Fil d'Ariane
« Winou el Petrol » ? « Où est le pétrole ? » Ils étaient des centaines à scander ce slogan devant le siège de plusieurs installations pétrolières pour réclamer un emploi, le 2 juin dernier dans la ville de Douz, une ville de 50 000 habitants du sud ouest du pays.
L’intervention musclée de la police a été le déclencheur de plusieurs nuits d’émeutes. Les sièges de la police et de la garde nationale ont été saccagés. Les forces de l’ordre ont dû battre en retraite. Le calme est revenu provisoirement, à partir du 6 juin, avec l’entrée de l’armée dans la ville et l’instauration d’un couvre feu. Au moins une dizaine de personnes ont été blessées. Et ces affrontements entre habitants et forces sécuritaires ont touché d’autres localités du gouvernorat de Kebili.
A l'origine de ces incidents, une campagne ‘Winou el Petrol’ lancée anonymement sur Facebook le 8 mai dernier. Elle est devenue virale sur les réseaux sociaux. Des tee-shirts imprimés du slogan ont même été vendus dans la rue. Des photos détournées par les internautes des grands de ce monde demandant où est passé le pétrole fleurissent sur la toile tunisienne. Cette campagne s’est déclinée aussi en chanson avec une complainte du rappeur tunisien Laristo Feat : " Ils nous ont mis une camisole lorsque on a parlé de pétrole. Ils ont dit que la Tunisie est vide, va t’amuser avec de l’alcool ".
Lartisto Feat Mcm - #Winou el Petrole _ وينوا البترول :
‘Winou El Pétrol’ affirme que la Tunisie possèderait des richesses importantes en or noir. Ces gisements importants seraient au mieux inexploitées ou pire pillées par les politiques et les notables.
Cette affirmation s’appuie sur l’annonce le premier mai dernier par la société néerlandaise, Magazine Energy B.V, de la découverte d’un petit gisement de pétrole pouvant produire 4300 barils de pétrole par jour à Zafrane dans le centre du pays. (source : http://www.mazarine-energy.com/news/)
L’Algérie, à titre de comparaison, produit plus de 2 millions de baril par jour. La Tunisie, qui ouvert huit puits de gaz au sud du gouvernorat de Tataouine,
n’exploite que 39 puits de pétrole et le pays n’est que le 49 ème producteur mondial selon le ministère de l’énergie des Etats-Unis. Le pays a également
Sami Aouadi, conseiller économique et sociale de l’UGTT, principale centrale syndicale du pays ne croit pas à l’existence du pétrole caché. La campagne sur internet est affaire de manipulation politique. " Le bassin pétrolier s’épuise. « Winou el pétrole » est une rumeur lancée par des partis politiques qui ont perdu l’élection. Des députés de l’opposition étaient présent lors de ces manifestations », affirme le militant syndicale. " La chute de Ben Ali a permis un accès plus facile à internet."
Beligh Nabli, directeur de recherche à l’IRIS, spécialiste des dernières mutations politiques du monde arabe pointe, pour sa part, les inquiétudes environnementales et sanitaires des populations derrière ces dernières émeutes.
Selon lui, elles ont des point communs avec les révoltes des populations contre l’exploitation du gaz de schiste dans le sud Algérien.
Il explique : " Les préoccupations des populations du sud et du centre tunisien sont marquées par un vrai sentiment d’inégalité dans la répartition des richesses. Ces populations sont convaincues que leurs richesses sont aux mains du nord. Ce fut le cas pour l’exploitation du phosphate dans le basin minier de Gafsa sous Bourguiba et Ben Ali. Les populations du bassin minier ont du subir les conséquences environnementales et sanitaires de ces exploitations sans de véritables contreparties. Il y a cette mémoire collective. La question du gaz de schiste est notamment posée aujourd’hui, celle du pétrole aussi ".
Des accords ont été signés avec des compagnies notamment pour l’exploitation du gaz du sud. Le 5 mars 2014, le gouvernement donnait son accord pour l’exploitation de deux champs de gaz à Tataouine et Gabes avec la construction d’un gazoduc. "Les populations, ajoute le chercheur, ne veulent pas que le pouvoir actuel reproduise les schémas de développement de l’ancien régime. Internet n’est pas la cause première de cette dernière émeutes mais le web dans ce contexte tendu constitue un formidable accélérateur de la rumeur. Ces populations gardent une certaine méfiance vis à vis des médias traditionnels que sont la presse écrite et les chaines de télévision. Celles-ci incarnent le système médiatique de l’ancien régime aux yeux de beaucoup de gens bien que la liberté d’expression soit réelle aujourd’hui. Internet et ses réseaux sociaux sont perçus comme la seule source d’information fiable pour beaucoup de Tunisiens et le pays est très connecté même dans ces régions de l’intérieur du pays où il existe dans les petites villes des centres qui donnent un accès public à la toile ".
La Tunisie est rentrée, selon lui, dans une instabilité sociale chronique. "Ces révoltes pourraient devenir récurrentes. La fracture entre le nord et l’intérieur du pays est structurelle et ne peut pas être réglé rapidement. Elle s’oppose à l’impatience sociale de ces populations qui ne veulent pas attendre ».