Tunisie : la sécurité privée ne connaît pas la crise

La sécurité privée, un secteur qui ne connaît pas la crise en Tunisie. Hôtels et entreprises étrangères font régulièrement appel à des agences privées pour rassurer leurs clients face à la menace terroriste. Un commerce juteux. Témoignages. 
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Abbes Mansouri ne cache pas sa satisfaction : « Nous n’avons jamais gagné autant d’argent ». L’homme d’affaires remercie, de fait, la révolution tunisienne. « Notre affaire marchait ‘gentiment’ durant les années Ben Ali. Notre croissance est vertigineuse depuis 2011 », confie Abbes Mansouri, président fondateur de Polygarde, société de sécurité privée.

Des agents triés sur le volet

Née en 2006, l’entreprise ne salariait que quatre agents lors de son lancement. Aujourd'hui, elle en a plus de 360, et quadrille tout le territoire avec des bureaux à Tunis, Sfax, Tataouine, Médenine et Kasserine. Son chiffre d’affaires sur les quatre premiers mois de cette année dépasse les deux millions d’euros. « Auparavant, nos agents de surveillance travaillaient essentiellement pour des agences étatiques. Nous touchions très peu le secteur privé. Les entreprises étrangères installées en Tunisie faisaient alors appel aux forces de sécurité de l’Etat pour assurer leur protection.  Aujourd’hui elles  exigent  la présence d’agents privés devant leurs sièges ou leurs sites industriels », explique l’homme d’affaire, comblé.
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Parmi ses clients, la société compte le bureau tunisien du Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés, la société pétrolière Schlumberger, Siemens, la Foire internationale de Sfax ou la chaîne d’hôtel Sangho. « Actuellement nous croulons sous les demandes et nous ne pouvons pas suivre. Nous prenons notre temps pour bien former nos agents, sinon nos collaborateurs se compteraient déjà en milliers. Nous cherchons des formateurs issus de l’armée ou des forces de sécurité », explique Nadr Messbah, directeur technique de cette même société de sécurité. 
Les autorités, face à l’afflux des candidatures pour des postes de gardiens ou d'agents de sécurité, exigent que les antécédents judiciaires soient fouillés par l’employeur. 

Rassurer les touristes

Le succès de Polygarde n’est pas isolé.
Le pays compte désormais une dizaine de sociétés de sécurité privée employant chacune d’entre elles plusieurs centaines de personnes. « Elles pullulent. Ce secteur a rarement aussi bien marché. Le désordre de la révolution, en décembre 2010 et janvier 2011, leur ont fait gagner des clients essentiellement étrangers. Le secteur privé tunisien, avec la montée du terrorisme, a suivi cette tendance. Les tueries du musée du Bardo et de Sousse ont, de fait, ruiné en partie la confiance du secteur privé dans l’efficacité des forces de sécurité tunisienne », note Hazem Ksouri, avocat au barreau de Tunis.

L’attaque du musée du Bardo, le 18 mars 2015, par des assaillants armés, qui a fait 24 mort, a pointé les manquements des forces de sécurité. Le vice-président de l’assemblée nationale a ainsi un temps reproché à quatre policiers d'avoir été au café lors de l’assaut. « L’attaque a surtout démontré que les forces de sécurité étaient insuffisamment équipées face à des terroristes qui portaient des fusils d’assaut », indique Hazem Ksouri.

Les attentats du musée du Bardo et de Sousse ont fait fuir les touristes étrangers. Plus de 400 000 emplois dépendent directement ou indirectement du tourisme. « Le secteur hôtelier constitue, avec le secteur pétrolier, notre principal client », explique le directeur technique de la société Polygarde. « Les hôtels aujourd’hui n’ont pas le choix. Le gouvernement a rendu l’emploi d’agents de sécurité obligatoire. Les hôtels doivent suivre des procédures précises en cas d’attaque terroriste », indique Nadr Messbah.  

La présence d’agents privés sur la plage de Sousse aurait-elle pu empêcher le massacre de 39 personnes par un jeune homme armée d’une Kalachnikov, le 26 juin 2015 ? Rien n’est moins sûr. « Les autorités, pour l’instant, refusent que les agents privés soient armés. Nous respectons la loi. Nos hommes auraient facilité l’évacuation des clients », juge Nadr Messbah, directeur technique de Polygarde. Les gardes privés sont, au mieux, armés de bâtons et accompagnés de chiens d’attaque.

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Impact psychologique

L’impact de la présence de ces agents privés dans le secteur hôtelier reste surtout psychologique selon certains professionnels du tourisme. « Les clients étrangers exigent la présence de gardiens dans nos gîtes ou dans nos hôtels », explique madame Horchani, propriétaire d’une maison d'hôtes de luxe dans le désert, à quelques kilomètres de Tozeur, porte du Sahara. « La haute saison, pour nous, c'est l’hiver. Nous avons à ce moment-là, sur notre site, trois gardiens, non armés, contre un seul durant le reste de la saison. Je compte surtout sur les patrouilles de la police locale », confie la gérante de l’établissement.

Cette nouvelle présence sécuritaire ne suffit pas. « Les touristes étrangers ne sont pas revenus. Nous avons essentiellement des Tunisiens,  quelques Français mais ce sont souvent des expatriés. Il faudra du temps »,  ajoute la propriétaire de la maison d’hôtes qui porte son nom.  Le voyagiste français FRAM, longtemps présent à Tozeur, a  ainsi quitté la ville, faute de clients.

Travail de renseignement

Le travail des agences privées de sécurité ne pourrait se résumer à la seule présence de gardiens non armés, selon les professionnels du secteur. Ces sociétés doivent grappiller auprès des forces de sécurité, armée et police, le maximum d’information sur la menace terroriste. « Les entreprises pétrolières et para-pétrolières, qui se sont installées dans le sud du pays, non loin de la frontière libyenne, pour faire de la prospection pétrolière, exigent de notre part un rapport journalier sur l’état sécuritaire de la région. Elles veulent tout savoir, par exemple, sur l’efficacité des mesures prises par les autorités pour rendre d’avantage imperméable la frontière avec la Libye d’où viennent de nombreux terroristes », témoigne Nadr Messbah, directeur technique de Polygarde.

Expatriés

L’entreprise assure également la protection personnelle des cadres expatriés de ces entreprises. « L’état des routes, avec la présence de barrages militaires ou policiers, doit être également scruté quotidiennement par l’entreprise pour ces clients du secteur pétrolier », ajoute le cadre de l’entreprise de sécurité privée.  Un puits est déjà exploité à Remada, à quelques dizaines de  kilomètres de la Libye. Le pétrole est ensuite acheminé par camion vers le terminal de Skhira.

L’enjeu sécuritaire est ainsi devenu omniprésent pour l’économie du pays. Des experts de l’Union européenne doivent être déployés pour contrôler la sécurité des sites touristiques, selon la ministre du Tourisme, Selma Elloumi Rekik. Des hommes armés et recrutés par le ministère de l’Intérieur devraient enfin être placés dans les grands hôtels. 

Au lendemain de l’attaque de Sousse, 70 de ces établissements avaient du fermer provisoirement leurs portes pendant un mois. Le ministère du Tourisme tunisien a constaté sur l’année 2015 une baisse de 44 % du nombre de nuitées globales dans les hôtels du pays. Plus de deux millions de touristes étrangers ont manqué à l’appel.