Fil d'Ariane
Des partisans de Trump écoutant le discours de Donald Trump lors d'un meeting en Georgie, le 3 novembre 2024.
Ils ne sont pas de simples électeurs trumpistes. À Mar-a-Lago, là où le candidat républicain possède son golf, et à Miami Beach, Luis, Inès, Jessica, Phyllis et Luigi voient dans Donald Trump le sauveur. Et tous lui vouent un culte. Reportage de Richard Werly.
Inès Flax n’a aucun doute. Aucun. Donald Trump va sauver son Amérique. Inès, 74 ans, en parait dix de moins. Elle dit «notre Amérique» à chaque fois qu’elle parle des États-Unis. Sa dernière trouvaille, pour vanter la cause du candidat républicain ? Des petites cartes qui le montrent avec Jésus derrière lui, en protecteur.
Bien sûr que non il n’est pas Dieu. Mais il est envoyé pour nous sauver.
Inès est américaine d’origine nicaraguayenne. Elle me toise du regard quand je lui demande si, pour elle, «Trump est Dieu?». «Bien sûr que non il n’est pas Dieu. Mais il est envoyé pour nous sauver.» Je voulais terminer ces 4000 kilomètres sur les routes américaines au cœur de la Trumpmania en Floride, l’État où l’ex-promoteur immobilier new-yorkais possède son golf de Mar-a-Lago. J’y suis. Dans l’œil du cyclone républicain qui déferlera sur le pays si Donald Trump l’emporte le 5 novembre.
Laissez-moi vous présenter ceux qui, de West Palm Beach (où se trouve Mar-a-Lago) à Miami Beach, la fameuse station balnéaire de Floride, se battent corps et âme pour Donald Trump. Ils sont là, dans l’agréable salle commune d’un immeuble de luxe du front de mer.
L’adresse? 1500, Ocean Drive. Devant, l’Amérique est en mode détente et exhibitionniste. Elle se muscle à gogo. Elle roule en Ferrari, en Tesla, en Maserati, mais aussi en scooter, en trottinette, en skate, en rollers ou à vélo.
South Beach, l’un des quartiers les plus touristiques de Miami, est à une heure et demie de route de West Palm Beach, plus au nord. C’est là que nous avons achevé notre périple en camping-car, ce RV de trente pieds de long (neuf mètres) que nous avions récupéré le 11 octobre à Naperville dans la banlieue de Chicago. Or même ici, dans ce Comté de Miami-Dade si cosmopolite où les démocrates régnaient jadis en maître, la loi Trump s’est imposée.
Ils sont là, tous réunis... Inès est agente immobilier, mariée à un gynécologue réputé. Jessica, 34 ans, est employée dans une société financière. Luigi, d’origine haïtienne, a travaillé dans la sécurité. Phyllis, retraitée, est membre de plusieurs associations caritatives locales. Deux sur quatre ont voté par anticipation, comme cela était possible en Floride jusqu’au vendredi 1er novembre.
Inès est la voix hispanique du groupe. C’est important. Sans le soutien d’une partie de cette communauté «latina» très diverse (62 millions, mais rien de commun entre les Cubains ou les Nicaraguayens de Floride, et les Mexicains du Texas), Donald Trump ne peut pas gagner. Or, Inès en est sûre: son candidat va retrouver la Maison-Blanche.
Pourquoi? «Parce qu’il n’aurait jamais dû la quitter. L’élection de Biden, en 2020, a été volée.» Toujours ce refrain. Inès est pourtant à des années-lumière des électeurs des zones rurales ou des bassins désindustrialisés du Midwest. Elle voyage. Elle écrit des tribunes pour ce qui reste de presse locale. Rien à faire. Pour elle, Joe Biden n’a pas vraiment gagné. Et l’assaut contre le Capitole du 6 janvier 2021 n’était en rien une tentative de coup d’État. «J'étais ce jour-là à Washington. Je n’ai rien vu d’agressif. Nous étions des centaines de milliers à exiger seulement la justice électorale.»
La vie d’Inès rejoint celle de Luis et Liliana, rencontrés à Boca Raton. Ce couple d’Américains (lui d’origine cubaine, elle équatorienne) s’est arrêté en contrebas de l’Interstate 95, sur le parking du grand magasin électronique «Best Buy», pour acheter des articles pro-Trump à la boutique de campagne du candidat. Les parents de Luis ont fui Cuba lors de l’arrivée de Fidel Castro au pouvoir, en 1959. Liliana a quitté l’Équateur parce qu’elle voulait une «nouvelle vie». Inès refuse de parler de son Nicaragua «aux mains des communistes», où l’ex sandiniste Daniel Ortega est une caricature de potentat latino.
Tous trois ont été portés par leurs rêves américains d’une société travailleuse, disciplinée, où le profit récompense l’ascension sociale et où la famille et l'église sont les pivots. Inès, comme Liliana refusent donc de voir dans les féministes d’aujourd’hui, ou dans le mouvement LGBT, une quelconque l’émancipation. Inès croit aux hommes forts. Luis acquiesce. Liliana estime même que «tous les dictateurs ne sont pas mauvais».
Tous les Hispaniques que je connais et que j’ai côtoyé depuis cinquante ans aux États-Unis travaillent dur, très dur. Vous croyez qu’ils sont heureux de voir débarquer des clandestins.
Inès revendique être une latina anti-migrants: «Tous les Hispaniques que je connais et que j’ai côtoyé depuis cinquante ans aux États-Unis travaillent dur, très dur. Vous croyez qu’ils sont heureux de voir débarquer des clandestins amenés par les cartels de la drogue, dont l’objectif est de nous déstabiliser, voire de nous piller?»
Ces Américains d’origine hispaniques déroulent leur vie comme une «telenovela», les séries télévisées latino-américaines. Ils affirment s’être tous «battus pour survivre aux États-Unis», mais avoir «tout fait légalement». Inès regarde Jessica, de trente ans sa cadette. La septuagénaire nicaraguayenne est brune. Jessica, originaire de Géorgie voisine, est blonde platine. Toutes deux ont noué amitié lors d’un moment historique voici quelques mois: une collecte de fonds organisée au golf de Donald Trump, à Mar-a-Lago.
L’ancien président n’est pas Dieu ? Jessica a pourtant fait un vœu très religieux après l’avoir brièvement rencontré lors de cet événement. Elle s’est promise de tomber enceinte cette année, après son élection qu’elle juge certaine. «Pour le moment, mon enfant a une fourrure, dit-elle en parlant de son chien. Le moment est venu de fonder une famille.»
A ses côtés, Phyllis, la retraitée, sourit. Elle aussi vient de nous retracer sa vie. Ancienne New-Yorkaise de confession juive, elle a longtemps été enregistrée sur les listes électorales comme indépendante, avant de s’inscrire au parti démocrate, dont elle partageait le combat pour les droits des femmes. Puis tout a basculé avec l’âge. Et avec Trump. «Le sauvetage des États-Unis nous dépasse. C’est la cause qu’il faut défendre» se justifie-t-elle.
La question de l’avortement, interdit en Floride après six semaines depuis le 1er mai, est en embuscade. Donald Trump est fier d’avoir œuvré à la remise en cause du droit fédéral à l’interruption volontaire de grossesse. (IVG), en ayant nommé trois juges conservateurs à la Cour suprême des États-Unis. L’arrêt Roe vs Wade de 1973 a été abrogé. Ce sont désormais les États qui décident. Quatorze bannissent totalement l’avortement. En Floride, la bataille fait rage. Le 5 novembre, les électeurs du «sunshine state» se prononceront sur une question référendaire appelant à «limiter l’intervention du gouvernement dans le domaine de l’avortement». L’amendement 4, soutenu par le parti démocrate, propose qu’«aucune loi n’interdise, ne pénalise, ne retarde ou ne restreigne l’avortement» avant la viabilité du foetus «ou lorsque cela est nécessaire pour protéger la santé d’une patiente».
Les femmes américaines de ma génération se sont battues pour être respectées. C’est fait. Elles veulent quoi maintenant? Chasser les hommes ?
Tout y passe sur la condition des femmes. Ces trois Américaines de Miami Beach reconnaissent volontiers de la douleur des femmes abusées, violées, violentées. Mais interrompre une grossesse au-delà de six semaines? Elles répondent non. «Savez-vous qu’aux États-Unis, certains médecins sortent le foetus et le tuent, assène Inès. Toutes les femmes qui sont conscientes de leur corps peuvent faire le nécessaire après une relation sexuelle.»
Phyllis, l’ex démocrate, est consciente que les menaces sur l'IVG peut coûter des voix féminines à Trump. Mais maintenant, plus question pour elle de rejoindre le parti de Kamala Harris ou simplement d’entendre ses arguments: «On nous présente les droits des transsexuels comme les droits des femmes! C’est n’importe quoi. On mélange tout. Les femmes américaines de ma génération se sont battues pour être respectées. C’est fait. Elles veulent quoi maintenant? Chasser les hommes?»
J’insiste sur les mots de Trump, ses manières de macho, ses mimiques sexistes, son passé. «Et John Kennedy? Et Clinton?», me rétorque Jessica, la plus jeune. Ils sont tous comme ça. Trump est un homme, c’est tout.»
Je garde en tête l’autre image. Opposée. Celle des femmes qui, lors de son meeting à Savannah, en Géorgie, entouraient Tim Walz, le colistier de Kamala Harris. Ces femmes-là, parmi lesquelles de nombreuses Afro-Américaines hurlaient «Ne laissons pas Trump rentrer dans nos chambres à coucher!» Je répète leur phrase à mes interlocuteurs de West Palm Beach et Miami.
Inès me montre ses cartes, où Jésus pose sa main protectrice sur l’épaule de Trump. Elle s'est converti au judaïsme de son mari, mais tracte pour Trump à la sortie des églises. «Une société ne peut pas résister si tout se désagrège, si l’on ne sait plus qui est un homme ou une femme. Avec Trump, c’est clair. Pensez-vous que ses électrices sont aveugles ? La vérité, c’est qu’elles veulent être protégées.»
Des cartes avec Donald Trump et un Jésus protecteur.
Cette réunion de partisans de Donald Trump a un immense mérite, en fin de parcours de notre périple sur les routes américaines. Elle clarifie tout. Trump est leur chef. Point. Inès l’assume: «Les États-Unis ont besoin d’un guide, d’un leader. C’est comme ça que nous resterons la première puissance mondiale». Juste avant, l’intéressée est revenue à la charge sur les nouveaux migrants originales d’Amérique Latine qui «pillent nos ressources et ne veulent pas travailler comme nous l’avons fait. Ils sont des parasites. On veut de l’immigration, pas des virus et des tueurs».
Luigi hésite lorsque je l’interroge sur ce que m’ont dit d’autres Haïtiens: ceux de Springfield, dans l’Ohio, que Donald Trump a accusé de manger des chiens et des chats. Il s’avère que l’accusation était fausse. Et alors? «Ce n’est pas parce que nous venons d’une communauté, hispanique ou haïtienne, que nous devons nier d'horribles réalités. Des choses terribles ont bien lieu nuance Luigi. Ces nouveaux venus sont désespérés, prêts à tout. Ce n’était pas le cas avant.»
Inès jure qu’elle «s’investira à fond» après «l'élection certaine» de Trump. Jessica, fille unique d’un couple de blancs protestants, «très vieille Amérique», promet de chercher un mari «qui ressemble à son père, un homme droit». En me montrant la photo de ses petits enfants, Phyllis reconnaît que le soutien inconditionnel de Trump à Israël est maintenant pour elle «l’argument ultime». Luigi lui, se tait. Il passe me revoir après la fin de l’entretien. Il me demande une photo de notre camping-car prise lors de notre dernière escale, pile devant Mar-a-Lago. «Je ne vous ai pas tout dit. Je préfère rester prudent avant le 5 novembre».
L’Amérique qui vénère presque Trump comme un Dieu redoute tout de même un possible châtiment.
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