Le Hackfest de Tunisie débute sa deuxième édition ce samedi 7 mai 2016. Ce festival de hacking, spécialisé dans la sécurité informatique, révèle les très grandes qualités de la communauté des spécialistes tunisiens dans ce domaine. Et son potentiel économique.
Les hackers ne sont pas des pirates informatiques, même si certains d'entre eux utilisent leur approche en sécurité informatique pour perpétrer des "méfaits numériques". Si le verbe "hacker" est rentré dans le langage médiatique et cinématographique comme le synonyme de "pirater", il n'en est rien, en réalité.
Le piratage d'un site Internet, d'un système informatique n'est pas nécessairement effectué par des hackers ou par le biais de personnes maîtrisant l'art du" hacking". Le piratage de sites peut être — et c'est souvent le cas — simplement le fait de délinquants numériques utilisant des outils de sécurité développés par… des hackers. Mais pour autant, les hackers sont souvent des férus de sécurité et ont besoin de défendre leurs logiciels, leurs serveurs, d'améliorer les défenses de leurs créations.
C'est pourquoi, dans la communauté des hackers, des festivals ou des salons sont organisés afin de pratiquer des échanges, partager l'état de l'art de la sécurité informatique. Le plus célèbre et le plus ancien est celui du
CCC (Chaos Computer Club, Allemagne), premier hackerspace au monde datant des années 80, et le plus prisé est le
DEF CON américain, sorte de "mecque" du hacking en sécurité informatique.
Tunisie : Hacking institutionnel et gouvernemental ?
Cette
deuxième édition du Tunisia hackfest, à Ariana (proche banlieue de Tunis) est organisée par "Smart Tunisia", sur le thème global de la cybersécurité, après celui de la sécurité de l'Internet des objets, en 2015. Le site de Smart Tunisia se définit comme un "(…)
projet ambitieux [qui] mise sur les compétences tunisiennes pour promouvoir la Tunisie comme destination technologique compétitive sur la scène maghrébine, arabe et africaine(…)". Smart Tunisia, précise que
"(…)Dans ce cadre, et afin de participer à cet effort collectif, nous nous sommes lancés cette année dans l'organisation de la deuxième édition de Hackfest ayant pour objectif d’améliorer les compétences dans le domaine de la sécurité informatique et de stimuler les échanges en mettant en contact les différents intervenants, créant ainsi un réseau de partage de compétences et de connaissances(…)"
L'évènement est aussi organisé par
l'école Tunisienne SUPCOM, spécialisée "dans la formation et la recherche dans le domaine des TIC" (Technologies de l'information et de la communication, ndlr) en partenariat avec Mines-Sud Telecom, l'école d'ingénieurs française. Le Hackfets Tunisia est donc encadré par des institutions tunisiennes, dont le gouvernement tunisien.
Mais pour autant, le Tunisia hackfest n'est pas une simple caisse de résonance gouvernementale, comme on pourrait le croire . Un extrait de l'intervention de Slim Amamou, "hacktiviste" brièvement membre du gouvernement révolutionnaire de 2011 post-Ben Ali, fondateur du Parti Pirate officiel, lors de la première édition du Hackfest de l'année dernière, vient illustrer cette liberté de parole : "
Depuis 2013 le gouvernement nous parle d'identifiant unique et de la nouvelle carte d'identité à puce, comme si c'était une innovation dans l’Intérêt du citoyen. Nous allons voir que ce n'est ni dans l'intérêt du citoyen, ni dans l’intérêt de la souveraineté de l’État Tunisien".
Le "jeu" est central au Hackfest
Au delà des conférences, le Tunisia Hackfest est l'occasion de former des étudiants à la sécurité informatique et de révéler des talents : "
Divers concours sont programmés aussi durant la journée. Dans ce cadre, un premier challenge CTF(Capture The Flag : S'emparer du drapeau, ndlr) sera dédiée aux étudiants qui voudraient s’initier, tester ou améliorer ses connaissance dans le domaine de la Cyber sécurité. Il s’agit des épreuves ludiques destinées à initier les participants à certains types de vulnérabilités, à des méthodes de hacking particulières ou à toutes sortes de connaissances utiles."
Le hacking, basé sur une compréhension approfondie d'une technologie et des possibilités de la modifier, est utilisé ici dans un cadre très précis qui touche à la sécurité informatique, sur la plupart des domaines qui lui sont affiliés : déverrouillage d'une application, déchiffrement, découverte de failles des serveurs web, etc… Le principe est celui des stratégies militaires : pour pouvoir se défendre correctement, il faut savoir attaquer et vérifier la qualité des défenses. L'aspect ludique est central, puisque le hacking est une discipline basée sur la curiosité, la compréhension, la logique et la compétition entre pairs…
La Tunisie : un pays ultra connecté qui invente sa "démocratie numérique"
C'est avec l'aide des réseaux sociaux, des blogs internet que la "révolution de Jasmin" tunisienne débutée en 2010 a pu déboucher sur le "printemps arabe". La Tunisie est parmi les pays africain les plus équipés en accès Internet. Son taux de pénétration était de 48,3% de la population en 2013. Une génération très bien formée aux TIC est active dans ce pays, qui cherche encore une voie de "réinvention de sa démocratie". Les mouvements de hackers ont fortement contribué à la lutte pour "dégager" Ben Ali, et fait émerger un temps un mouvement démocratique et numérique pronant l'"open gov" avec l'ouverture des données, la transparence démocratique numérique, les solutions de logiciels libres, etc…
La Tunisie a une carte à jouer dans le numérique et plus précisément dans la cyber-sécurité, et le projet Smart Tunisia en est le premier avant-poste.
Smart Tunisia mise sur la création de 50 000 emplois en 5 ans en Tunisie dans les domaines numériques de l'"Offshoring" (externalisation des services d'entreprise numériques vers des structures tunisiennes ) et le "Nearshoring" (attirer les grandes entreprise du numérique en Tunisie). Le Tunisia Hackfest est l'un des moyens de démontrer que la Tunisie peut devenir un acteur important des technologies de l'information et de la communication. Le réservoir de talents en hacking est là, il ne reste plus qu'à l'exploiter et espérer qu'il permettra à cette jeune démocratie en devenir de passer le cap de "démocratie en devenir", à "démocratie ouverte et numérique".
Avec en prime, une économie florissante dans ces domaines ?