Tunisie : l’état d’urgence, pas à n’importe quel prix

Face à une recrudescence de méthodes violentes à la faveur de l’état d’urgence en Tunisie, l’ONG Amnesty International s’inquiète d’un retour en arrière dans le pays. Explications de Bénédicte Goderiaux, chercheuse au sein de la section Afrique du Nord à Amnesty International.
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Tunisie
Membres de la Garde nationale tunisienne
© AP Photo/Aimen Zine
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Vingt-trois cas de torture et mauvais traitements dont un viol présumé, des milliers de personnes arrêtées, 5 000 interdites de voyager, des proches de suspects dans des affaires terroristes harcelés… La liste est longue. Dans un nouveau rapport sur « les violations des droits humains sous l’état d’urgence » publié le 13 février 2017, l’ONG Amnesty International révèle de nombreux abus avec témoignages à la clé, dans le cadre de la lutte antiterroriste en Tunisie.

« Ce qui nous inquiète, c’est que non seulement des violations de droits humain sont commises par les forces de sécurité tunisiennes, mais aussi que les méthodes documentées dans ce rapport, rappellent de façon sinistre le régime répressif de Zine el Abidine Ben Ali», indique Bénédicte Goderiaux, chercheuse au sein de l’équipe Afrique du Nord d’Amnesty International, qui a contribué au rapport. 

Face à la menace terroriste, après une série d’attaques armées meurtrières qu’a connues le pays à partir de mars 2015, la Tunisie, comme d’autres pays en Europe, a décrété l’état d’urgence… qui dure. Prolongé à nouveau pour un mois le 17 janvier dernier, il confère notamment des pouvoirs d’exception aux forces de l’ordre. « Les autorités ont le devoir de protéger la population. Mais l’état d’urgence ne peut pas être un prétexte pour porter atteinte aux droits humains », souligne la chercheuse. Et si l’état d’urgence permet la suspension de certains droits, « cela doit s’avérer essentiel, se faire de manière proportionnée et dans le cadre d’une procédure légale », précise-t-elle. « L’interdiction de la torture doit donc rester absolue, même dans l'état d'urgence. »
 

Mise en péril des avancées depuis 2011


L’après Printemps arabe a vu naître des avancées significatives en Tunisie selon l’ONG, qui évoque une plus grande liberté d’expression, d’association et de réunion, droits garantis dans la Constitution de 2014. Mais le recours aux « lois d’exception» et aux « méthodes brutales du passé » risque de les mettre en péril, prévient Amnesty International dans son rapport. « Ces méthodes répressives sont en partie ce pourquoi la population s’est soulevée en 2010 et 2011 », explique Bénédicte Goderiaux. « Une population soumise à la peur, au harcèlement ou aux intimidations ne feront pas avancer la Tunisie. »
 L’autre problème soulevé ? L’impunité policière : « Sous prétexte de l’état d’urgence, les forces de l’ordre se sentent au-dessus des lois, comme dans d’autres pays d’ailleurs. Le non respect des droits ne va pas contribuer à ramener la sécurité dans le pays, bien au contraire. Mais il est encore difficile de faire en sorte que les membres de la sécurité rendent des comptes », indique-t-elle. Pour Amnesty International, c'est d'ailleurs une menace au programme de réformes sur lequel la Tunisie s’est engagée depuis 2011. « Nous avons salué les mesures positives prises par les autorités dans de nombreux domaines. Mais le fait que l’appareil sécuritaire tunisien n’a pas encore fait l’objet d’une restructuration en profondeur, pèse de manière négative dans l’avenir de la Tunisie. »