dans le couvent Mar Moussa à la recherche d’un refuge, et facilitait l’expatriation de certains d’entre eux (…) Je me souviens encore d’un couple d’opposants homosexuels qu’il avait envoyé à Beyrouth et que j’avais accueilli chez moi. Ces derniers étaient harcelés par les hommes du régime pour leurs avis politiques et leur orientation sexuelle », raconte Friedrich Bokern.
Son engagement s’est précisé après son exil en 2012 sur l’insistance du régime syrien, qui voyait d’un mauvais œil le soutien tacite à la révolution contre Bachar el-Assad. Le prêtre « rebelle » se résout alors à sortir totalement de son silence, voire de basculer de la mission religieuse à l’activisme politique.
Le père Paolo visite clandestinement la Syrie trois fois après son exil forcé. La dernière aventure remonte à juillet 2013 quand il décide de se rendre à Raqqa pour négocier avec les responsables du groupe Etat islamique la libération de plusieurs de leurs otages, dontles frères Hajj Saleh, des amis opposants de Tell Abiad (région de Raqqa).
« Il y avait presque une procession pour l’accueillir. Beaucoup de monde était descendu dans la rue pour l’acclamer », raconte Friedrich Bokern. Célèbre et apprécié par de nombreux Syriens, sa popularité dérangeait de plus en plus les responsables de Daech.
Une vidéo datant de février 2013, lors d’une première visite clandestine du père Paolo à Raqqa.
Le lendemain, il décide d’aller à la rencontre de l’émir de Daech, après avoir réussi une mission de médiation avec une cellule islamiste deux mois auparavant, et ce malgré la mise en garde d’amis et proches. Sa demande d'entretien est rejetée. Le père Dall’Oglio insiste. C’est alors qu’il disparaît dans des circonstances restées floues.
Dialogue spirituel avec ses bourreaux ?
Ses amis, néanmoins, ont la certitude presque religieuse qu’il est toujours en vie. Mais le cas échéant, qu’il soit dans une cellule de Daech ou assigné à résidence, comment le père Paolo passerait-il ses journées ? « En lisant, priant et dialoguant avec ses bourreaux », assure Friedrich Bokern. « Il a une formation théologique musulmane beaucoup plus importante que n’importe quel chef religieux de Daech. Je m’inquiète seulement pour sa santé physique, mais sur le plan moral, je me fais pas de souci. Il est très solide », conclut-il.