Alors jusqu'où le torchon brûlera-t-il entre le Premier ministre turc et son président ? Les deux anciens frères d'armes ont aujourd'hui de réels désaccords sur de vrais enjeux, explique Hamit Bozarslan, mais qui restent sans conséquences, ou presque : "Le président est sincèrement préoccupé par l'image dégradée que donne la Turquie à l'étranger, par la décrédibilisation des institutions, actuellement vidées de leur sens, et par la radicalisation du pouvoir aux dépens du système pluraliste initiée par le Premier ministre."
Et pourtant, si Gül proteste, il ne résiste pas et finit toujours par ratifier les décisions d'Erdogan. Le fait est que sa marge de manoeuvre reste très limitée. Parce qu'en Turquie, le président de la République assume une fonction essentiellement honorifique. Parce que, malgré son prestige et sa crédibilité, Abdullah Gül n'a aucune autorité sur l'appareil du parti AKP, entièrement contrôlé par Erdogan. Enfin parce qu'il n'a aucune autonomie vis-à-vis d'Erdogan. "Il faudrait une catastrophe économique ou sécuritaire pour ébranler le Premier ministre, explique Hamit Bozarslan. Ou une scission au sein du pouvoir." Or les seules tentatives de résistance qu'il y a eu au sein de l'AKP se sont soldées, fin 2013 et début 2014, par la démission d'une dizaine de députés, voilà tout. Le pouvoir du Premier ministre Erdogan reste intact.
Et si ces désaccords, qui n'aboutissent jamais à la rupture, relevaient plus de la stratégie de communication de l'AKP que d'un vrai schisme au sein du gouvernement ? "Il n'y a pas de schisme, martèle
Dorothée Schmid, chercheuse à l'IFRI. Il n'y en a jamais eu ! Ce n'est pas la première fois que Gül s'oppose à Erdogan, mais sans aucun effet. Il assume plutôt son rôle "d'amortisseur" de l'autoritarisme d'Erdogan, en donnant l'impression qu'il existe un débat au sein du pouvoir."
A quelques jours des élections municipales du 30 mars 2014, Erdogan s'inscrit résolument dans une logique plébiscitaire. "Pour peu qu'il recueille 42 % ou 43 % des votes, il s'estimera vainqueur et considérera ce résultat comme élargissant sa marge de manoeuvre et renforçant sa position au sein de l'AKP," pronostique Hamit Bozarslan. S'il a ainsi beau jeu face aux critiques, c'est aussi que le parti AKP manque d'une figure fédératrice susceptible de prendre le relais le jour où il dépassera les bornes de l'autoritarisme. Abdullah Gül, lui non plus, ne fait pas le poids. Car si ses positions progressives lui ont valu le soutien d'une partie de la population ces dernières années, il est encore loin de rivaliser avec la base populaire du Premier ministre.