Il a essayé de réinitialiser son logiciel au sortir de la crise des "gilets jaunes", avec le grand débat national, et de maintenir le cap. Et au moment où il semblait pouvoir reprendre le fil interrompu de ses réformes, et retrouver le projet politique de départ, on a cette gigantesque crise sanitaire dont les effets vont être, je pense, fondamentaux pour la fin du mandat présidentiel.
Deux des réformes emblématiques qui marquent la période juste avant l'épidémie étaient la réforme de l'assurance-chômage et la réforme des retraites, qui était votée par l'Assemblée Nationale et était à la veille d'être étudiée par le Sénat. Ces deux réformes sont maintenant en jachère. Depuis trois ans, il y a des réformes qui ont été faites, il y a un bilan qui existe, mais il est fort à parier que le mandat d'Emmanuel Macron se terminera sans que cette réforme des retraites ait eu lieu.
Il y également la réforme institutionnelle, elle aussi en souffrance depuis assez longtemps. Elle avait été mise en sourdine au moment de la crise des "gilets jaunes". C'était à l'origine l'un des grands chantiers prioritaires d'Emmanuel Macron. Il faut se rappeler que l'un des premiers textes de loi engagé par François Bayrou, alors ministre de la Justice, c'était la moralisation, le retour de la confiance dans la vie politique. Certains éléments de cette loi ont déjà été voté mais le grand projet de réforme institutionnelle, comme la réduction d'un tiers du nombre de parlementaires, ou l'introduction d'une dose de proportionnelle, est resté bloqué à mi-chemin.
Entretien avec Bruno Cautrès, politologue au CEVIPOF
Il y avait aussi l'ambition de réduire les déficits publics. Là encore, la crise du coronavirus vient-elle anéantir ce projet ?
Emmanuel Macron, comme ses prédécesseurs, affronte une situation très compliquée. Cela fait 15 ou 20 ans qu'on parle en France de réduction des déficits publics. C'est toujours un objectif très attendu par nos partenaires européens. La France a repoussé plusieurs fois ses échéances économiques vis-à-vis de l'Union européenne. Aujourd'hui, cette hypothèse de tenir les fameux 3% est un cadre qui a volé en éclats, y compris au plan européen.
Les grandes étapes des trois premières années du mandat d'Emmanuel Macron- 7 mai 2017 : élection avec 66% des voix
- 14 mai 2017 : début officiel du mandat présidentiel
- août 2017 : adoption de la loi sur la moralisation de la vie politique : interdiction aux parlementaires d’employer des membres de leur famille et suppression de la "réserve parlementaire"
- septembre 2017 : loi éducation : dédoublement de certaines classes de CP et école obligatoire dès 3 ans
- octobre 2017 : loi anti-terroriste (pouvoirs de surveillance étendus pour les forces de l'ordre et les préfets)
- novembre 2017 : loi hydrocarbures qui interdit l'exploitation en France de gisements d'ici à 2040. Report de l'objectif de 50% d'énergie nucléaire
- décembre 2017 : suppression progressive de la taxe d'habitation
- janvier 2018 : suppression de l'ISF (Impôt Sur la Fortune)
- janvier 2018 : abandon du projet d'aéroport de Notre-Dame des Landes
- février 2018 : réforme du droit du travail (instauration de la rupture conventionnelle collective)
- été 2018 :
affaire Benalla- juillet 2018 : limitation de la vitesse autorisée à 80 km/h sur certaines routes (loi en partie amendée par la suite)
- août 2018 : démission de Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique
- novembre 2018 : début de la crise des "gilets jaunes"
- décembre 2018 : mesures de baisse de l'impôt sur le revenu, primes d'activité et suppression de la hausse de la CSG
- janvier 2019 : instauration du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu
- janvier 2019 : lancement d'un "grand débat national"
- juin 2019 : réforme de l'assurance-chômage (en partie repoussée après la crise du coronavirus)
- décembre 2019 : grèves et manifestations contre la réforme des retraites
- février 2020 : adoption de la réforme des retraites à l'Assemblée nationale avec l'article 49.3
- mars 2020 : début du confinement national pour limiter la crise sanitaire du coronavirus
Emmanuel Macron avait un autre objectif : la réduction du nombre d'emplois publics. Cette année, elle a eu lieu mais dans des proportions bien moindres que les objectifs fixés dans le programme du candidat Macron. Il misait beaucoup sur son image de partisan de la "start-up nation", de pays de l'innovation, de celui qui allait donner à la France des marges de manœuvres en terme de compétitivité. Pour le moment, les grands objectifs ne sont pas vraiment tenus. Mais ce n'est pas quelque chose propre à Emmanuel Macron. Il est globablement très compliqué dans notre société de réduire fortement la dépense publique.
Est-ce que la crise actuelle va apporter des inflexions dans la politique du président de la République, notamment en matière d'environnement ?
Sur l'environnement, je ne sais pas si on peut parler d'inflexion car dans son livre-programme publié avant l'élection de 2017, on trouve des choses en rapport avec la question climatique. Sur ce sujet, Emmanuel Macron a eu des ambitions contrariées, difficiles à tenir. On se rappelle du départ du gouvernement de Nicolas Hulot, du début de la crise des "gilets jaunes" qui portait sur une question d'augmentation de la fiscalité sur le diesel. Le président va sans doute être amené à revenir sur ces questions. La Conférence citoyenne sur le climat qu'il a souhaité mettre en place après le grand débat national -150 citoyens tirés au sort- est une innovation démocratique extrêmement intéressante et prometteuse. Il faut attendre de voir maintenant comment les conclusions de cette Conférence vont entrer dans l'agenda de sortie de crise sanitaire.
Il y a en revanche le sentiment d'une inflexion sur la question de la souveraineté, du patriotisme économique, au moins dans le discours. Emmanuel Macron a toujours voulu combiner la dimension de la souveraineté et la dimension européenne. Il a popularisé ce terme qui semble un peu antinomique de "souveraineté européenne". On va sans doute le voir mettre en avant les relocalisations de la production de certains biens produits auparavant dans le reste du monde. Je ne suis pas sûr pour autant qu'il prendra les accents d'un Arnaud Montebourg, sur le "made in France". Je ne l'imagine pas nous expliquant que finalement davantage d'intégration européenne n'était pas une bonne chose. Il va essayer de combiner ces deux objectifs.
Du point de vue du politologue que vous êtes, la période actuelle est-elle particulièrement compliquée à analyser ?
C'est compliqué mais c'est passionnant. La période est sans aucun doute l'une des plus intéressantes qu'on ait eu à vivre. Nous sommes témoins d'une très grande transformation du monde, qui a commencé à la fin des années 80, avec la globalisation et toutes ses conséquences. Nous en sommes les contemporains et il ne fait aucun doute que, dans de nombreuses décennies, les manuels d'histoire diront qu'il s'est passé quelque chose de très important au cours de ces décennies. Après tout, au début de l'aventure politique d' Emmanuel Macron, certains pensaient qu'il ne serait jamais élu et, en un an, il a réussi à gagner le siège de chef de l'Etat d'un grand pays européen. L'enjeu le plus important qui va ressortir de la crise, c'est notre capacité à faire vivre notre modèle démocratique européen avec ses valeurs et ses choix de société.